La covid-19 nous a fait basculer dans un monde du travail complètement différent. Nos recherches et notre analyse des pratiques des quatre plus grands cabinets de conseil internationaux, nous ont permis d’identifier les quatre pratiques RH clés qui leur ont permis de s’adapter efficacement à cette révolution.
En 1996, l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) l’a souligné : la connaissance est devenue un moteur de la progression de la productivité et de la croissance économique. Et l’économie reposant sur la connaissance est une composante clé des économies développées. En tant que manifestation externe de la force globale d’un pays, les industries axées sur le savoir se divisent principalement en cinq catégories : la finance, les services d’information, les services aux entreprises, l’éducation et les soins de santé. Grâce à l’essor rapide des technologies et à la mondialisation du capital, ces industries sont peu à peu devenues un levier majeur du développement économique et social.
Les Big Four – Deloitte, Ernst & Young (EY), PricewaterhouseCoopers (PwC) et KPMG – sont réputés à l’échelle mondiale pour leurs services d’audit, de fiscalité et de conseil sur le marché mondial des capitaux. Ces derniers ont réussi à atteindre des performances relativement exceptionnelles en dépit des enjeux systémiques externes, tels que les chocs économiques mondiaux, l’intensification des conflits géopolitiques localisés et les crises sanitaires globales. Nous analysons ici les défis rencontrés par les Big Four durant la pandémie de COVID-19 et explorons les pratiques de gestion des ressources humaines qui se sont avérées efficaces et qui pourraient être adoptées dans les environnements de travail post-pandémiques des industries axées sur le savoir.
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Après avoir mené une recherche approfondie sur le marché du travail auprès d’un grand nombre d’employés et d’employeurs dans 22 pays, EY a publié l’étude « EY Reinventing Work Study » en 2023. Elle révèle que 31 % des employeurs et des employés confondus estiment que les employés jouent un rôle actif sur le marché des talents, soit une augmentation de 8 % par rapport à la période d’avant la pandémie. Le rapport montre que depuis 2022, l’inflation continue a fait de l’augmentation des rémunérations la préoccupation principale des employés. Outre l’attraction et la rétention des talents, les employeurs se préoccupent également des packages de rémunération et de leurs augmentations. De manière intéressante, les travailleurs et les employeurs du savoir ont des attentes divergentes quant au télétravail et à la flexibilité des horaires de travail. Les employés qui cherchent à mieux équilibrer leur vie professionnelle et personnelle favorisent les options de travail flexible et à distance, estimant que cela peut diminuer le stress des trajets et accroître leur productivité. À l’inverse, les employeurs craignent que le télétravail ne réduise les interactions directes, ce qui pourrait compliquer la responsabilisation des employés et leur concentration sur le travail. Comme le télétravail pourrait se généraliser après la pandémie, il est important que les employés et les employeurs clarifient les limites entre vie professionnelle et vie privée ainsi que les conséquences possibles sur le travail. En réponse à cela, le supermarché Pang Donglai situé dans la ville de Henan en Chine a, par exemple, interdit à ses employés de passer des appels professionnels après les heures de travail afin de préserver leur temps de repos.
Les défis relevés par les Big Four pendant et après la pandémie
L’impact de la pandémie de COVID-19 a considérablement affecté le système économique mondial, révélant les faiblesses des modèles de travail traditionnels et des structures fonctionnelles décentralisées, telles que les coûts élevés des bureaux, les risques pour la santé des employés, la perte de communication interdépartementale, la distorsion de l’information et d’autres inconvénients. Cette crise de santé publique a amplifié ce phénomène de façon marquée, et les Big Four n’ont pas échappé à cette règle. En réaction à ces défis émergents, ils ont mis en place une série de mesures adaptées, qui ont permis d’accroître l’efficacité et la qualité du travail, tout en veillant à la santé et à la sécurité des employés. Nous croyons donc que l’essentiel du nouveau modèle de travail, associé aux évolutions culturelles organisationnelles et des changements de leadership, pourrait être maintenu dans la période post-épidémique. En conséquence, nous recommandons les pratiques clés de gestion des ressources humaines (GRH) pour les environnements de travail post-pandémie dans les industries axées sur le savoir comme suit :
1. Modèle de travail flexible et efficace
Après l’épidémie, les Big Four ont préservé un modèle de travail flexible et efficace, générant des résultats significativement positifs. Ce modèle découle du mode de télétravail mis en place pendant la pandémie pour garantir la sécurité des employés, la continuité des affaires et les avantages pour les clients. Même si le télétravail s’est largement répandu pendant la pandémie en raison de ses avantages de commodité et de coût, il n’est pas réservé uniquement à cette période. Cette nouvelle habitude de travail diminue les déplacements inutiles et les heures supplémentaires grâce à des services sous-traités spécialisés et décentralisés, tout en mettant en œuvre des horaires de travail flexibles et des systèmes de gestion de la performance pour aider les employés à atteindre un équilibre entre leur vie professionnelle et personnelle.
Après la pandémie, les Big Four ont même envisagé d’étendre encore ces pratiques, comme en témoigne le projet de PwC de créer un nouveau centre d’audit à distance à Wuhan, en Chine. Ce nouveau mode de travail, qui privilégie la flexibilité, la stabilité, la standardisation, la numérisation, la diversité et la croissance, fait aussi partie du système de travail à haute performance (HPWS), reconnu pour sa capacité à accroître la résilience organisationnelle (Cai & Rowley, 2021).
De plus, avec l’émergence des modèles d’IA générative, tels que ChatGPT, les Big Four ont pris l’initiative d’intégrer ces technologies de pointe. À titre d’exemple, PwC a utilisé des outils digitaux pour accroître l’efficacité des audits, amorçant ainsi la transition de l’audit traditionnel vers un audit numérique et intelligent. Cette transition permet non seulement d’améliorer l’efficacité et la qualité du travail, mais aussi de soutenir un système de travail plus flexible capable de répondre aux besoins variés des clients et aux tendances du marché, ce qui accroît la compétitivité et le pouvoir d’innovation de l’entreprise
2. Des équipes de haute performance
Que ce soit dans leurs sièges sociaux à New York ou à Londres, ou dans leurs succursales à travers le monde, les Big Four adoptent systématiquement une approche de travail en équipe, avec des membres relativement fixes, qui incluent généralement des managers expérimentés et des collaborateurs juniors, tels que des assistants. Les Big Four laissent les managers expérimentés guider les débutants dans leurs projets afin de construire, de développer et de maintenir un personnel professionnel stable et compétent à travers le processus de travail. Les membres de l’équipe connaissent ainsi généralement les méthodes de travail et les compétences des autres, ce qui favorise une coopération optimale et améliore l’efficacité du travail.
Dans l’ère post-pandémique, les Big Four ont maintenu ce mode de gestion d’équipe, qui renforce la cohésion et garantit la compétence et la continuité des équipes. Lorsqu’un membre de l’équipe part ou est transféré, les autres membres peuvent aisément reprendre ses tâches et assurer la continuité du projet. Les Big Four recourent à des équipes de haute performance pour développer la résilience organisationnelle, visant ainsi à accroître la productivité des entreprises dans les environnements de travail post-pandémie (Cai, Rowley & Xu, 2023). Les équipes de haute performance contribuent aussi à la collecte, à la création et au partage des connaissances et expériences au sein des entreprises axées sur le savoir, ce qui permet de promouvoir une qualité de service durable et de s’assurer de la loyauté des clients.
3. Formation personnalisée et développement des compétences
Après la pandémie, les Big Four ont considérablement renforcé les compétences professionnelles et la loyauté de leurs employés en poursuivant et en intensifiant un système de formation et de développement personnalisé et juste, renforçant ainsi leur position sur le marché. Malgré les vents contraires qui ont conduit à des congés non rémunérés, des promotions retardées et des licenciements dus à la récession du marché et à la fermeture importante de petites et moyennes entreprises durant la pandémie, les Big Four ont maintenu leur investissement dans le capital humain de leurs talents. Par exemple, EY accorde une grande importance à la formation professionnelle et au développement de ses employés clés. Pour s’adapter aux changements du nouveau cadre de travail durant l’épidémie, EY a proposé des sessions de formation en lien avec le télétravail : développement des compétences en communication, utilisation d’outils de collaboration en ligne, exigences vestimentaires en milieu professionnel… Ces actions ont renforcé les compétences professionnelles des employés, leur sentiment d’appartenance et leur loyauté, assurant ainsi des performances optimales des employés et, par conséquent, le développement durable et la compétitivité de l’entreprise. Dans le même esprit, un expert en IA générative, accompagné d’un employé senior de PwC, a aidé chaque employé de PwC à établir un programme de formation personnalisé et exclusif pour le développement de compétences en IA générative, tout en suivant également leur progression d’apprentissage.
La mise en œuvre de ces stratégies de gestion des talents permet non seulement de satisfaire les besoins variés de développement des employés, mais elle encourage également l’innovation continue et le développement des organisations axées sur le savoir, créant un climat d’apprentissage positif pour l’organisation et ses membres. De plus, l’expérience réussie des Big Four offre des enseignements précieux pour les environnements de travail post-pandémie des entreprises axées sur le savoir, en se basant sur l’optimisation des résultats de la gestion des talents, obtenue grâce à la culture différenciée des divers groupes de travailleurs, à la gestion de la main-d’œuvre virtuelle, à l’importance accordée à l’impact des idéologies culturelles et organisationnelles sur les pratiques de gestion des talents, ainsi qu’à des réponses rapides aux diverses crises. En intégrant ces pratiques de gestion des talents, ces entreprises peuvent atteindre un développement durable dans un marché complexe et changeant.
4. Bien-être au travail
Pendant la pandémie, les Big Four ont mis en place diverses mesures pour donner la priorité à la santé et au bien-être de leurs employés, telles que des services médicaux en ligne, une assurance maladie, des allocations de relocalisation adéquates, un soutien à la santé mentale, et la création d’environnements de travail attrayants. L’attention portée à la santé des employés s’est maintenue après la pandémie, entraînant des résultats positifs en matière de satisfaction des employés et de reconnaissance sociale. Par exemple, Deloitte a créé le « Epidemic Mutual Aid Committee » (littéralement, le Comité d’entraide en cas d’épidémie) à Shanghai en Chine pour distribuer des kits de soins personnels, organiser la participation des employés aux services communautaires, et offrir un soutien psychologique. Les Big Four ont également intégré les éléments environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs opérations commerciales, comme en témoigne la collaboration de KPMG avec la Carbon Emissions Registration and Settlement Corporation pour soutenir les initiatives de neutralité carbone. Ces initiatives ont non seulement renforcé la fidélité des employés et la compétitivité de l’entreprise, mais ont aussi largement contribué au bien-être de la société. Une relation d’emploi saine dans l’ère post-pandémique souligne l’importance de donner la priorité au bien-être des employés et d’intégrer la durabilité des talents et de l’environnement dans les stratégies d’entreprise, favorisant ainsi le développement durable des entreprises et un impact social positif.
Les Big Four ont donc réalisé une série de changements dans les pratiques de gestion des ressources humaines et les relations d’emploi afin de surmonter les défis engendrés par la pandémie de COVID-19. Ces mesures ont amélioré l’efficacité et la qualité du travail tout en mettant l’accent sur la santé et le bien-être des employés, ce qui a renforcé la performance globale de l’organisation. Le succès de ces pratiques, associé aux nouvelles tendances de travail telles que le télétravail, la répartition scientifique des tâches et le soutien technique, améliore conjointement la performance globale de l’organisation et la satisfaction des employés dans les environnements de travail post-pandémie. De plus, les Big Four et d’autres entreprises de la connaissances pourraient explorer d’autres pratiques de gestion et de ressources humaines, telles que la communication organisationnelle, le développement de carrière, ainsi que le changement et la conception organisationnels, en suivant des mécanismes similaires à ceux des systèmes de travail à haute performance (Cai, 2020). Ces pratiques pourraient offrir des orientations précieuses qui permettrait aux entreprises axées sur le savoir de mieux survivre et prospérer face à d’éventuelles crises inconnues à l’avenir.
Référence
Cai, Y. 2020. High-Performance Work Systems in Mainland China: A review and research agenda, Asia Pacific Business Review, 26(5), 563-587.
Cai, Y. and Rowley, C. 2021. Pandemic lessons for management: COVID-19 could lead to high-performance work systems and a healthier employer-worker relationship. Perspectives on Work, 25, 54-56.
Cai, Y., Rowley, C. and Xu, M. 2023. Workplaces during the COVID-19 pandemic and beyond: insights from strategic human resource management in Mainland China. Asia Pacific Business Review, 29(4), 1170-1191.
Acknowledgement
We acknowledge the support from the Belt and Road National Audit Research Fund of Nanjing Audit University.