Doit-on encore faire cours aux étudiants comme on le faisait autrefois ? A l’heure de l’intelligence artificielle générative ou des réseaux sociaux, les professeurs doivent adapter leurs méthodes d’enseignements aux attentes des jeunes d’aujourd’hui.
Les enseignants en école de commerce déplorent souvent la même chose : les étudiants n’écoutent plus en classe. Cela signifie-t-il qu’ils sont moins brillants, plus dissipés ou moins respectueux qu’autrefois ? Absolument pas. Le changement s’explique avant tout par l’évolution globale de notre société, marquée par la transformation technologique.
On a souvent entendu cet adage : « l’information est accessible, mais pas la connaissance ». Exagérons volontairement le propos et posons-nous la question suivante : à l’ère de l’IA générative, ce dicton est-il encore pertinent ? Force est de constater que presque tout est accessible aujourd’hui : des cours en ligne, des MOOC animés par des professeurs de renom ou encore des systèmes d’IA générative qui, s’ils n’apportent pas toujours la réponse exacte, orientent les étudiants vers des ressources pertinentes et les aident à synthétiser.
Faire court
Ajoutons à cela les effets délétères des réseaux sociaux, qui, d’après de nombreuses études, dépassent largement la simple question de l’addiction. Selon certaines études, les jeunes nourris aux contenus courts et percutants peinent à s’investir dans des activités qui ne leur apportent pas de gratification immédiate. Avec l’essor des Reels d’Instagram, des Shorts de YouTube et du scrolling infini, cette tendance s’accentue. Et désormais, les salles de classe sont pleines d’étudiants qui s’interrogent sur l’intérêt d’un cours magistral de trois heures.
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Face à cette évolution, les enseignants doivent renoncer à la transmission verticale du savoir. Ils doivent composer avec le brouhaha des discussions, favoriser les interactions et co-créer des expériences d’apprentissage avec leurs étudiants. Michel Serres insistait sur l’importance de la pratique dans l’apprentissage. Mais dans le monde actuel, les étudiants doivent être impliqués dans l’élaboration de ces expériences.
Le nouveau rôle des professeurs
Les enseignants doivent impérativement devenir des coachs ou des facilitateurs, afin de guider leurs étudiants dans plusieurs domaines clés :
- Les accompagner dans le tri et le décryptage du flot d’informations, sans filtres et sans contexte, auquel ils sont exposés quotidiennement.
- Leur enseigner la maîtrise des nouvelles technologies (notamment de l’IA générative) et leur apprendre à exploiter ces outils en tenant compte de leurs forces et de leurs limites.
- Les aider à mieux se connaître, pour qu’ils puissent devenir des leaders éthiques et responsables dans un monde qui change rapidement. Dans tel contexte marqué par des transformations rapides, les leaders de demain doivent impérativement commencer par se comprendre eux-mêmes. La connaissance de soi est le socle de l’intelligence émotionnelle, une compétence indispensable pour prendre des décisions éthiques et gérer les équipes de façon responsable. Les individus équilibrés ayant une conscience aigüe de leurs valeurs, de leurs émotions et de leurs forces sont mieux armés pour agir avec intégrité et discernement en cas de difficultés. Ils sont également plus susceptibles de devenir des leaders empathiques, attentifs au bien-être de leurs équipes et à l’impact global de leurs actions.
- Pour un professeur, revenir sur les fondamentaux des interactions humaines peut sembler incongru. Pourtant, dans une société où la technologie limite les contacts physiques et où nous privilégions WhatsApp ou les réseaux sociaux aux interactions directes, cette responsabilité leur revient. D’ailleurs, les jeunes n’ont jamais été aussi demandeurs. Les conclusions des consultations Youth Talks, organisées par la Higher Education for Good Foundation, vont d’ailleurs dans ce sens : les jeunes y expriment clairement leur souhait de multiplier les échanges authentiques au cours de leur cursus.
- Enfin, dans un monde saturé de données, il est indispensable d’enseigner aux étudiants des techniques d’analyse et de compréhension. Cela leur permettra d’exercer leur esprit critique face aux quantités massives d’informations auxquelles ils sont confrontés.
Nouveaux étudiants, nouvelles attentes
Bien entendu, tout cela doit être intégré dans le cadre spécifique de la matière enseignée. Finance, gestion, ressources humaines, entrepreneuriat ou autres : peu importe la matière qu’il enseigne, le professeur doit aujourd’hui faire preuve de polyvalence. Il a pour mission de bâtir un pont entre les connaissances techniques et les attentes plus larges des étudiants qui se préparent à prendre des responsabilités dans un monde toujours plus complexe.
En tant que directrice de Youth Talks, la plus grande consultation menée auprès des jeunes à ce jour, j’ai eu la chance de travailler main dans la main avec eux sur ces questions. Ensemble, nous avons échangé sur la transformation profonde que l’éducation doit entreprendre, une évolution qui ne se cantonne pas à la transmission d’informations, mais qui consiste à développer les compétences sociales et humaines des leaders de demain.
Faire face
Ce nouveau rôle est-il intimidant pour les professeurs ? Bien évidemment. Mais nous devons faire face à cette réalité sans tarder, car l’environnement éducatif actuel est invivable tant pour les étudiants que pour les enseignants. Pire encore, il ne prépare pas les jeunes au futur que nous devrions bâtir.
Dans un système défaillant où les enseignants-chercheurs privilégient souvent la recherche à l’enseignement (et où le manque de productivité en matière de recherche est fréquemment sanctionné par des heures d’enseignement supplémentaires), je ne suis pas convaincue que ce changement soit une grande perte. Au contraire, nous devons développer nos talents pédagogiques et former de futurs professionnels qui excelleront non seulement individuellement, mais également pour la société qu’ils devront bâtir afin d’assurer la survie de l’humanité.