On parle parfois d’intelligence footballistique. À l’ère de la data, celle-ci est désormais concurrencée ou accompagnée par l’intelligence… artificielle (IA). De nombreuses équipes de football professionnel utilisent des solutions d’IA pour évaluer les performances de leurs joueurs, déterminer les tactiques à adopter ou anticiper les mouvements de leurs adversaires. Les conséquences nouvelles de ce type d’analyse sont à la fois sportives et économiques…
Depuis plus de trente ans, les fans de football jouent à Football Manager (et à ses prédécesseurs), un jeu vidéo qui consiste à gérer sa propre équipe de football professionnelle sur la base de statistiques. Le football réel implique, bien sûr, beaucoup d’autres dimensions, comme le charisme ou les relations humaines : : être un bon entraîneur dans Football Manager ne veut pas forcément dire qu’on le serait dans la vie réelle. Mais aujourd’hui, l’Intelligence artificielle (IA) rapproche le football réel de celui du jeu.
La révolution de la performance
L’intelligence artificielle a complètement changé la façon dont les performances et la valeur marchande sont évaluées dans le monde du sport, et en particulier dans celui du football. À l’approche des Jeux olympiques en France, cette analyse est de plus en plus sophistiquée. L’IA vient révolutionner l’évaluation de la performance en analysant et en interprétant une énorme quantité de données et en apportant de nouvelles informations pouvant améliorer la progression des joueurs, les tactiques d’équipe et l’ensemble des résultats du jeu.
Jusqu’alors, l’évaluation des clubs de football reposait sur des paramètres financiers, comme les recettes générées par la vente de billets, de produits dérivés et par les droits de diffusion, tandis que la performance des joueurs était évaluée en fonction de critères de base comme les buts, les passes décisives et les actions défensives. Si ces statistiques restent essentielles, elles ne suffisent pas à représenter pleinement la contribution d’un joueur ou d’une équipe à un match ; les évaluations peuvent donc être inexactes et conduire à des opportunités d’investissement manquées.
Face à la complexité du football et à sa nature fluide et dynamique, les performances doivent ainsi être analysées de façon plus nuancée. L’émergence des technologies de pointe, dont l’IA et le machine learning, a tout changé. Capable de traiter des données issues de différentes sources comme les systèmes de suivi des joueurs, les enregistrements vidéo et les paramètres physiologiques, l’IA fournit une évaluation de la performance plus exhaustive et objective.
Une autre vision du football
Les technologies alimentées par l’IA permettent d’analyser une grande quantité de données plus précisément et plus rapidement que jamais auparavant. Elles donnent lieu à une compréhension plus nuancée des performances individuelles et de l’équipe en tenant compte de variables parfois négligées par les méthodes traditionnelles. Par exemple, les modèles d’IA avancés comme le Complex Multiplex Passing Network (CMPN) parviennent à faire la différence entre différents types de passes et d’interactions au cours d’un match.
Ces modèles donnent des informations qui pourraient échapper aux statistiques traditionnelles, comme l’importance stratégique de certaines passes ou la polyvalence des joueurs. Ces analyses détaillées apportent plus de précisions aux évaluations des clubs.
Par ailleurs, des modèles de machine learning, comme ceux de la régression linéaire multiple ou des forêts aléatoires, ont été développés pour prédire les salaires des joueurs en fonction de leur performance et de leurs caractéristiques. Ces modèles prennent en compte les relations non linéaires entre les variables et fournissent donc des prédictions plus précises que les méthodes traditionnelles.
L’un des domaines clés dans lesquels l’IA a énormément progressé est celui de l’analyse des mouvements et du positionnement des joueurs. Les algorithmes de l’IA peuvent suivre leurs mouvements sur le terrain et évaluer leur position, leur vitesse et leurs prises de décisions. Ces données aident à comprendre en quoi les joueurs contribuent à la fois aux phases offensives et défensives d’un match, au-delà des statistiques traditionnelles.
Des cartes thermiques comme celle-ci, générées à l’aide de l’IA, illustrent les parties du terrain où un joueur est le plus actif et permettent de mieux comprendre son influence dans le match.
4-4-2 ou 3-5-2 ?
L’IA peut examiner les tactiques des équipes en analysant les schémas de jeu, les formations et les transitions. En évaluant comment les équipes restent en possession de la balle, repoussent les adversaires et exploitent l’espace, l’IA permet de juger l’efficacité des différentes stratégies. Les entraîneurs peuvent utiliser ces informations pour peaufiner leurs tactiques et mieux s’adapter à l’équipe adverse. Une étude récente a montré qu’une analyse reposant sur l’IA avait pu déterminer que passer d’une formation en 4-4-2 à une formation en 3-5-2 augmentait la possession du ballon d’une équipe donnée de 12 % et lui permettait de se créer 20 % d’occasions de but en plus.
Les analyses prédictives alimentées par l’IA peuvent également prévoir la performance future en fonction d’un historique de données. En analysant les matchs passés, la condition physique des joueurs et d’autres variables, les modèles d’IA peuvent prédire des résultats comme la probabilité de marquer ou d’encaisser un but ou l’impact de certains remplacements de joueurs.
Par exemple, le modèle DAxT peut prédire la probabilité de différents résultats de matchs sur la base de données historiques, des formations actuelles et de divers facteurs situationnels.
Au service des joueurs et des supporters
L’IA joue également un rôle essentiel dans la gestion et la prévention des blessures. Elle est capable de détecter les signes précoces de fatigue ou de blessure potentielle en gardant un œil sur la forme physique et l’emploi du temps des joueurs. Cette stratégie préventive permet une prise en charge rapide, réduisant le risque de blessure et garantissant que les joueurs seront en forme pour les matchs importants. Les systèmes d’IA dans les équipes professionnelles ont, par exemple, permis de diminuer de 30 % le taux de blessures en fournissant des données en temps réel sur la fatigue physique des joueurs et en recommandant des temps de repos ou des régimes d’entraînement personnalisés.
L’IA offre également la possibilité de renforcer l’engagement des supporters. Elle apporte en effet plus d’informations sur les matchs. Les applications de réalité augmentée (AR) et de réalité virtuelle (VR) alimentées par l’IA offrent aux fans des expériences immersives, avec des analyses de match interactives et des visites virtuelles des stades. Elles enrichissent ainsi l’expérience des spectateurs et renforcent leur lien avec le sport.
Améliorer la prise de décision
Pendant les Jeux olympiques ou l’Euro 2024, certaines équipes utiliseront l’IA pour optimiser leurs performances en temps réel. En analysant les données en direct des matchs, l’IA peut fournir des informations exploitables : elle peut par exemple suggérer des ajustements tactiques ou identifier les joueurs qui ont besoin de repos, et donc d’être remplacés. Pendant un match décisif, l’IA peut notamment détecter une baisse de vitesse de sprint d’un attaquant, à l’aide d’une solution reposant sur l’IA, comme celle fournie par l’entreprise Statsports qui est utilisée par plusieurs équipes de Premier League, comme Arsenal ou Liverpool.
Les sociétés d’investissement privé qui placent de l’argent dans des clubs de football bénéficient ainsi considérablement des capacités de l’IA. Elle peut analyser les données historiques, prédire les performances futures et identifier les opportunités d’investissement potentielles. La prise de décision est alors plus éclairée, optimisant les retours sur investissement tout en atténuant les risques. On constate en effet une corrélation notable entre la performance des clubs de football et leurs cours boursiers.
Des actions de jeu au cours des actions
Les victoires, par exemple, peuvent considérablement faire augmenter le cours des actions, reflétant l’impact direct des résultats des matchs sur les évaluations financières. Le club du Borussia Dortmund a vu son cours boursier passer de 2,80 euros à 4,50 euros par action après sa victoire en demi-finale de la Ligue des Champions en 2012-2013. Les modèles d’IA sont capables d’analyser ce type de corrélations, fournissant des informations qui aident les investisseurs à prendre des décisions plus éclairées.
L’IA permet aussi de sonder l’humeur des réseaux sociaux afin de prédire les fluctuations boursières. Une opinion positive sur des plateformes comme X ou Instagram peut entraîner une hausse des cours des actions, tandis que des avis négatifs risquent de les faire chuter ; c’est ce qu’il s’est passé pour le cours boursier de Manchester United en 2021, après l’annonce de la création d’une Super Ligue européenne. Des hashtags comme #NoToEuropeanSuperLeague et #GlazersOut sont devenus viraux dans le monde entier.
Face à la hausse de ce sentiment négatif, à la menace de boycott par les supporters et de perte de sponsors, et après la chute soudaine de son cours boursier, le club s’est retiré du projet de Super Ligue. Combiner l’analyse des réseaux sociaux et les sources de données traditionnelles permet de mieux comprendre la dynamique boursière.
Globalement, l’intégration de l’IA dans l’évaluation du football offre un avantage compétitif. L’IA améliore non seulement la précision des évaluations mais fournit aussi des données plus approfondies sur les mesures de performance et la dynamique du marché. En mettant à profit les analyses faites à partir de l’IA, le football continue d’évoluer ; chaque aspect du match est méticuleusement étudié. Le futur de l’évaluation de la performance en football est là : il est intelligent, repose sur des données et est remarquablement précis.