La gestion durable de projets nage entre deux eaux : la méthode PRiSM, efficace pour faire le premier pas mais imprécise pour espérer aller plus loin, et la méthode française, Empreinte Projet, rigoureuse mais complexe à mettre en oeuvre. Avec le cadre théorique WISE-PM, les auteurs proposent une troisième voie.
Schneider Electric en est une nouvelle démonstration : la corrélation est forte entre la mise en œuvre d’une stratégie de développement durable à tous les échelons et l’attrait d’une entreprise vis-à-vis des clients, des talents et des investisseurs. Considérée par ses pairs comme l’entreprise la plus durable et la plus à même de porter les enjeux de transition (Corporate Knights, 2023), elle est également dans le top 1% des entreprises les plus performantes en matière de RSE (EcoVadis, 2023) et a vu, au cours des cinq dernières années, la valorisation de ses actions augmenter de 400%, son résultat net de 15% lors du dernier exercice. Dans ses résultats de 2023, Schneider Electric ne manque pas de souligner ce lien de cause à effet. (Dumas & Laura Henderson, 2023; Schneider Electric, 2024).
Les entreprises doivent collaborer efficacement avec trois parties prenantes essentielles : les acteurs financiers, la société et les acteurs publics. Et intégrer la performance durable dans leur stratégie mobilise pleinement ce trio :
- La performance durable, mesurée par les indicateurs ESG, permet de mieux anticiper les risques globaux. Elle attire ainsi non seulement les investisseurs focalisés sur les placements responsables, mais ouvre en plus la voie à de nouveaux marchés (les obligations vertes européennes, notamment).
- De même, le public, les consommateurs et les employés montrent une préférence croissante pour les entreprises vertueuses sur le plan de la Responsabilité sociétale des Entreprises (RSE). Cette adhésion renforce la fidélité à la marque, réduit le turn-over interne et stimule la croissance de l’activité.
- Enfin, la performance durable permet une intégration harmonieuse des réglementations actuelles (CSRD) et à venir (CSDDD), et ouvre la porte à des financements publics, comme les plans France 2030 ou Horizon Europe, favorisant ainsi le développement d’un budget dédié à l’innovation.
Pour mieux répondre à l’instabilité croissante du monde, on assiste à une « projectification » croissante de l’économie. Les projets remplacent le « business-as-usual ». Ces derniers créent plus de valeur long-terme que les actions opérationnelles, dont la productivité n’a que faiblement augmenté malgré les dernières révolutions technologiques Ils sont déjà à l’origine, par exemple, de 41% du PIB de l’Allemagne en 2019 (Harvard Business Review). Le Project Management Institute (PMI) définit en effet un projet comme « un effort temporaire entrepris pour créer un produit, un service ou un résultat unique », ils induisent les transformations. Dans le contexte actuel, le projet est donc levecteur le plus adapté puisqu’il crée les conditions de nouvelles offres durables dès sa conception.
S’engager dans une gestion durable de projets, à l’instar de Schneider Electric, requiert de changer en profondeur son approche et de pouvoir s’appuyer sur de nouvelles méthodes de travail. Connaître les outils et méthodes de gestion durable de projets est donc nécessaire. Seulement, ces derniers sont soit imprécis (PRiSM), soit très complexes à mettre en œuvre (Empreinte projet).
PRiSM, pour initier la démarche
La méthode PRiSM (Projects Integrating Sustainable Methods), développée par le Green Project Management (GPM), repose sur 46 critères inspirés des Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU. Selon les mots d’un lauréat du GPM Sustainability Award que nous avons interrogé, « c’est une méthode facile à comprendre et à appliquer. Elle permet d’intégrer la performance durable même à des projets existants sans revoir tout le processus ». Nos analyses révèlent cependant que si PRiSM s’avère efficace pour une première sensibilisation, son outil de mesure est imprécis et ne répond pas aux normes environnementales les plus strictes. Elle pourrait même retarder les entreprises qui aspirent à un impact significatif et qui ont rapidement besoin de résultats probants. Elle fait, en effet, la moyenne des notes attribuées à chaque critère d’un projet. Une note globale satisfaisante peut donc être donnée alors même qu’un des aspects du projet est désastreux pour l’environnement.
Cliquez sur la liseuse pour consulter l’ensemble des critères considérés par PRiSM – Source : Green Projet Management (GPM)
Empreinte Projet (ADEME), pour atteindre l’expertise
La méthode française, Empreinte Projet, développée par l’Agence de la transition écologique (ADEME), intègre, elle, des critères scientifiques rigoureux, axés sur les 9 limites planétaires reconnues par la communauté scientifique. Elle permet de produire des résultats complets et précis. Les entretiens que nous avons menés révèlent qu’Empreinte projet reçoit 15% de retours positifs supplémentaires par rapport à PRiSM (Francioni & Bounar, 2024). Elle est cependant complexe à mettre en œuvre, puisqu’elle réclame une approche sur-mesure de chaque projet. Elle exige également des compétences scientifiques avancées et un investissement conséquent dans de la main d’œuvre externe.
WISE-PM, pour garder le meilleur des deux mondes
Nous avons donc imaginé une troisième voie : une méthode capable de garder le meilleur des deux. Cette combinaison s’appelle le « Weighted Impact Scoring for Environmental Project Management » (WISE-PM).
Cette nouvelle approche offre à la fois une mesure précise – en reprenant la méthode de calcul d’Empreinte Projet qui repose sur l’Analyse du cycle de vie (ACV), et simplifie cette dernière en utilisant les critères standardisés de PRiSM, inspirés du Global Reporting Initiative (GRI). Elle s’adapte, en plus, au besoin de l’utilisateur qui peut choisir entre trois niveaux d’analyse en fonction de son objectif : première découverte (P5IA Scenario Framework), compétences éprouvées (WISE-PM Foundation) et expertise (WISE-PM Advanced) dont les résultats sont publiables. WISE-PM intègre également des aspects clés de la gestion de projet comme la gestion des risques, des responsabilités et du budget, le tout à travers un processus itératif. Elle est donc facile à intégrer à un projet déjà existant et permet un niveau de complexité flexible.
La méthode PRiSM intègre un système de coefficients permettant d’évaluer les risques environnementaux sur une échelle de 1 à 5. Cependant, ce système de notation se concentre davantage sur la performance du projet plutôt que sur son impact environnemental global. Par exemple, un projet de développement immobilier pourrait obtenir une excellente évaluation pour l’utilisation de matériaux durables et de technologies écologiques. Toutefois, cette note favorable pourrait occulter un impact négatif plus vaste, tel que la destruction d’un écosystème forestier pour dégager le terrain de construction. Ainsi, la notation met en avant l’efficacité des pratiques durables mises en œuvre, sans tenir compte des conséquences environnementales plus larges du projet. En revanche, WISE-PM résout ce problème en prenant en considération la performance globale du projet, en intégrant à la fois les actions internes et leurs impacts environnementaux externes, garantissant ainsi une évaluation plus holistique de la durabilité.
Une phase d’entretiens qualitatifs avec 8 experts a permis de valider le potentiel de maximisation des bénéfices associés à WISE-PM. A l’avenir, nous voulons définitivement valider les gains associés. Nous recherchons donc des professionnels curieux de faire avancer la gestion durable et la transformation des organisations en testant WISE-PM. En parallèle, occupant des emplois en lien avec cette thématique, nous la testerons nous-mêmes.
Contactez les auteurs :
salaheddine.bounar@skema.edu
pierre.francioni@skema.edu