Alors que la Coupe du Monde approche, le Qatar doit faire face à de plus en plus de critiques venues de toutes parts. Pour ne pas gâcher sa fête, l’émirat durcit son attitude et se dépêche de finir les préparatifs, dans l’espoir de changer les mentalités.
Cet hiver, le Danemark jouera la Coupe du monde de football au Qatar avec des maillots particuliers : le nom et le logo de son sponsor, Hummel, seront masqués. L’une des trois tenues de l’équipe nationale sera même entièrement noire, la « couleur du deuil » précise l’équipementier.
La marque a justifié ce design inhabituel en faisant directement référence aux décès de travailleurs migrants du bâtiment au Qatar, ainsi qu’au bilan pour le moins contesté de l’émirat en matière de droits de l’homme. « Nous ne souhaitons pas être visibles pendant un tournoi qui a coûté la vie à des milliers de personnes », explique un post diffusé sur les réseaux sociaux.
Ce dernier précise : « Nous soutiendrons l’équipe nationale danoise jusqu’au bout, mais ce n’est pas la même chose que de soutenir le Qatar en tant que pays hôte ».
La critique de Hummel n’est pas la première que connaît le Qatar et, le tournoi approchant, ce ne sera pas la dernière. L’ancienne star de Manchester United, Éric Cantona, a déclaré qu’il ne regarderait pas la compétition, et certaines villes françaises ont interdit la projection des matchs dans leurs espaces publics.
Le Qatar change de stratégie
Mais la réponse du Qatar à la communication de Hummel semble démontrer un changement de tactique. Par le passé, les Qataris ont souvent été lents à réagir à de telles critiques. Pourtant, quelques heures après que Hummel a fait part de ses préoccupations, l’organisation responsable de l’événement a publié une ferme déclaration.
Le comité organisateur de l’événement a affirmé que le Qatar avait mis en œuvre d’importantes réformes du marché du travail, et que tous les autres pays, y compris le Danemark, feraient mieux de se concentrer sur le respect des droits de l’homme chez eux.
Une réponse aussi acerbe mérite d’être soulignée, car elle semble marquer une évolution dans la nature, le ton et la vitesse des communications émanant du Qatar. Les officiels se sont manifestement préparés à une période intense de surveillance et d’activisme pour ce qui sera l’une des Coupes du monde les plus controversées de l’histoire du football.
Ils ont également anticipé l’éventualité d’une perturbation de l’événement. Des policiers marocains ont été recrutés alors que des équipements de surveillance américains, des drones turcs et des frégates italiennes ont été achetés. Reste à savoir comment ces ressources seront déployées, et si elles sont liées à l’annonce récente de l’autorisation de vente d’alcool, pendant 19 heures par jour.
En matière de logistique également, le Qatar s’est exercé. Il a accueilli plusieurs événements très médiatisés et à forte affluence pour mesurer son niveau de préparation, notamment deux événements de la Fifa : la Coupe du monde des clubs en 2019 et la Coupe arabe des nations en 2021. Les deux tournois se sont déroulés sans incident majeur. Mais un récent événement-test au Lusail Iconic Stadium (qui doit accueillir la finale du Mondial, le 18 décembre) a été moins encourageant : des pénuries d’eau, une climatisation défectueuse et la nécessité de marcher pendant une heure jusqu’au stade sous une chaleur de 35℃ sont venus perturber la fête.
Rien qui ne soit insurmontable avant le match d’ouverture de novembre entre le Qatar et l’Équateur. Mais il y a peu de marge d’erreur dans l’organisation d’événements sportifs de cette nature. En mars, le Grand Prix de Formule 1 en Arabie saoudite a failli être annulé après une attaque de drones des Houthis, tandis qu’en mai, le Stade de France à Saint-Denis a connu de graves problèmes de gestion des foules lors de la finale de la Ligue des Champions.
Coup d’envoi
L’afflux de visiteurs sera d’ailleurs un défi majeur. On estime à plus de 1,2 million de personnes le nombre de personnes qui se rendront au Qatar entre novembre et décembre.
Pour un pays de 3 millions d’habitants, c’est considérable. Cela mettra à l’épreuve les infrastructures essentielles, comme les routes, les transports publics, l’approvisionnement en eau et la capacité d’évacuation des eaux usées. Certains travailleurs immigrés ont déjà reçu l’ordre de quitter le Qatar et de ne revenir qu’une fois le tournoi terminé. Les fonctionnaires ont été priés de travailler à domicile pendant la Coupe du monde, et les écoles, collèges et universités seront fermés.
Craignant les embouteillages, le gouvernement qatari interrompra la circulation dans Doha le vendredi (souvent le jour le plus chargé de la semaine) et teste actuellement 700 bus électriques aux couleurs de la Coupe du monde en prévision d’éventuels problèmes de transports. Comme je l’ai découvert lors d’une visite en septembre, à quelques semaines du coup d’envoi, d’importantes sections des rues de Doha sont d’ailleurs encore inaccessibles car le pays cherche à moderniser son système d’eau et d’égouts jusqu’au bout.
Au cours de ce voyage, j’ai été frappé par l’ampleur du développement des infrastructures qui a eu lieu depuis ma dernière visite au Qatar, avant la pandémie. La ville semblait beaucoup plus calme qu’auparavant, ce qui, selon un chauffeur de taxi, s’explique par le fait que les habitants ont reçu l’ordre de quitter le pays ou de rester à l’écart de la capitale pendant les derniers préparatifs.
À certains endroits, les routes n’étaient toujours pas terminées, pas plus que plusieurs zones où les supporters sont censés se rassembler. Parmi les travailleurs migrants avec lesquels j’ai discuté, certains évoquaient les longues heures de travail et les bas salaires. Mais ils m’ont presque tous parlé de leur enthousiasme au sujet du tournoi, eux comme d’autres.
Le fait que beaucoup d’entre eux ne pourront pas s’offrir de billets pour les matchs ne préoccupe pas les autorités qataries. Les douze années de préparation de cette Coupe du monde ont été consacrées à la construction d’une nation, à la projection de son soft power et au changement des perceptions internationales.
Alors que les derniers préparatifs sont en cours, le gouvernement de Doha ne tardera plus à juger si son énorme pari a été payant.
Cet articlé a été initialement publié sur The Conversation