Comment Pfizer a gagné la course au vaccin contre Moderna ?

Comment Pfizer a gagné la course au vaccin contre Moderna ?
Photo : Molly Woodward/Shutterstock

Dans le cas du lancement sur le marché d’une nouvelle technologie, comme le vaccin à ARN messager contre la Covid-19, le choix du bon partenaire auquel s’associer ne répond pas aux mêmes critères de sélection que dans le cas d’un marché existant. Ici, l’intérêt de son allié domine l’intérêt du marché. BioNTech l’a bien compris au moment de choisir Pfizer.

On l’entend trop souvent : « seul on va plus vite, à deux on va plus loin ». Mais l’expérience de Moderna, dans la mise sur le marché de son vaccin contre la Covid-19, met à mal cet adage. Et l’alliance de BioNTech et Pfizer prouve même qu’à deux, on peut aller plus loin et plus vite. 

L’histoire de BioNTech, fondée en 2008, est avant tout celle d’un couple de médecins chercheurs, qui fondent la société après un premier succès entrepreneurial. La vente de Ganymed en 2016, spécialisée dans les anticorps monoclonaux, va leur permettre d’accélérer le développement du projet sur lequel ils veulent se concentrer : créer un vaccin contre le cancer grâce à la technologie de l’ARN messager. L’entreprise est largement financée grâce, en janvier 2018, à la plus grande levée de fonds jamais opérée à l’échelle d’une biotech allemande : 270 millions de dollars. En 2019, elle signe même un partenariat avec la fondation Gates et lève un capital de 1,3 milliard de dollars supplémentaires. A la fin de la même année et à la faveur de la pandémie, l’entreprise se lance finalement dans le développement d’un vaccin contre la Covid-19 naissante, et décide, le 24 janvier 2020, de s’engager dans une course contre la montre en dédiant toutes ses ressources à ce programme. Nom de code du projet : « Vitesse de la lumière ».

Un vaccin éclair grâce au bon partenaire

BioNTech dispose de la technologie pour créer un vaccin mais a besoin d’un partenaire pour les essais cliniques, et pour assurer une capacité de production suffisante. Une recherche qui la conduira à s’allier à Pfizer qui choisit BioNTech pour sa maîtrise de la technologie ARN messager, mais surtout pour compléter son offre de vaccins existante. Ce mariage va permettre de réaliser en un peu plus d’un an et demi, ce qui est réalisé d’habitude sur une période de 5 à 15 ans. Ce vaccin à ARN messager sera le premier approuvé par des autorités réglementaires. Mieux : avec deux fois moins d’argent levé, le couple BioNTech-Pfizer va produire deux milliards de doses en 2021 contre moins de la moitié pour son concurrent, Moderna.

BioNTech a choisi un partenaire stratégique pendant que Moderna choisissait d’avancer seul et donc de produire lui-même les essais cliniques et de fabriquer son vaccin de son côté.

Les manuels de stratégie privilégient le plus souvent l’analyse des forces en présence à savoir, le client, d’éventuels nouveaux entrants, ceux qui peuvent offrir des produits de substitution, des partenaires stratégiques pour l’approvisionnement, la fabrication et la distribution. Mais, ils n’envisagent pas les avantages d’une catégorisation plus fine des acteurs de l’écosystème qui pourraient adopter ou s’opposer à cette invention. Qu’apporte au stratège de Biontech une connaissance fine des acteurs pour évaluer l’opportunité d’un partenariat ? A notre connaissance, seule la méthode ISMA360®* permet une catégorisation fine des acteurs, capable de révéler au stratège ceux sur qui il va pouvoir s’appuyer et ceux qui ne pourront que le refuser.

Le discours de la méthode

Cette méthode propose plusieurs catégories de protagonistes qui peuvent être classés selon la perspective que ces acteurs poursuivent. Ces catégories appartiennent à quatre profils en quête d’objectifs différents : la recherche d’efficience, le développement du chiffre d’affaires, le combat idéologique et le respect de la réglementation.

Ces quatre catégories se divisent ensuite en deux sous-catégories ; ceux qui sont favorables et ceux qui s’opposent à ces perspectives, formant ainsi une taxinomie d’acteurs :

1.           Efficience d’usage suffisante ou non

2.           Intérêt ou dommage au business

3.           Source de progrès ou régression

4.           Respect de la réglementation ou non-conformité

Le tableau suivant décrit huit catégories selon les quatre profils :

Dans la perspective du développeur de la technologie, le choix d’un partenaire de développement a tout intérêt à être fait selon cette grille de lecture, car elle montre comment ce partenaire potentiel perçoit réellement la valeur de l’offre. Dans le cas de BioNTech, voici une liste de quelques-uns des protagonistes identifiés par la société :

Un seul des acteurs se distingue car il appartient à deux profils simultanément : Pfizer est associé aux profils 1 et 2. Ce n’est pas pour son efficacité sur la personne vaccinée que Pfizer a choisi la technologie de vaccin à ARN messager. À cette époque, aucun test ne montrait une efficacité supérieure de cette nouvelle technologie. Cependant, ce qui apparaissait certain, c’est que le temps de développement pouvait être réduit de 5 à 10 fois par rapport à une technologie traditionnelle. On peut, dans ce cas, parler d’efficience de la technologie pour son activité de développement (profil 1), sans compter que cette avance procurait à Pfizer un avantage indéniable pour être le premier sur le marché (profil 2).

Rien ne sert de courir…

Cette situation est riche d’enseignements à propos d’une innovation de rupture. Nombreux sont les cas qui montrent que choisir un partenaire de profil 1 et 2 est une stratégie gagnante, quand elle est possible, pour le développeur de la technologie. Contrairement à un produit existant, dont les bénéfices sont connus et partagés par l’ensemble des acteurs de la filière, la rupture que représente le vaccin à ARN messager n’offre pas de référentiel pour décider. Ceci renvoie aux travaux sur la rationalité limitée du décideur, particulièrement en situation d’incertitude. Celle-ci l’oblige à envisager une action locale entièrement centrée sur la compréhension que l’acteur a de sa situation. Le développeur de la technologie envisage trop souvent l’efficience du point de vue du bénéficiaire ultime de l’invention alors que c’est l’avantage perçu par le partenaire qu’il faut considérer. Ici, Pfizer savait que réduire le temps de développement réduirait ses coûts de R&D, et cela lui suffisait pour décider.

Au stade où la technologie n’a pas montré tout son potentiel, beaucoup d’entreprises innovantes focalisent trop leur attention sur l’avantage perçu par le marché final en se disant que le partenaire ayant le profil 2 jouera le jeu pour l’intérêt économique que l’invention représente. Dans de nombreux cas, ce n’est malheureusement pas ce que l’on observe. Face à l’incertitude, l’acceptation d’un partenaire potentiel repose principalement sur le bénéfice que l’entreprise perçoit pour elle-même et non pas sur la perception du bénéficiaire ultime, voire de toute autre information comme la taille du marché, qui est très difficile à évaluer à ce stade. Cette stratégie évite aussi un achat hostile de la technologie par un profil 2 mal intentionné (dans ce cas un faux requérant) qui pourrait se montrer intéressé uniquement pour bloquer la technologie afin qu’elle ne nuise pas à ses intérêts. Elle procure en plus un avantage au fournisseur de la technologie puisqu’elle réduit ses efforts et lui permet d’accéder plus vite au marché que d’éventuelles technologies concurrentes. C’est cette tactique qui aura permis à Pfizer-BioNTech de produire en masse une quantité de vaccins que Moderna n’aura pas su produire au cours de la même période. Rien ne sert de courir, il faut s’unir à point.

*La méthode ISMA360® de Dominique Vian est une marque déposée de SKEMA Business School.

Dominique VianProfessor of Innovation and Entrepreneurship, Strategy Research Centre, SKEMA Business School - University Côte d'Azur, France

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