ChatGPT est-il vraiment une menace pour le monde de l’éducation ?

ChatGPT est-il vraiment une menace pour le monde de l’éducation ?

Depuis qu’elles se sont révélées au grand public, les prouesses de ChatGPT intriguent autant qu’elles inquiètent. Le monde de l’éducation est l’un des premiers visés. Mais au-delà des risques qu’elle implique, cette nouvelle révolution technologique, permise par l’Intelligence artificielle, est une opportunité pour l’enseignement supérieur. De se réinventer et de suivre la marche de la société.

ChatGPT est annoncé ces dernières semaines dans les conversations et les articles comme une nouvelle révolution technologique. Comme chaque nouveauté importante, de nombreux fantasmes l’accompagnent, alimentés par notre ignorance à tous. ChatGPT, abréviation de Chat Generative Pre-trained Transformer, est un Chatbot qui permet de répondre à de nombreuses recherches en produisant une réponse textuelle issue d’un traitement algorithmique (couramment appelé l’intelligence artificielle) des données accessibles sur le net. Les premières démonstrations de ce nouvel outil sont impressionnantes et laissent envisager bien des perspectives. Inquiétantes pour certains, prometteuses pour d’autres.

ChatGPT a ouvert la brèche

Si l’on est à peu près certain d’une chose, en effet, c’est que cette nouvelle technologie a de l’avenir. La startup qui l’a développée, OpenAI a réussi l’un des lancements de produits les plus rapides de l’histoire. Présenté en novembre 2022, ChatGPT comptait déjà, fin janvier 2023, plus de 100 millions d’utilisateurs mensuels actifs. Les intérêts économiques dans le monde numérique sont donc déjà nombreux. Le monde de la Tech et les géants de ce domaine ne peuvent rester en dehors de cette nouvelle révolution. Le 7 février dernier, Microsoft a même annoncé un investissement de 10 milliards de dollars dans OpenAI laissant envisager prochainement des évolutions de Bing, son moteur de recherche. Dans le même temps, Alphabet (Google) va présenter prochainement des alternatives à OpenAI. Et les géants chinois des logiciels sont également très avancés sur l’analyse des images. Selon un classement établi par Microsoft, les cinq meilleures équipes de vision par ordinateur sont d’ailleurs toutes chinoises.


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Néanmoins, l’avenir n’appartient pas uniquement aux géants. Des équipes de recherche développent des modèles moins gourmands en données. Comme précisé dans un article de The Economist, publié le 30 janvier dernier, cette innovation de rupture apportée par le langage naturel sur ordinateur est le fruit d’une recherche fondamentale. Et les chercheurs, quel que soit leur rattachement à une université ou à un laboratoire privé, se parlent au sein de communautés scientifiques ou de colloques de recherche et de leurs publications. Tous sont des universitaires de très haut niveau.

Une préoccupation qui n’est pas artificielle

Malgré leur compétence, ChatGPT génère de nombreuses inquiétudes dans le domaine de l’éducation, et notamment dans l’enseignement supérieur. Pourquoi les enseignants des sciences humaines, managériales et d’autres domaines redoutent-ils l’arrivée de ChatGPT ? Nous pouvons, bien sûr, imaginer qu’un étudiant qui peut tout simplement se servir de ChatGPT pour rédiger un devoir sera moins tenté de le faire par lui-même… C’est une préoccupation plus que recevable aujourd’hui. Depuis l’essor d’internet déjà, le risque de plagiat – grâce à la facilité du « copier-coller » – est largement amplifié.

Les réponses actuellement apportées par l’enseignement supérieur à ces nouveaux risques sont d’abord la formation et l’accompagnement des étudiants et des professeurs dans la production de connaissance. Savoir citer des auteurs étudiés selon les codes académiques qui permettent d’identifier l’article de référence, notamment. En complément, les règlements des études rappellent bien sûr les sanctions encourues en cas de triche. S’ajoute aussi le recours aux logiciels anti-plagiat qui identifient les textes problématiques. Le système n’est pas parfait mais quand il est appliqué rigoureusement, il rassure les professeurs et les institutions sur la qualité du travail produit par les étudiants.

Le précédent de la calculette

Mais face à des productions inédites permises par ChatGPT, il faut aller plus loin. Le corps professoral et ses institutions doivent apprendre à mieux dominer la technologie pour identifier les productions intellectuelles réalisées par le logiciel. Il ne faut pas craindre mais tenter d’apprivoiser. Interdire, ne sera pas la position de SKEMA. Nous inviterons plutôt notre corps professoral et nos étudiants à se former à l’outil et aux outils à venir. L’exemple de la calculatrice est souvent cité, interdite en son temps pendant les examens. Qui remet en question son usage, aujourd’hui, quelle que soit la situation ? La calculatrice n’a pas été interdite, c’est le monde académique qui s’est adapté à elle : les scripts des examens ont évolué et regarde davantage la qualité de la démonstration ou du raisonnement mathématique.

Je vois donc venir une révolution des méthodologies pédagogiques et des objectifs d’apprentissage. Elle est encore indécise, mais nous aurons besoin de trouver un moyen de développer davantage la curiosité de chercher une information, d’insister sur l’intérêt de produire une recherche singulière et non standardisée par une masse de données, même si l’alchimie du logiciel produit quelque chose d’intéressant (bien que cela reste à voir au regard des premiers résultats). Notre discours académique doit renforcer l’importance de l’éthique dans un monde digital. C’est vrai pour la production intellectuelle et encore plus vrai dans le cadre d’une prise de décision reposant sur des analyses de données. C’est l’humain qui doit prédominer et non devenir lui-même une machine froide acceptant uniquement des résultats numériques, certes importants, pour décider des grandes orientations des organisations humaines.

Apprivoiser ChatGPT

J’insiste enfin sur le développement de l’esprit critique. Pourquoi perdre une opportunité de s’exprimer lorsqu’un professeur adresse à un étudiant un sujet qui lui permet de donner son avis ? Pourquoi ne pas chercher à identifier les origines des informations afin de distinguer ce qui est vrai de ce qui est faux ? L’Intelligence artificielle n’est pas à l’abri des fake news. Mais au-delà de ces fleuves de fausses informations, il faut aussi questionner nos croyances sociétales et rechercher les avancées scientifiques de l’époque.

Ces deux qualités et compétences à la fois, l’éthique et l’esprit critique, sont les défis à relever pour l’enseignement supérieur dans un monde digital bruyant. N’oublions pas qu’enseigner met le professeur dans une posture d’apprendre en permanence pour mieux guider les apprentissages. Cela ne fait aucun doute : le professeur verra son rôle évoluer et il en sortira grandi. Plus qu’une menace, ChatGPT est une opportunité pour l’enseignement supérieur qui s’inscrit dans la dynamique des évolutions de nos sociétés.

Geneviève PoulingueDoyenne de SKEMA Brésil.

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