Près d’un tiers des joueurs sélectionnés par leur équipe nationale pour la Coupe d’Afrique des nations ne sont pas nés en Afrique. Si le recrutement de joueurs venus d’ailleurs semble renforcer momentanément le football africain, peut-il avoir des conséquences moins positives à long terme ?
Qui remportera la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) dimanche prochain ? À l’issue de l’édition précédente, en 2022, c’est le capitaine du Sénégal, Kalidou Koulibaly, qui avait soulevé le trophée. En 2019, le capitaine Riyad Mahrez avait mené l’Algérie à la victoire. Aucun de ces deux joueurs n’est né en Afrique. En cas de victoire du Nigeria, le trophée ne serait, une fois de plus, pas soulevé par un natif du continent africain : William Troost-Ekong, l’actuel capitaine des Super Eagles, est né aux Pays-Bas. Sur les 630 joueurs convoqués, 200 sont nés en dehors du continent. La carte ci-dessous indique leurs lieux de naissance.
Le pays non africain qui a vu naître le plus grand nombre de joueurs présents à la CAN est la France, avec 104 joueurs, suivie de l’Espagne avec 24 joueurs, puis du Royaume-Uni avec 15 joueurs. Des natifs de l’Irlande et de l’Arabie saoudite participent aussi au tournoi cette année.
L’équipe nationale marocaine était celle comptant le plus grand nombre de joueurs issus de la diaspora : 18 d’entre eux sont nés hors du pays qu’ils représentaient, alors que seuls 9 membres de l’équipe sont nés dans le pays. La Guinée équatoriale et la République démocratique du Congo comptent, elles, respectivement 17 et 16 joueurs issus de la diaspora.
Le cœur a ses raisons…
Une intense bataille visant à attirer les talents se dispute actuellement dans le monde du football. Elle implique souvent la naturalisation de footballeurs, qui se retrouvent parfois à jouer pour une équipe nationale alors qu’ils ont déjà joué pour une autre (ce qui est possible depuis 2020, avec toutefois des restrictions importantes). Certains États effectuent même un ciblage spécifique de joueurs susceptibles de renforcer leur sélection nationale dans des pays du monde entier.
Le cas de l’Afrique reste cependant bien à part. Il reflète à la fois son passé colonial et l’importance de ses diasporas présentes en de nombreux points du monde. Riyad Mahrez, par exemple, est né à Paris de parents d’origine algérienne et marocaine. La capitale française compte 331 000 Algériens et 254 000 Marocains. Les parents de Kalidou Koulibaly, natif de Saint-Dié-des-Vosges, sont tous deux nés au Sénégal ; et les chiffres indiquent qu’il y a plus de 100 000 Sénégalais en France.
A lire aussi : Coupe d’Afrique des Nations : la Chine déploie sa “diplomatie des stades”
Il ne s’agit pas seulement d’une histoire française : l’attaquant nigérian Ademola Lookman est né à Londres ; le Ghanéen Inaki Williams a quasiment toujours vécu à Bilbao et a porté une fois le maillot de la sélection espagnole ; les Marocains Sofyan Amrabat et Hakim Ziyech sont passés par les équipes de jeunes des Pays-Bas.
L’identité personnelle et la dynamique familiale comptent souvent parmi les raisons principales pour lesquelles les joueurs choisissent de représenter les équipes du lieu de naissance de leurs parents plutôt que celles du pays où ils sont nés eux-mêmes. Hakim Ziyech, par exemple, a déclaré :
« Le choix d’une équipe nationale ne se fait pas avec le cerveau mais avec le cœur. Je me suis toujours senti marocain, même si je suis né aux Pays-Bas. Beaucoup de gens ne comprendront jamais. »
Inaki Williams a, lui, évoqué l’influence de ses grands-parents :
« Je n’étais pas sûr de mon choix, mais un voyage au Ghana m’a aidé à comprendre ce que mes grands-parents en pensaient. Tout m’a semblé plus simple en voyant les gens et ma famille m’encourager à devenir un Black Star. »
Les cyniques affirment que certains de ces joueurs ne sont tout simplement pas assez bons pour être sélectionnés dans l’équipe nationale du pays où ils sont nés. Présenté dans ses jeunes années comme une future star du football anglais alors qu’il impressionnait sous les couleurs d’Arsenal, Alex Iwobi, 27 ans, joue aujourd’hui pour Fulham, équipe de milieu de tableau, et compte 72 sélections avec le Nigeria.
S’appuyer davantage sur les natifs du continent ?
D’autres observateurs s’inquiètent néanmoins de l’impact négatif que le recours aux diasporas peut avoir sur le football africain. Pour eux, faire venir des talents d’Europe et d’ailleurs ne serait qu’une stratégie cherchant à obtenir des résultats immédiats au détriment du développement à long terme du football sur le continent.
Une telle stratégie peut effectivement porter ses fruits rapidement : lors de la Coupe du monde au Qatar en 2022, le Maroc est devenu la première nation africaine à atteindre les demi-finales du tournoi. Cette performance lui a permis d’obtenir la meilleure place jamais enregistrée par une équipe africaine dans le classement de la FIFA (13e place). Le Sénégal se trouve également dans le Top 20 mondial.
Les performances récentes du Cap-Vert, éliminé aux tirs au but au stade des quarts de finale de la Coupe d’Afrique cette année, ont aussi montré que tout était possible, même pour des nations traditionnellement plus discrètes sur la planète football. L’équipe nationale de ce chapelet de dix îles de l’océan Atlantique, dont la population est inférieure à celle de la ville de Marseille, a terminé en tête d’un groupe difficile comprenant l’Égypte et le Ghana et a éliminé la Mauritanie en huitième de finale. Là aussi, de nombreux binationaux ont été remarqués et sollicités par la fédération capverdienne.
L’ancien gardien de but du Cameroun et de l’Olympique de Marseille Joseph-Antoine Bell ne s’enthousiasme pas outre mesure. Selon lui, la possibilité d’avoir recours à de nombreux joueurs issus de la diaspora rend le travail des dirigeants, des managers et des entraîneurs du continent africain trop facile, ce qui provoquerait une forme de passivité. Il a ajouté que ce phénomène démotiverait les joueurs nés, éduqués et vivant en Afrique.
Bien que la pratique de la sélection de joueurs issus des diasporas semble s’intensifier (l’impact de la mondialisation se faisant aussi ressentir), quelques pays continuent de s’appuyer fortement sur des joueurs nés et élevés sur le territoire national. L’Égypte, la Namibie et l’Afrique du Sud en sont des exemples. Joseph-Antoine Bell approuverait sans doute, lui qui a déjà appelé l’Afrique à développer des solutions internes en matière d’identification et de développement des talents. Le problème, c’est que cela demande du temps, de l’argent et de la patience – des denrées précieuses dans le football en général, et pas seulement en Afrique.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.