Coupe du monde de rugby : des inégalités femmes-hommes persistantes

Coupe du monde de rugby : des inégalités femmes-hommes persistantes

En 2019, 857 millions de personnes ont regardé la Coupe du monde de rugby, organisée au Japon. Dans moins d’un an, l’équipe de France féminine participera à la 9e édition de la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande. Si les précédentes éditions (2014 et 2017) ont obtenu d’excellents scores d’audience, les matchs féminins restent sous-médiatisés et fortement dévalorisés par rapport aux matchs masculins. À l’approche de la Journée internationale du sport féminin, prévue le 24 janvier 2021, le constat est sans appel : le rugby féminin, et plus largement le sport féminin, manque toujours autant de visibilité, de reconnaissance et de notoriété.

Inégalités visibles et quantifiables

Depuis l’édition 2014, organisée en France, l’engouement pour le rugby féminin est pourtant bien réel. Rappelons que la rencontre entre la France et l’Australie a réalisé un record d’audience avec plus de 1 827 millions de téléspectateurs en moyenne pour 10,2 % de part d’audience, avec un pic en fin de match à plus de 2,2 millions. Pour l’édition 2017, en Irlande, on comptabilise 45 millions de vues sur Internet ; la diffusion du match Angleterre versus France sur France 2 a réuni en moyenne 3 020 000 téléspectateurs, pour 15 % de part d’audience. Malgré la défaite des Bleues, le pic de 3,4 millions de téléspectateurs a été atteint pendant la rencontre.

En parallèle, la pratique du rugby ne cesse de croître chez les femmes. Céline Bourillot, vice-présidente en charge du rugby féminin, note même, depuis 5 ans, une hausse moyenne des licenciées de plus de 15 % chaque année.

Malgré tout, si ces scores sont encourageants, ils restent en deçà du succès que rencontre le rugby masculin. Ces quelques millions de téléspectateurs ne représentent en effet pas grand-chose face au record d’audience atteint en Asie en 2019. Le triomphe de l’Afrique du Sud sur l’Angleterre a été le match le plus regardé de toutes les finales de Coupe du monde de rugby, avec une audience moyenne en direct de 44,9 millions de téléspectateurs.

Des préjugés qui perdurent

Si le rugby féminin n’est pas au même niveau que le rugby masculin, c’est sans doute en raison d’un ensemble de préjugés qui ont longtemps freiné son émancipation. Avec le football, le rugby fait encore partie des sports proportionnellement les moins pratiqués par les femmes, pour des raisons uniquement culturelles – un mélange d’injonctions faites aux femmes et de méconnaissance de leurs capacités.

En 1969, le colonel Crespin, directeur national de l’éducation physique et des sports avançait :

« Le rugby est contre-indiqué pour les joueurs filles et les femmes pour des raisons physiologiques évidentes. Cette pratique présente des dangers sur le plan physique et sur le plan moral… Aussi, je vous demande instamment de ne pas aider les équipes de rugby féminin… ».

Dans une période plus contemporaine, les propos de Fabien Galthié, en 2007 étaient tout aussi désobligeants :

« Pratiquer le rugby pour une femme, je ne pense pas que ce soit idéal, il y a des sports plus féminins […] ».

Les préjugés sont résistants. Le développement de la pratique féminine a largement pâti de ce type de représentation misogyne qui perdure encore aujourd’hui.

Malgré tout, les esprits commencent à évoluer, dans la société, les fédérations sportives et les clubs. La croissance du nombre de pratiquantes, en France, montre que les remarques sexistes ont de moins en moins d’effets ou qu’elles sont moins prises en compte. En 1989, le rugby féminin ne compte que 500 licenciées environ contre 200 en 1971. Depuis, le nombre de rugbywomen ne cesse de croître : 3700 en 2003, 5 350 en 2006, 5 800 en 2007 et autour de 14 000 en 2016. Au 31 mars 2020, 23 470 pratiquantes dont 3052 « loisirs et nouvelle pratique ». Les effectifs ont plus que doublé en 7 ans : elles n’étaient que 11 441 en juin 2013. Les féminines représentent aujourd’hui 10,2 % des effectifs pratiquant le rugby en France.

Pour plus d’égalité

Depuis 2014, la volonté est de favoriser la pratique féminine. World Rugby (l’organisme international qui gère le rugby à XV et le rugby à sept) a adopté une série de règles en faveur de l’égalité homme-femme. Parmi les nouveautés, notons que les compétitions des joueuses de rugby ne porteront plus la mention « féminine ». L’objectif de « cette initiative révolutionnaire », est que les femmes et les hommes soient logés à la même enseigne.

D’après le communiqué de presse World Rugby du 21/08/2019, il s’agit de « rehausser le profil du rugby féminin, tout en éliminant tout parti pris inhérent ou perçu en faveur des seules compétitions et tournois masculins, qui n’ont traditionnellement pas été déterminés en fonction du sexe. »

Cette volonté est tout aussi présente au niveau de la formation des entraineurs. Lors de la dernière Coupe du monde de rugby féminin en Irlande, il n’y avait qu’une seule femme sélectionneur… Pour accélérer la féminisation du métier, World Rugby offre un tremplin à d’ex-internationales qui intégreront une sélection comme stagiaires lors du Mondial 2021 en Nouvelle-Zélande.

En France, la FFR a véritablement œuvré pour plus d’égalité. Les 24 académies fédérales ont remplacé les 14 pôles « espoirs » pour permettre un meilleur maillage du territoire français dans l’accès à la formation de haut niveau. Les jeunes filles et garçons sont accueillis dans la même structure et partagent même des entraînements. Tandis que 184 joueuses pratiquent le rugby, réparties dans 18 des 24 Académies Fédérales lors de la saison 2019-2020, 28 % des jeunes dans les Académies sont des filles. La création de la Commission Haute Performance du rugby français, avec un pôle rugby féminin montre également la volonté de développer des synergies communes entre les équipes féminines.

Une professionnalisation à la traîne

Les actions vers une plus grande égalité entre rugby féminin et rugby masculin sont nombreuses et significatives. Pour autant, l’évolution du rugby féminin est beaucoup plus lente que pour le rugby masculin. Elle franchit les paliers au fil des grands rendez-vous, notamment avec les excellents résultats des équipes de France à XV comme à VII. La professionnalisation des joueuses en France est en retard sur les nations qui trustent les premières places des tournois mondiaux. En 2018, la signature de 24 joueuses, sous contrats fédéraux, représentait déjà une évolution majeure. En 2019, 26 joueuses étaient sous contrats fédéraux. Mais, il a fallu attendre la fin du Tournoi des Six nations Féminin (2018), pour que la professionnalisation de 4 membres du staff du XV de France Féminin puisse se réaliser. Ces efforts sont positifs, mais ils sont insuffisants quand on sait que le reste des effectifs de l’Elite 1 – la première division du Championnat de France de rugby féminin – doit « jouer les équilibristes pour continuer d’assouvir sa passion et gagner sa vie ».

Rugby féminin et masculin ne sont donc toujours pas sur un pied d’égalité. En France, malgré les efforts notables de la fédération française de Rugby en termes de féminisation, la professionnalisation de la pratique met en évidence de fortes inégalités avec le rugby masculin. Dans ce cadre, les victoires des féminines sont encore plus impressionnantes. Rappelons que leur palmarès est exceptionnel avec notamment 6 victoires lors du tournoi des 6 nations à 15 (dont 5 grands chelems) en 2002, 2004, 2005, 2014, 2016, 2018 !

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Franck LuccisanoPhysical education teacher, SKEMA Business School

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