COVID-19, doit-on s’attendre au « grand exode des collaborateurs? »

COVID-19, doit-on s’attendre au « grand exode des collaborateurs? »

Depuis le début de la pandémie globale du Covid-19, plusieurs études et rapports ont mis en avant la nécessité de faire évoluer les designs organisationnels, notamment la configuration structurelle et l’organisation du travail, vers des modalités favorisant l’agilité et la résilience pour mieux résister à cette crise et se préparer aux suivantes.

Si l’organisation et le travail post-Covid19 ont connu un certain intérêt, nous recensons en revanche peu d’études consacrées aux collaborateurs et à l’évolution de leurs attentes. Et pourtant, il est facile d’observer lorsque l’on est praticien des ressources humaines l’émergence d’attentes salariales fortes sur l’organisation du travail – certes le télétravail, mais pas seulement – et une incertitude concernant le recrutement et la rétention des collaborateurs.

Des tendances qui s’accélèrent

Ces tendances ne sont pas nouvelles, comme le montrent les enquêtes annuelles Global Human Capital Trends de Deloitte depuis plusieurs années… Elles se sont accélérées et renforcées post-pandémie. Alors oui, l’hybride est une piste, mais peut-être pas pour toutes les organisations ni pour tous les collaborateurs. Et que dire de « l’hybride de façade » ? Celui mis en place sans alignement de l’organisation du travail, ni d’effort d’adaptation de la culture organisationnelle, ni de développement des compétences des collaborateurs – notamment l’accompagnement des managers -, sans les bons outils digitaux… Finalement sans autre sens que celui de la pression isomorphique mimétique – « les autres le font, on va faire pareil ! »

Quand j’écris sur les organisations, j’écris avec l’hypothèse selon laquelle elles devraient être conçues en harmonie avec les attentes des collaborateurs, ce que Gary Hamel aime appeler le « management 2.0 » (adapter les organisations aux êtres humains – « make organisations that are fit for human beings » – et non l’inverse). Qu’attendent alors les collaborateurs du travail post- Covid19 et de l’organisation post-Covid19 ?

40% des collaborateurs sur le départ

Le point de départ de ce questionnement est une étude récente publiée par McKinsey & Company sur la vague de départ à venir des collaborateurs (5 pays, plus de 5000 répondants) : 40% des collaborateurs pourraient quitter leurs emplois dans les 3 à 6 mois et, pour une majorité d’entre eux, ils le feraient sans même attendre d’avoir trouvé un job de substitution. L’étude de McKinsey souligne que cette tendance (le « grand exode des collaborateurs« ), qui a commencé pendant la pandémie et semble s’accélérer, est de plus ample que ce que nous pouvions le penser. Plusieurs pays, industries, tailles d’entreprises et postes sont concernés. Les principales explications qui émergent soulignent deux dimensions : le manque de valorisation et le déséquilibre vie professionnelle-vie privée. Certes, on peut imaginer que la rétention et l’attrition post-Covid19 sont de forts enjeux dans certaines industries où les conditions de travail sont extrêmes (par exemple la santé, la restauration, l’hôtellerie, la logistique et la manutention, etc.), mais les études montrent que c’est généralisé.

Le cas de Google est, à ce titre, très intéressant. L’entreprise – cible de critiques sur son approche de la diversité – a dû en effet se justifier à plusieurs reprises de façon formelle auprès de ses parties prenantes, et notamment de ses collaborateurs  pour dire que le turnover post-Covid-19 était normal et qu’ils ne devaient pas s’en inquiéter. Le turnover semble être généralisé, même si les raisons peuvent varier d’une industrie à l’autre. Comme tentative d’explication de cette vague de départs, l’étude de McKinsey Company souligne qu’il existe trois principaux problèmes que les organisations n’ont pas encore réussi à résoudre :

  • une charge de travail/workload difficile à gérer,
  • un manque d’opportunité de développement professionnel,
  • le sentiment de pas être accompagné et aidé par ses collègues et/ou ses pairs.

« La rémunération ne suffit pas à fidéliser »

Selon l’étude EY publiée en mai dernier (plus de 16000 répondants sur 16 pays différents) et intitulée Work Reimagined Employee Survey 2021, plus d’un employé sur deux serait prêt à quitter son emploi s’il ne bénéficie pas de flexibilité concernant notamment son lieu, son espace ou l’organisation de son temps de travail. –. Il est intéressant de noter que les millennials, selon cette même étude, seraient deux fois plus à même de quitter leurs entreprises que les baby-boomers.

Les deux études convergent donc sur les attentes fortes des collaborateurs quant à la qualité de vie au travail, l’identité au travail (et notamment la socialisation et l’appartenance à un collectif) et le sens du travail effectué. L’approche de la rémunération est toujours importante, mais elle ne semble plus suffisante pour retenir les collaborateurs si les dimensions citées ci-dessus sont absentes. 

Par exemple, l’étude d’EY souligne que ce sont notamment les collaborateurs les plus performants qui partent le plus facilement quand les politiques de rémunération – même attractives – ne sont pas alignées avec le reste et notamment le workload/charge de travail qui favorise ou pas l’équilibre vie privée-vie professionnelle. Les approches total rewards les plus efficaces semblent être celles qui sont attractives aussi bien au niveau des salaires et des bonus qu’au niveau de la reconnaissance, du développement de carrière, de la flexibilité du travail et de l’ambiance au travail. Les résultats des deux études rappellent encore une fois les tendances déjà identifiées dans les Global Human Capital Trends de Deloitte depuis plusieurs années.

Retourner au bureau…ou ne jamais y revenir ?

Il existe un consensus parmi les experts des ressources humaines sur la nécessité d’améliorer l’expérience collaborateur . L’hybridation semble en effet être une voie de convergence entre les attentes des organisations et celles des collaborateurs… néanmoins, gare aux fausses promesses : l’hybridation ne règle pas tous les maux. Il existe indéniablement des évolutions sociologiques qui impactent le rapport au travail. Ce qui est intéressant à noter dans les études présentées plus haut est que les entreprises ne sont pas toutes conscientes des motivations profondes des départs des salariés et parfois fondent encore leurs pratiques sur des hypothèses qui ne reflètent pas ou plus les réalités de la workforce. Il suffit de regarder les tendances avant et pendant Covid-19 – les slashers, les digital nomads, les 100% remote ou WFA (work from anywhere) etc. – pour se questionner sur le degré d’alignement des organisations et la pertinence (culture/structure/organisation du travail/compétences des collaborateurs) face à ces changements.

Il y a encore quelques mois, certaines organisations avouaient avoir du mal à convaincre leurs collaborateurs de retourner au statu quo d’avant crise. Certaines se plaignaient, par exemple, du fait que leurs collaborateurs ne voulaient pas revenir au bureau. Peut-être ces collaborateurs ne souhaitent-ils pas revenir tout court !

Ce n’est pas tant le retour au bureau qui poste un problème, mais le retour au travail tel qu’il a été pensé et conçu avant la crise. Aux professionnels des ressources humaines de ne pas louper le coche – et de convaincre si nécessaire les décideurs de changer de mindset – car c’est bien le rapport au travail qui semble évoluer.

Cet article a initialement été diffusé sur Focus RH.

Amine EzzeroualiAmine Ezzerouali, Professor of Organisations Management, SKEMA Business School

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