Le Diem de Facebook : cryptomonnaie de demain ou chimère financière ?

Le Diem de Facebook : cryptomonnaie de demain ou chimère financière ?

Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, a créé la surprise le 29 octobre dernier, en annonçant non seulement le changement de nom de la maison mère du groupe en « Meta », mais aussi la création imminente d’un monde virtuel qui viendrait se superposer au nôtre : le « Metaverse ». Une bande annonce de science-fiction tombée à point nommé pour Facebook qui a sans nul doute souhaité éclipser le témoignage accablant de Frances Haugen, une ex-employée de la société à l’origine d’une fuite de milliers de documents révélant les insuffisances du réseau dans sa politique de modération de contenus. Ce colosse économique, à l’intégrité d’argile pour certains, entend ainsi poursuivre son évolution en diversifiant ses services. Si le F des GAFAM profitait de l’hégémonie de la pensée néolibérale pour dominer l’économie informationnelle qu’est Internet, il a maintenant pour objectif de conquérir un marché sur lequel on ne l’attendait pas forcément, celui de la finance, avec une cryptomonnaie désignée sous le nom de Diem.

Le projet suscite autant de crainte que de fascination. Initialement annoncé pour l’année 2021, le Diem risque de bousculer les systèmes de paiement traditionnels et soulève de nombreuses questions stratégiques aussi bien pour les utilisateurs que pour les Etats.

Un projet légitime?

L’avènement des nouvelles technologies et d’Internet a permis à des milliards de personnes dans le monde d’avoir accès à des connaissances, des services ainsi que de communiquer à distance rapidement. Ces différentes pratiques peuvent paraître anodines aujourd’hui. Elles ne l’étaient pourtant pas il y a une vingtaine d’années. Ces services sont désormais accessibles à partir d’un simple smartphone. L’essor de la connectivité dans les différents secteurs de l’économie doit néanmoins être nuancé : 1,7 milliard d’adultes dans le monde sont encore exclus du système financier et n’ont pas accès à une banque traditionnelle, dont 1 milliard possèdent un smartphone et 500 000 ont accès à internet. Tel a été le constat de Facebook ; ou du moins, telle a été la justification du projet, initialement nommé Libra. L’objectif serait ainsi de permettre l’accès au système financier, par le biais de smartphones à toutes les personnes sur terre, et a fortiori de leur offrir la possibilité de réaliser des achats et des transferts d’argent en ligne «d’un simple clic».

La question reste néanmoins de savoir si l’émergence d’une « monnaie » privée, avec pour ambition de viser l’intérêt général, est légitime. En effet, l’objectif traditionnel de toute entreprise n’est-il pas la réalisation de profits ?

Pour atteindre un tel dessein, la solution de Facebook tient en un mot : blockchain. Résolvant les problèmes d’accessibilité et de fiabilité, tout en garantissant un niveau élevé dans les transactions, la blockchain est un dispositif d’enregistrement électronique partagé. Elle assure l’authentification d’opérations sur titres spécifiques et permettrait ainsi à toute personne disposant d’une connexion Internet d’avoir accès à des services financiers sécurisés sans passer par les intermédiaires du système bancaire traditionnel.

Les risques intrinsèques au projet

À ces questions relatives aux objectifs de la Diem Association (ex Libra Association) s’ajoute la nature juridique de cette monnaie longtemps restée incertaine. En effet, la règlementation n’ayant pas été rédigée pour l’encadrer spécifiquement, il a semblé peu aisé de la qualifier juridiquement, ce qui rend difficile la protection de ses éventuels utilisateurs français. En effet, à ses débuts, le Libra semblait être à la fois une blockchain sécurisée offrant la possibilité de réaliser des transactions ainsi qu’un mode de paiement adossé à une réserve d’actifs permettant de lui apporter une valeur intrinsèque stable. Cet exercice de qualification permet de le qualifier de stablecoin, cryptomonnaie dont la valeur serait stable car adossée à celle de plusieurs monnaies fiduciaires. Les stablecoins ne sont pas encore encadrés juridiquement, de telle sorte que la Diem Association a longtemps joui d’un vide juridique qui lui a permis de développer ses activités. Pour le combler, la Commission européenne a néanmoins entendu, par le projet de règlement MiCA en date du 24 septembre 2020, proposer un régime juridique spécifique à ces derniers, inspiré notamment du régime juridique de la monnaie électronique. Toutefois, le Diem serait un stablecoin particulier qui, à la différence des systèmes de blockchain déjà existants, serait offert aux 2,8 milliards d’utilisateurs de Facebook dans le monde.

À l’annonce du projet, de vives critiques de la part des régulateurs nationaux et internationaux ont émergé. De nombreuses problématiques juridiques ont ainsi été soulevées :

  • Le risque de non-respect de la vie privée dans les transactions est le plus évident. Une application rigoureuse du règlement général sur la protection des données (RGPD) est dès lors primordiale pour les utilisateurs européens. Ce risque de captation de données personnelles est d’autant plus sérieux que Facebook a connu de récents scandales quant à la gestion des données personnelles de ses utilisateurs. Accepteriez-vous vraiment que Facebook puisse accéder à vos données financières ?
  • Le Diem, en tant que cryptomonnaie, se veut par définition universel, c’est-à-dire sans frontière physique, culturelle ou juridique. Dès lors, quelle réglementation lui appliquer ? Les régulateurs internationaux ont été fermes : le Diem ne pourra pas échapper aux réglementations bancaires et financières locales.
  • La faiblesse du dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme interroge : cette cryptomonnaie utilisable via les différents réseaux sociaux que détient Meta (Facebook, Instagram, Whatsapp) ne sera-t-elle pas la porte d’entrée de dérives financières ? En effet, depuis une vingtaine d’années, la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme repose, pour l’essentiel, sur les intermédiaires en relation avec les donneurs d’ordres et bénéficiaires de transferts de sommes d’argent dont se passe spécifiquement le système initié par Facebook.
  • Le Diem est considéré à raison, comme un jeton hybride qui, entre fonction de paiement et fonction d’actif, augmente inévitablement les risques technologiques de son utilisation. Dès lors, défaillances et cyberattaques sont des hypothèses à sérieusement considérer.
  • Enfin, le Diem soulève une question critique, celle de la souveraineté monétaire, puisque la monnaie est, tout comme la diplomatie, l’armée et la justice, un attribut de la souveraineté des États. Le pouvoir de « battre monnaie » semble ainsi assurément remis en question.

Des changements de direction importants

Les réactions, au mieux sceptiques voire particulièrement hostiles de la part des régulateurs internationaux, ainsi que le départ de partenaires importants tels que Mastercard ou encore Paypal ont obligé la Diem Association à repenser son projet à plusieurs reprises.

En effet, la première version du projet, annoncée en juin 2019, qui avait pour objectif de lancer une cryptomonnaie universelle appelée « Libra », initialement adossée à un panier d’actifs, a rapidement laissé place à une deuxième version.

La Libra Association, à l’origine installée en Suisse, a alors eu pour ambition d’offrir, en plus de la pièce stable multidevises renommée « Diem », différentes pièces stables à monnaie unique (par exemple, DiemUSD ou ≋USD, DiemEUR ou ≋EUR, DiemGBP ou ≋GBP, DiemSGD ou ≋SGD).

En mai 2021, face à la réticence des régulateurs européens, la Diem Association déménageait son siège de la Suisse vers les États-Unis et y retirait sa licence de paiement. Le Diem a alors pris un troisième virage : celui de s’enregistrer en tant qu’entreprise de services monétaires outre Atlantique auprès du Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN). Loin des ambitions initiales, la Diem Association se concentre désormais sur l’émission d’une cryptomonnaie uniquement indexée sur le dollar qui sera réalisée par la banque californienne Silvergate.

En octobre dernier, le portefeuille numérique Novi de Facebook se lançait dans la phase de tests, mais avec une fonctionnalité majeure manquante : la prise en charge de la cryptomonnaie Diem de Facebook. Le programme pilote mis en œuvre aux États-Unis et au Guatemala, ne prend en charge que l’USDP, un « stablecoin » fourni par la Paxos Trust Company indexé sur le dollar américain grâce à des réserves de trésorerie de 100 %. Le programme pilote pour le portefeuille Novi est ainsi soutenu par Coinbase, qui agit en tant que partenaire de garde du produit via Coinbase Custody.

Derniers rebondissements en date : le départ de la tête pensante du projet, David Marcus. Ancien patron de Paypal, ce français qui a rejoint Facebook en 2018 a certainement estimé que les révélations de la lanceuse d’alerte ont été l’obstacle de trop. A cela s’ajoute la révélation de récentes discussions autour de la cession du projet à la banque partenaire Silvergate pour un montant de 200 millions de dollars...

Nous vivons une véritable révolution de nos solutions de paiement. De la même manière que le papier a laissé place aux communications électroniques au fil de la troisième révolution industrielle, la monnaie fiduciaire va certainement d’ici quelques années être remplacée par une monnaie digitale.

C’est pourquoi le risque de substitution, même partielle, de la monnaie de banque centrale par les stablecoins en tant qu’actif de règlement de référence inquiète les États, potentiellement dépossédés d’un des attributs de leur souveraineté. Les réflexions actuelles sur l’opportunité et les modalités d’une monnaie digitale de banque centrale (MDBC) ne doivent ainsi guère être vues comme une coïncidence. Si certains États ont d’ores et déjà une longueur d’avance comme la Chine qui a publié un projet de loi visant à créer un cadre réglementaire pour sa cryptomonnaie de banque centrale, la Banque centrale européenne a lancé en juillet dernier un “projet pilote” censé durer deux ans et destiné à tester l’intérêt d’un euro numérique, mais accessible aux particuliers.

D’ici là,  ne serons-nous pas déjà en train de faire nos courses en ligne dans le Metaverse en utilisant le Diem ?

Jahid ElgarniDiplômé double cursus, PGE et Master Droit des Affaires, SKEMA Business School et Université du Littoral Côte d'Opale

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Isabelle BufflierProfesseur de Droit des Affaires, SKEMA Business School

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