Dynamique des défaillances d’entreprises en France et crise de la Covid-19

Dynamique des défaillances d’entreprises en France et crise de la Covid-19

Dans le cadre d’une recherche jointe avec l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques nous avons étudié l’impact de la crise Covid-19 sur la solvabilité des entreprises à partir d’un échantillon d’un million d’entreprises françaises. L’étude, disponible en ligne (https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2020/OFCEpbrief73.pdf), se fonde sur un modèle de simulation où les entreprises minimisent leurs coûts de production dans un contexte de chute brutale de la demande. Dans ce travail, une entreprise est considérée comme insolvable dès lors qu’elle n’est plus capable d’honorer ses engagements auprès de ses employés, de ses fournisseurs, ou de ses partenaires financiers.

Les résultats principaux sont les suivants. La pandémie a un impact soudain, brutal et important sur la solvabilité des entreprises françaises. Comme le montre la figure 1, la baisse drastique des revenus associée aux mesures de confinement pour contenir l’épidémie, la présence de frictions sur les marchés des facteurs de production et de coûts fixes qui ne s’adaptent pas au niveau de production (ou le font très lentement, comme les charges, le loyer, des dépenses financières telles que les prêts ou les versements hypothécaires) pèsent sur les ressources liquides des entreprises non financières. Alors que dans un scénario “Hors Covid-19”, une fraction des entreprises (1,8% au début de 2021) connaîtraient des problèmes de solvabilité (c’est-à-dire une situation de cessation de paiement), cette valeur grimpe immédiatement à 3,2% en janvier 2021.

La simulation fournit deux autres enseignements importants. Le premier, tout à fait central, est relatif à l’efficacité du dispositif d’activité partielle mis en place par le gouvernement, puisque ce dispositif a un effet positif profond sur la solvabilité des entreprises. En prenant en charge une partie de la masse salariale des entreprises, le dispositif d’activité partielle (AP) réduit considérablement le nombre d’entreprises insolvables. La part des entreprises connaissant des problèmes de solvabilité atteindrait rapidement à 0,7% au lendemain de la crise pour grimper rapidement à 3% dès la mi-mai. Les défaillances atteindraient 4% dès septembre, 4,4% en janvier 2021 et 4,6% après un an après le confinement, une valeur deux fois plus importante que celle attendue sans la crise. Aussi, en mars 2021, et sur le million d’entreprises étudiées, nous évaluons à presque 12 000 entreprises le nombre de firmes restées solvables grâce au dispositif d’activité partielle.

Le second enseignement est que la crise de la Covid-19 a des effets différenciés par secteur, par taille, et par région. Les secteurs de l’hébergement-restauration, les services aux ménages et la construction sont particulièrement exposés aux défaillances d’entreprises. Les entreprises issues des secteurs du commerce et de l’industrie manufacturière sont affectées dans une moindre mesure. Les microentreprises et les grandes entreprises sont également exposées au risque de faillite, alors que les PME et les ETI sont plus solides. Enfin, le sud-est de la France essentiellement, et l’Ile de France dans une moindre mesure, devraient enregistrer une augmentation importante de défaillances.

Figure 1. Part cumulée des entreprises insolvables

Pour l’heure, il demeure difficile de savoir si la crise aura un effet prolongé sur l’économie française, ou si, au contraire, la crise est transitoire. Cela dépend, par exemple, de la confiance des consommateurs dans la reprise de l’activité, des choix d’investissements des entrepreneurs, ou encore de la survie des entreprises. Se pose alors la question de la capacité du marché à sélectionner les entreprises les plus viables et à écarter du jeu de la concurrence les entreprises le moins productives. Après tout, si le marché trie correctement le bon grain de l’ivraie, plutôt que de maintenir sous perfusion des entreprises appelées de toute façon à sortir du marché, une recommandation de politique publique serait d’accompagner la destruction créatrice en favorisant la réallocation des ressources humaines et financières vers des projets plus viables, par la formation professionnelle ou par la politique industrielle. Si au contraire le mécanisme de sélection de marché ne joue plus, cela impliquerait que des entreprises économiquement viables sont anormalement écartées du marché par ce choc productif sans précédent. Il peut alors être justifié pour l’Etat d’intervenir afin de maintenir ces entreprises en vie.

La figure 2 montre, par secteur, la part des entreprises insolvables qui se situe dans le quartile supérieur de la distribution de productivité totale des facteurs.  Si le mécanisme de sélection de marché opère correctement, cette part doit être nulle, ou du moins rester mineure. Si au contraire des entreprises productives sortent du marché, alors la concurrence joue mal son rôle d’allocation des ressources, et l’intervention de l’Etat peut se justifier.  D’une manière générale, le mécanisme de sélection de marché fonctionne correctement en situation de croissance régulière. Pour la plupart des secteurs, la part des entreprises insolvables provenant du quartile supérieur de productivité demeure en deçà de 3%, à l’exception des services immobiliers et des services aux entreprises. En situation de crise en revanche, le mécanisme de sélection se grippe puisque l’on observe une augmentation systématique de la part des entreprises productives dans la population des entreprises insolvables. Cette augmentation se remarque dans l’hôtellerie et la restauration où cette part est multipliée par 11, et dans la construction où les entreprises efficientes représentent 10% des entreprises insolvables.

Autrement dit, parmi les entreprises exposées au risque de faillite se trouvent des entreprises économiquement viables. Il est vraisemblable que leur fragilité provienne d’un niveau d’endettement initial important augmentant d’autant les coûts fixes ou d’une trésorerie trop faible sanctionnant tout écart de performance.

Figure 2. Part des entreprises insolvables appartenant au quartile supérieur de la productivité (par secteur)

Il est donc légitime pour les pouvoirs publics d’intervenir directement en proposant des aides aux entreprises les plus viables. En considérant les entreprises défaillantes du fait de la crise actuelle (environ 14 000 entreprises dans l’échantillon), les chercheurs montrent que le refinancement de leurs fonds propres représenterait un coût de l’ordre de 3 milliards d’euros pour les seules sociétés non-financières. Une autre stratégie serait de contribuer au fonds propres de toutes les entreprises insolvables, indépendamment de leur viabilité (environ 31000 entreprises). L’estimation du coût s’élèverait alors à 8 milliards d’euros.  Ce coût représente le montant nécessaire pour refinancer les fonds propres des entreprises au 1er septembre 2020, et ainsi éviter les faillites.

Cette politique peut être qualifiée de politique de discrimination partielle. Elle est discriminante dans le sens où, plutôt que d’allouer une aide inconditionnelle à un plus grand nombre d’entreprises, elle identifie de facto les entreprises qui ont réellement besoin d’une augmentation de capitaux propres. Mais elle demeure partielle dans la mesure où elle ne permet pas, sans autre procédure, de distinguer les entreprises viables (du moins à moyen terme), de celles qui de toute façon seront amenées à sortir rapidement du marché. Un tel mécanisme peut être décentralisé par l’existence d’un guichet public où les entreprises pourraient justifier de leurs besoins de fonds propres au 1er septembre 2020, sous condition d’attester de l’absence de défaut de paiement en 2019 pour justifier de leur bonne santé.

Lionel NestaLionel Nesta, Professeur des Universités et membre du GREDEG (CNRS- Université Côte d’Azur), Chercheur associé OFCE-SciencesPo, Professeur affilié et chercheur invité du centre de recherche KTO, SKEMA Business School

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Mattia GueriniMattia Guerini, Professeur d'économie et membre du GREDEG (CNRS- Université Côte d’Azur). chercheur affilié à l'OFCE – SciencesPo.

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