Real Madrid-Dortmund : vous avez dit “football populaire” ?

Real Madrid-Dortmund : vous avez dit “football populaire” ?
Borussia Dortmund's fans

Les plus puristes des amateurs de football se réjouissent de l’affiche de la finale de la Ligue des champions 2024 : deux clubs populaires dont les supporters jouent un rôle clé dans les décisions. Mais derrière cette image idyllique, les deux clubs sont bien plus imbriqués dans le football moderne qu’on ne veut bien le croire ou le dire.

Cette année, la finale de la Ligue des Champions est l’affiche idéale des puristes. Le Real Madrid, club détenu par ses fans (ou « socios »), affronte le Borussia Dortmund, où les supporters détiennent une participation majoritaire. Contrairement à la finale de l’an dernier, aucune des deux équipes n’est détenue par un État du Golfe ou une grande entreprise étrangère.

Le Real Madrid compte près de 100 000 « socios ». Ces supporters, qui détiennent une part du club, paient une cotisation annuelle leur permettant d’élire leurs dirigeants et de peser sur les décisions de la direction. Et si le Real Madrid ne met pas autant en avant son modèle collaboratif que son rival du FC Barcelone, les supporters continuent de jouer un rôle important en matière de gouvernance.

Un autre football ?

En Allemagne, la règle du « 50+1 » adoptée en 1998 par la fédération garantit que les membres de chaque club de supporters ont droit à la majorité des votes lors de l’assemblée générale. Ils détiennent au moins 50 % du capital (plus une action). Au total, le Borussia Dortmund compte près de 1 000 clubs officiels de supporters, pour un total d’environ 60 000 membres.

Ces modèles de participation ont de quoi rendre envieux les supporters d’autres pays. Mais dans le monde du football moderne, résolument tourné vers les affaires, cette mise en avant d’une forme de social-démocratie sportive ne saurait cacher des réalités politico-financières moins idéalistes.

L’histoire du Real Madrid est assez tumultueuse, qu’il s’agisse de son association avec le franquisme (le stade du club s’appelle même « Santiago Bernabéu », le nom d’un loyaliste franquiste) ou de la perception illégale d’aides de l’État.

Plus récemment, le club s’est imposé comme un mastodonte commercial générant des revenus dans toutes sortes de secteurs. Pour sponsoriser ses maillots, le Real a signé en 2011 un contrat avec Emirates, la compagnie aérienne détenue par l’État de Dubaï, estimé à 70 millions d’euros par saison. Le club a également conclu un accord visant à soutenir le tourisme à Dubaï, qui vient renforcer ses liens déjà très forts avec la région du Golfe, malgré des préoccupations en matière de droits de l’homme dans l’émirat.

En Espagne, le Real Madrid a récemment inauguré son nouveau stade Bernabéu. Taylor Swift fut l’une des premières stars à se produire dans cette enceinte ultramoderne de 85 000 places, financée dans le cadre d’une série de prêts accordés par des bailleurs, et notamment par JP Morgan, l’une des plus grandes institutions financières au monde.

“Mur jaune” et football doré

Quid du Borussia Dortmund, ce club implanté dans la région de la Ruhr, un bassin ouvrier connu pour son rôle majeur dans la grande histoire industrielle de l’Allemagne ? Moins célèbre et moins riche que le Real Madrid, le Borussia est connu pour son « mur jaune », le nom donné à la tribune des fans soutenant leur équipe à domicile dans le Signal Iduna Park.

En début de saison, les supporters ont organisé des manifestations contre la vente potentielle des droits de diffusion de la Bundesliga à une société d’investissement américaine et contre la marchandisation que connaît le monde du ballon rond.

Toutefois, le fait que le stade du Borussia Dortmund porte le nom d’une société de services financiers (même si la plupart des supporters l’appellent encore par son ancien nom, le « Westfalenstadion ») vient souligner encore un peu plus l’importance des contributions économiques majeures dont dépendent aujourd’hui de nombreux clubs européens.

Si, pour beaucoup, le club allemand semble être un symbole de démocratie et d’égalité, on compte parmi ses propriétaires des fonds d’investissement privés britanniques, espagnols et français. La vocation de ces entreprises est de gagner de l’argent, pas de préserver le caractère romantique du football européen. Puma, la célèbre marque allemande de vêtements de sport, s’ajoute à ces investisseurs en tant que copropriétaire et partenaire historique du Borussia Dortmund. Bien que la société ait récemment mis fin à un accord avec la fédération israélienne de football, elle est l’une des cibles principales des militants propalestiniens depuis plusieurs années.

Real politik

Et si le club n’est pas ouvertement impliqué dans la recherche d’opportunités commerciales dans la région du Golfe, la Chine figure parmi ses marchés extérieurs les plus importants. Le club a d’ailleurs récemment ouvert un bureau à Shanghai et une académie à Xiamen.

Les inquiétudes liées aux droits de l’homme en Chine n’ont pas empêché Dortmund de se tourner vers ce marché prometteur, même si l’intensification des tensions politiques entre la Chine et les États-Unis, avec lesquels le club entretient également des liens étroits pourrait venir compliquer les choses.

L’harmonie géopolitique n’est de toute façon pas le but recherché. Comme pour toute autre équipe évoluant dans les meilleures ligues européennes, le club cherche avant tout – en plus d’accumuler des trophées – à écouler des maillots ou des chaussures, à gagner autant d’argent que possible. Il ne s’agit pas de satisfaire aux exigences des supporters, indépendamment de leur loyauté ou de l’importance qu’ils accordent à leur équipe.

Pour les puristes, cette finale de la Ligue des champions semble être une rare occasion de célébrer les valeurs européennes et une certaine approche populaire du football. Mais cela reste un vœu pieux, qui ne tient pas compte du fait que les réseaux financiers et géopolitiques internationaux ont désormais la mainmise sur le monde du ballon rond.

Cet article a initialement été publié en anglais sur The Conversation.

Simon Chadwick

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Paul WiddopReader of Sport Business, Manchester Metropolitan University

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