Finale de la Ligue des Champions : Abu Dhabi et la Chine, déjà grands gagnants

Finale de la Ligue des Champions : Abu Dhabi et la Chine, déjà grands gagnants

Qui de Manchester City ou de l’Inter Milan remportera la Ligue des Champions ? Sportivement, tous les amateurs de football seront devant leur écran pour avoir la réponse. Mais d’un point de vue géopolitique, être présent en finale de la plus prestigieuse compétition européenne est déjà une victoire pour les propriétaires chinois et émiratis des deux clubs.

La saison des clubs de football européens se terminera en beauté, ce samedi 10 juin, avec la finale de la Ligue des Champions à Istanbul en Turquie. Le club anglais de Manchester City, que beaucoup considèrent comme favori après sa démonstration en demi-finale retour contre le Real Madrid (4-0), affrontera les Italiens de l’Inter Milan. Club anglais contre club italien, certes, pour le rendez-vous de ballon rond le plus attendu de l’année européenne, mais au-delà, City évolue sous pavillon émirati, tandis que Suning, géant chinois de la distribution de produits électroniques, est actionnaire majoritaire de l’Inter.

En 2008, City avait été racheté par l’Abu Dhabi United Group for Development and Investment, une organisation étroitement liée au gouvernement de l’émirat du Golfe. A été nommé à sa présidence Khaldoon Khalifa Al Moubarak qui est, entre autres, directeur général de la Mubadala Investment Company, le fonds souverain d’Abu Dhabi.

Clubs sandwich

Suning Holdings Group, fondée en 1990 par Zhang Jindong, membre du Parti communiste chinois, avait pour sa part mis la main sur le club intériste en 2016. C’est le fils de Jindong, Kangyang (appelé aussi Steven), qui en est président. Le groupe reste proche du pouvoir, le gouvernement chinois ayant notamment récemment demandé aux prêteurs nationaux de renflouer Suning pour qu’il puisse faire face à ses problèmes financiers liés à la crise sanitaire.


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Les deux clubs sont devenus des panneaux publicitaires mondiaux pour les nations de leurs propriétaires respectifs ; City est sponsorisé par des sociétés d’Abu Dhabi telle que la compagnie aérienne publique Etihad qui a donné son nom au stade dans lequel le club évolue. Parmi les sponsors de l’Inter, on retrouve des entreprises chinoises telles que LenovoHisense et Volvo (dont la société mère, Geely, est chinoise depuis 2010).

Posséder ainsi deux clubs de football européens prestigieux et prospères n’est ni une question de vanité ni un simple exercice de marketing. C’est d’abord de la géopolitique.

Pékin et Abu Dhabi, des intérêts convergents

L’investissement d’Abu Dhabi dans City a évolué à tel point qu’il s’agit désormais d’un réseau mondial de franchises, connu sous le nom de City Football Group (CFG). Douze autres clubs hormis Manchester en font partie, dont le New York FC, Palerme et Troyes. Bien que certains observateurs considèrent cette évolution comme une tentative de domination sportive, le réseau est sans doute plus un instrument de politique et de stratégie géopolitique qu’autre chose.

Fin 2015, China Media Capital (CMC) a acquis une participation dans le City Football Group. Elle représente actuellement 8,2 % de l’ensemble des actions après la vente d’une partie des parts à l’automne 2022 au groupe américain Siler Lake. L’annonce en 2015 a coïncidé avec la visite du président chinois Xi Jinping à Manchester, au cours de laquelle il a rencontré Al Moubarak et le premier ministre britannique de l’époque, David Cameron. Le président de la CMC, Li Ruigang, un autre membre du Parti communiste chinois et ancien fonctionnaire, était également présent.

Les intérêts convergents d’Abu Dhabi et de la Chine à Manchester City ne représentent qu’une partie des relations entre les deux pays. Depuis près d’une décennie, ces relations ont été qualifiées d’étroites et de fraternelles.

Les routes de la soie du football

C’est ainsi qu’en 2015 également, un fonds commun de coopération en matière d’investissement a été lancé. Entre-temps, l’État du Golfe a continué à soutenir la Belt and Road Initiative (BRI) de Xi, un grand projet de « nouvelles routes de la soie » visant à promouvoir le développement des infrastructures et du commerce à l’échelle mondiale.

En 2018, le président Al Moubarak avait obtenu une fonction supplémentaire en tant qu’envoyé spécial présidentiel d’Abu Dhabi en Chine. Un an plus tard, le City Football Group annonçait l’ouverture d’une nouvelle franchise chinoise à Chengdu, une ville dont la réputation n’est pas très éloignée de celle de Manchester (en tant que centre de la musique, des arts et de la culture). Plus important encore, la veille de cette annonce, Etihad a confirmé que l’aéroport de Chengdu deviendrait un centre de transit majeur pour la compagnie aérienne.


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Les liens entre le City Football Group, Abu Dhabi, la Chine et la BRI ne se sont pas arrêtés là. Certains analystes ont même demandé que l’ensemble soit examiné de plus près, notamment en 2022 quand la franchise de football a acquis le club italien de Palerme, dans le cadre d’une transaction chiffrée à 13 millions d’euros.

En parallèle, la Chine s’était en effet engagée dans des investissements portuaires dans le cadre de l’initiative BRI à travers la Méditerranée, le port sicilien de Palerme, carrefour entre l’Europe et l’Afrique présentant donc un intérêt particulier pour le Parti communiste chinois.

Milan comme plaque tournante ?

Le football semble avoir souvent été le moyen d’atteindre d’autres objectifs sous-jacents pour Abu Dhabi et la Chine. L’organisation qui détient les droits de retransmission des matchs de la Serie A italienne au Moyen-Orient et en Afrique du Nord en est une autre indication : elle n’est autre qu’Abu Dhabi Media, une entreprise publique. En outre, Mubadala, le fonds souverain émirati, a récemment misé gros sur la Chine, investissant des centaines de millions de dollars dans le pays.

Comme Abu Dhabi, l’Italie est membre de la « Belt and Road Initiative », même si, ces derniers mois, le pays a mis en place des plans pour la quitter. Milan n’offre pas les avantages portuaires ou côtiers stratégiques de Palerme, mais les liens entre le club et le PCC ont permis à la Chine de se projeter dans des territoires clés, par exemple l’Adriatique où elle a également investi dans le football croate.

À Milan même, la création d’un nouveau stade fait l’objet de discussions depuis plus d’une décennie. L’Inter partage le stade Giuseppe Meazza, plus communément nommé « San Siro », avec son rival de la ville, l’AC Milan. La China Railway Construction Company (CRCC) souhaitait un temps prendre la tête de la construction de la nouvelle enceinte. Celle-ci a d’ailleurs fait l’objet d’une ordonnance du gouvernement des États-Unis interdisant à toute société ou tout particulier américain de détenir ses actions en raison de ses liens avec l’Armée populaire de libération de la Chine (APLC).

Inter ou City ? L’issue du match se trouvera dans les pieds des joueurs. Quel qu’en soit le résultat néanmoins, les grands gagnants de ce concours très médiatisé sont peut-être d’ores et déjà Abu Dhabi et Pékin.

Cet article a initialement été publié sur The Conversation.

Simon Chadwick

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Paul WiddopReader of Sport Business, Manchester Metropolitan University

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