L’Europe n’a plus le monopole de la F1

L’Europe n’a plus le monopole de la F1

La Formule 1 est de retour ! Alors que la cinquième saison de la série à succès de Netflix, « Drive to Survive », est déjà là, ce n’est pas un hasard si le Championnat du Monde de F1 débutera à nouveau à Bahreïn cette année. La plus grande compétition automobile doit s’adapter aux changements géopolitiques. Et se réinventer à l’aune des intérêts de nouveaux acteurs…

Le récent décès du pilote français Jean-Pierre Jabouille, à l’âge de 80 ans, est à la fois un triste événement et un rappel de l’évolution de la Formule 1 au cours des quatre dernières décennies. Jabouille a remporté deux courses au plus haut niveau, mais il est peut-être plus connu encore pour avoir piloté une Renault lors du championnat du monde de 1977, la première voiture à moteur turbo de l’histoire de la F1.

Il était une fois la F1…

À l’époque, le constructeur automobile appartenait à l’État français, et son sponsor principal, Elf Aquitaine, était également français. Aux côtés de Jabouille, sur la grille de départ cette saison-là, on retrouve des pilotes comme Patrick Depailler, qui pilotait une Tyrell sponsorisée par Elf, et Jacques Laffite, au volant de sa Ligier, sponsorisée par Gitanes (à une époque où l’État français avait le monopole sur le tabac).

Pour parfaire le tableau de cette influence française sur la F1, il ne faut pas oublier Jean-Marie Balestre, président de la Fédération internationale de l’automobile (FIA), l’organe directeur du sport automobile mondial, à partir de 1978. L’ennemi juré de Balestre est alors un propriétaire d’écurie fougueux, Bernie Ecclestone, accompagné de son avocat, Max Mosley, qui deviendront plus tard respectivement propriétaire de la F1 et président de la FIA.


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Sur les dix-sept courses organisées au cours de la saison 1977, onze ont lieu en Europe. À l’époque, la plupart des écuries en lice étaient détenues et dirigées par des Européens, dont beaucoup étaient basés en Grande-Bretagne. À cet égard, la F1 n’a d’ailleurs peut-être pas tellement changé ; l’Oxforshire, la vallée du sport automobile britannique, possède toujours un avantage concurrentiel mondial, employant 41 000 personnes (dont 25 000 à des postes hautement qualifiés).

Drapeau rouge pour le “bon vieux temps” ?

Cependant, la position de la Grande-Bretagne est toujours plus menacée et l’influence française sur la F1 semble diminuer d’année en année. Bien que les pilotes européens continuent de dominer sur la piste, en dehors de celle-ci, la gouvernance du sport, la géographie des circuits et les propriétaires des équipes ont radicalement changé depuis 1977.

L’ascension d’Ecclestone, qui est passé du statut de coureur de club à celui de propriétaire et de directeur de la F1, n’a pas toujours été populaire et n’a pas non plus été un succès total. Mais lorsqu’il a mis le sport en vente en 2016, c’est initialement le gouvernement qatari qui était en pole position pour l’acquérir. Mais c’est finalement un investisseur privé américain, Liberty, qui a tiré le gros lot.

Danger sur la piste

Malgré un peu de patinage au démarrage, la société basée dans le Colorado a depuis entamé une transformation commerciale. De nouveaux sponsors – comme la société pétrolière d’État saoudienne Aramco – ont été invités dans le monde fermé de la F1 ; de nouvelles sources de revenus ont été recherchées, la série Netflix Drive to Survive en est le meilleur exemple ; et les courses ont été portées vers de nouveaux territoires de plus en plus lucratifs.

La nouvelle saison de F1 se profile à l’horizon et son calendrier est révélateur : sur 23 courses (un record) seules 9 auront lieu en Europe. Quatre d’entre elles seront disputées dans le Golfe – Bahreïn, Abu Dhabi, Qatar et Arabie saoudite. Bahreïn et l’Arabie saoudite sont d’ailleurs propriétaires de l’écurie McLaren, dont le Mumtalakat (le fonds souverain de Bahreïn) et le Public Investment Fund (l’équivalent saoudien) détiennent respectivement 65% et 35 %.

De récentes rumeurs font même état de la volonté de l’Arabie saoudite de racheter la Formule 1. Une possibilité à laquelle Mohammed Ben Sulayem, le président koweïtien nouvellement élu de la FIA, a donné vie. Ces récents mouvements n’ont pas été appréciés de tous. Les propriétaires, les équipes et les pilotes actuels de la plus grande compétition automobile mondiale sont encore majoritairement Européens. Ces derniers n’ont d’ailleurs que très peu goûté à la volonté de Ben Sulayem de limiter leur possibilité de diffuser des messages à caractère politique lors des week-ends de course.

Le passé a encore de l’avenir

L’axe arabo-américain qui affirme aujourd’hui son contrôle sur la F1 est intrigant, car l’attrait commercial de la discipline commence à susciter l’intérêt de constructeurs comme Cadillac et de protagonistes comme la famille Andretti – Mario a couru pour Lotus en 1977, et son fils Michael envisage aujourd’hui de créer une écurie de F1. Certains Européens associés à ce sport, dont l’ancien directeur de l’équipe Ferrari Stefano Domenicali, verraient d’un mauvais œil cet attrait d’Andretti qui ne serait motivé que par l’intérêt financier.

Les Européens, qui craignent de voir le pouvoir et le statut de leur continent en F1 disparaître totalement, ont toutefois des raisons de se rassurer. Parmi les participants à cette nouvelle saison, de vieilles pierres de la discipline sont toujours là : l’équipe Williams, par exemple, que son ancien patron Frank Williams avait inscrit pour la première fois en 1977. Mercedes sera également au rendez-vous, ce qui renvoie les fans aux origines et à l’âge d’or de la F1 dans les années 1930 et 1950.

Le passé de la F1 n’était pourtant pas toujours une référence. La pilote britannique Divina Galica a, par exemple, fait deux tentatives malheureuses de courir en F1, à l’époque de Jabouille. Et même si cette saison, une autre Britannique, Jamie Chadwick, membre de la Williams Academy, est à la périphérie de la F1 le championnat a encore du chemin à faire pour se féminiser, même si à l’intérieur des écuries la représentation des femmes s’est améliorée.

Attention, virage dangereux

De la même manière, la F1 pâtit toujours de la même réputation de voiture énergivore qu’en 1977. Bien que la technologie ait amélioré les performances et l’efficacité des voitures, la F1 risque toujours de se retrouver du mauvais côté de l’histoire à mesure que le monde se retourne contre les combustibles fossiles. Ses rivaux font de plus grands progrès à cet égard, la Formule E (Formule éléctrique) par exemple. Sans compter que la F1 ne s’aide pas en prenant des millions de dollars des géants du pétrole comme Aramco. L’heure tourne pour la F1, qui n’a plus beaucoup de temps pour adopter des approches plus durables en matière d’environnement.

Après des années de turbulences, dues à des problèmes de propriété et à l’insolente domination de Lewis Hamilton et de l’équipe Mercedes, certains pourraient penser que la F1 s’est maintenant stabilisée. Mais avec le pivotement du sport de l’Europe vers le Golfe et l’intérêt des Américains pour ce sport, les jours grisants de l’Europe de 1977 deviennent un lointain souvenir. La saison 2023 promet de nouveaux changements, qui verront l’ancien cœur industriel de la discipline perdre encore un peu plus sa position centrale dans ce sport.

Simon Chadwick

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