C’est un rassemblement d’idéalistes qui ont la tête sur les épaules. SKEMA organisait le 6 avril la première édition de SKetching Tomorrow autour de près de 400 futurs managers de projets et d’une myriade d’invités, dont Pierre Le Manh, CEO de PMI. Tous avaient un but en commun : imaginer un monde durable pour mieux le mettre en place.
Elle défile dans une improbable salopette, à moitié défaite, sur un haut blanc à col roulé qui s’arrête avant le nombril. Il déboule les bras croisés dans un pull trop court col en V au-dessus d’un jean trop large aux ourlets retroussés. Ils arrivent au centre de l’amphi, sur l’air de « Get Lucky », mettent leurs lunettes « Polnareff », se regardent puis s’ignorent, se tapent dans la main et repartent, plus sûrs encore qu’ils ne sont venus. La foule d’étudiants siffle, bat de la tête et applaudit. Bienvenue à Sketching Tomorrow, l’événement qui dessine le monde de demain dans le style de ceux qui le vivront.
Ce 6 avril, SKEMA ne s’est pas transformée en une école de mode. Si ses étudiants en management de projets, du master MS MPP, lancent sur un défilé la journée dont les murs des couloirs entendent parler depuis quatre mois, c’est parce que les vêtements qu’ils portent sont à l’image du monde qu’ils veulent : surprenants, audacieux, durables. « Il faut savoir provoquer sa chance », dira plus tard dans la journée le sportif David Smétanine, multiple médaillé en natation aux Jeux paralympiques. Et avant même de l’avoir entendu, les étudiants lui confirment qu’ils sont déjà dans le ton.
« Demain, c’est déjà trop tard »
S’ils sont réunis ici, dans l’amphi 1, du campus Grand Paris, c’est pour « faire émerger les conditions d’une intelligence collective au service des générations actuelles et futures ». L’objectif est ambitieux, mais ils sont bien entourés : quatre autres campus de SKEMA sont connectés, au même instant. Grâce à Lille, Sophia-Antipolis, Belo Horizonte (Brésil) et Raleigh (Etats-Unis), six fuseaux horaires sont dans la salle.
A leur tour, les invités peuvent défiler. Et révéler, chacun dans leur style, toutes les facettes du management de projets. Valérie Saintot concentre l’assemblée autour de la méditation consciente ; Pierre Daniel nous plonge dans l’histoire de la discipline pour mieux nous projeter dans son actualité ; et David Smétanine le relaye en un message : « C’est maintenant, c’est aujourd’hui, demain c’est déjà trop tard ».
Vive le monde VUCA !
Dès aujourd’hui, Sketching Tomorrow veut contribuer à transformer la société. C’est écrit sur tous les écrans : « From project economy… to project society ». Mais comment le faire dans un monde si perturbé ? Il fallait le CEO de PMI (Project Management Institute) pour répondre à cette question. Venu tout droit des Etats-Unis, Pierre Le Manh monte sur le podium et répond en un geste à la question : son micro-casque n’est pas allumé, il improvise, s’en débarrasse, enlève sa veste et attrape un micro-main. « C’est ça aussi l’agilité. »
A lire aussi : Pierre Le Manh: « Projects are about transformation »
« Nous sommes dans un monde VUCA, commence-t-il, les yeux droits dans l’assemblée. Un monde qui est fait pour empêcher de jeunes project managers de faire les choses correctement. Mais c’est une excellente nouvelle ! C’est une chance. Dans les lignes droites, il ne se passe pas grand-chose, c’est dans les virages qu’on double ses concurrents, que les transformations arrivent. » Les cinq salles, saisies, ne chuchotent plus. Pierre Le Manh en profite pour leur confier « deux-trois idées ». « Dans ces moments difficiles, ce qui fait la différence entre les leaders, ce ne sont pas les compétences ni la communication, mais le profil psychologique de la personne. Ceux qui réussissent sont ceux qui sont capables de relativiser. Les choses ne vont jamais aussi bien qu’on le veut mais jamais aussi mal qu’on le croit. »
Pierre Le Manh se déplace et prévient les étudiants : « Mettez-vous en danger ! Quand on arrive dans les virages, c’est mieux d’avoir l’habitude de de se mettre en danger. Faites-le toute votre vie : changez de job, prenez des risques, sortez de votre zone de confort. » Et de toute la journée, c’est ce qui a le plus surpris. La majorité des réactions recueillies dans notre sondage l’ont cité. Pierre Le Manh a bien choisi ses mots. Mais, comme pour calmer le jeu, il a terminé par un aveu. De simplicité. « On ne peut pas répondre à la complexité par encore plus de complexité. Quand je parle, je me demande toujours si ma grand-mère comprendrait ce que je dis. »
« ME in WE » et « WE in ME »
Mais accepter un monde VUCA, c’est aussi avoir conscience de son état. Hélène Soubelet est là pour ça. La directrice générale de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité alerte les étudiants sur les limites planétaires. Son discours, appuyé par les chiffres, vient valider les propos du regretté professeur Peter Morris, cité plus tôt par Pierre Daniel : « Nous entrons dans une ère où les questions sociétales sont beaucoup plus importantes pour la gestion réussie des projets qu’elles ne l’ont jamais été auparavant ». Dessiner demain, c’est prendre en compte l’environnement. Le sien, le nôtre. « ME in WE » et « WE in ME ».
C’est sans doute ce qui a émergé de cette journée assez humble pour ne pas savoir sur quoi elle déboucherait. L’essentiel des participants en est sorti conforté dans sa volonté d’être manager de projets, dans sa volonté de se réaliser. Ils le disent quand on leur pose la question : les managers de demain veulent répondre à leurs aspirations personnelles. Mais ce qui a peut-être changé, c’est le sens qu’ils leur donnent : ils veulent aussi contribuer. Se réaliser, oui, mais au service d’une cause plus grande : la durabilité et le bien-être collectif. Si leur coup de crayon demande encore de l’exercice, leur ébauche du monde de demain a le mérite de rassurer.
Merci à Mouna Errifai, Oumaima El Biyad, Souhaila Douibi, Clothilde Fontaines, Fatima Fofana, Meryem Echatbi, Mohamad Fidahoussen Kokar, Lucas Fritot Mahmoud El Guenni, Aminata Diakité, Emmanuel Djiki Fondja, Leila El Aissoug, Andrea Di Lorenzo, Yanis Fadili, Anthony Dura.