Avec le confinement national annoncé le 28 octobre denier pour lutter contre la pandémie Covid-19, le phénomène d’isolement social – et son cortège de risques psycho-sociaux – frappe à nouveau notre société. Le gouvernement français appelle au télétravail massif – une situation déjà vécue par 5 millions de Français lors du premier confinement. L’adoption soudaine du télétravail bouscule les pratiques managériales, déjà mises à mal par une incertitude ambiante rendant les décisions hasardeuses. Pour faire face aux écueils identifiés lors du premier confinement (isolement, lassitude, surcharge de travail, intensification des relations hiérarchiques délétères, sentiment d’injustice face à des inégalités sociales et salariales, voir notamment l’étude « Faire face au Covid-19, les leaders doivent se réinventer. Et dans cette période de crise, l’intelligence relationnelle pourrait bien être la plus grande qualité des leaders . En effet, la capacité à renforcer la relation avec les équipes, à rassurer, à donner du sens, à rassembler et à réorganiser parait prioritaire par rapport à la capacité à se projeter à long terme dans un avenir incertain. Les périodes de crises, paradoxalement, peuvent être de formidables occasions de développer des équipes solidaires et résilientes, qui vous suivent, qui vous portent. Miser sur un leadership de proximité, développer son intelligence relationnelle, oser la confiance même dans un contexte virtuel, pourrait bien être la clé d’équipes performantes et porteuses d’avenir.
La qualité des échanges leaders-collaborateurs : une question de bien-être mais aussi un enjeu de performance
Les relations entretenues au sein de la dyade leader-collaborateur peuvent donner lieu à des échanges de qualité variable, dont l’évaluation et les conséquences font tout l’objet de la théorie LMX (Leader-Member-Exchange ; Graen & Uhl-Bien, 1995. Selon cette théorie, le comportement du leader n’est pas directement lié à la performance ; c’est plutôt sa capacité à créer des relations d’échange satisfaisantes et matures avec ses subordonnés qui crée les conditions d’une performance atteinte ensemble. La qualité des échanges n’est ni décidée unilatéralement, ni statique ; il s’agit d’un processus évolutif basé sur l’équilibre et la réciprocité, où chacun apporte des ressources différentes : le leader communique ses attentes et ses récompenses (tangibles et intangibles), et les subordonnés engagent leur travail et leur dévouement. La négociation permanente des rôles attendus par les deux parties favorise l’émergence de comportements interdépendants, partageant des résultats mutuels, ainsi qu’une certaine conception de l’environnement et des valeurs communes. Idéalement, cette négociation se construit et s’améliore continuellement. Si la théorie LMX a connu – est connait encore – un tel succès, c’est que ses effets sur le bien-être professionnel et la performance ont été largement démontrés (Martin et al., 2016 ; 2018 ).
Pour rendre les organisations plus résilientes dans les périodes de crise et de transformation, il semble dans l’intérêt des leaders de développer leurs talents relationnels, c’est à dire de mettre en place une relation de qualité passant par une excellente communication et une justice équitablement répartie au sein de l’équipe. Le leader doit prendre soin de ses collaborateurs, être attentif à leurs besoins et adapter son leadership en conséquence. A cette condition, un soutien fort, mutuel se développe entre leader et collaborateur, qui s’appuient l’un sur l’autre, et la confiance nourrit et renforce ce couple dyadique.
Renforcer les liens en période de crise
C’est dans cette optique que nous avons lancé une étude pilote pour vérifier les effets d’une bonne qualité d’échange leader-collaborateur sur la performance en période de crise. Nous avons réuni un échantillon de 100 dyades leaders-collaborateurs dans deux secteurs distincts : la métallurgie et la pharmaceutique. Nous avons collecté pendant la première période de confinement en France, les perceptions de la qualité de la relation au sein de ces dyades par les deux parties : leaders et collaborateurs, et avons évalué la performance des collaborateurs à travers deux indicateurs : la bonne réalisation des tâches qui leur sont confiées (“in-role performance”), mais au-delà de ce rôle que l’on pourrait qualifié d’ « attendu », nous avons aussi cherché à évaluer le comportement de citoyenneté organisationnelle, qui consiste en des actions spontanées visant à faciliter le travail de ses collègues, ou à contribuer à la promotion de son organisation (“extra-role performance”).
Nos résultats confirment l’impact positif et significatif entre la qualité relationnelle leader-collaborateur, et la performance des collaborateurs sur les deux indicateurs de performance identifiés. Plus les deux parties sont satisfaits de leurs échanges et les perçoivent comme constructifs et justes, plus la performance des collaborateurs s’améliore, tant dans le cadre de leurs fonctions, mais aussi au-delà, à travers des comportements d’entre-aide et de promotion de l’organisation. Ainsi, les managers qui pratiquent le leadership relationnel pourraient bien être les gagnants de la crise ; au-delà des bienfaits qu’une bonne qualité d’échange leader-collaborateur a sur le bien-être des collaborateurs (par exemple la diminution du stress, Reb et al., 2018), elle contribue aussi à la performance au travail, même dans un contexte de relations professionnelles rendues virtuelles par le confinement.
La pleine conscience, une voie vers de meilleures relations professionnelles ?
Pour développer le leadership relationnel en entreprise, des pistes existent, telles que la pratique de la pleine conscience ou mindfulness. La pleine conscience est la conscience qui se manifeste lorsque l’on porte son attention de manière intentionnelle et non jugeante sur l’expérience du moment présent (Brown & Ryan, 2003). Des études récentes ont démontré que des leaders disposant d’un haut niveau de pleine conscience avaient de meilleures relations avec leurs équipes, lesquelles présentaient de meilleurs niveaux de bien-être et de performance (Reb et al., 2014, 2015). La pratique de la pleine conscience développe notamment le non-jugement et l’acceptation de l’autre. Les rapports professionnels et les échanges s’en trouvent simplifiés, les non-dits se clarifient, les émotions sont mieux régulées, l’écoute et la pleine acceptation sont privilégiées. Le climat de confiance favorisé par la pleine conscience est propice au renforcement des liens, et contribue pleinement au déploiement des talents, à la résilience et au succès des organisations. C’est pour cette raison que de nombreuses entreprises telles que Cofidis, Adeo, L’Oréal ou encore Saint-Gobain ont déployé des programmes de pleine conscience pour leurs salariés. D’autres pistes pour améliorer la qualité des relations de travail sont aussi explorées en entreprise, comme notamment le développement de l’intelligence émotionnelle ou la formation à la communication non-violente.