La reprise de septembre confirme à quel point la pandémie du Covid-19 a bouleversé durablement les modalités de travail. Près de 20 000 accords liés au télétravail ont été signés ces derniers mois en France, et le télétravail a même fait son irruption dans le secteur public. Le fait d’être physiquement éloigné des bureaux et de ne plus croiser collègues et managers dans les couloirs rend l’accès à l’information informelle plus difficile, et contribue au syndrome désormais bien connu du FOMO (« Fear of Missing Out » que l’on peut traduire par « peur de manquer quelque chose »).
Pour pallier ce manque et ce sentiment d’isolement professionnel, beaucoup se lancent dans un usage immodéré du smartphone ; en 2021, jusqu’à 21 % de Français se déclarent incapables de se passer de leur smartphone. Comme l’indique une étude récente diligentée par Google, l’augmentation du télétravail – qui joue en rôle protecteur lors de pandémies et peut présenter de nombreux avantages par ailleurs – pose néanmoins la question de l’intrusion de la vie professionnelle dans la vie personnelle, et du développement de comportements compulsifs comme la dépendance au smartphone.
Intrusions dans la vie personnelle
Cette addiction, ou plus précisément la dépendance problématique au smartphone, bien que touchant l’ensemble de la population, commence à être sérieusement étudiée chez les actifs français.
En effet, ces derniers utilisent leur smartphone pour 40 % d’entre eux en dehors de leurs horaires de travail en semaine, et pour un tiers pendant le week-end. Au-delà de l’impact de ces intrusions dans la vie personnelle, c’est aussi la qualité du sommeil qui est menacée puisque 20 % des actifs déclarent consulter leur smartphone avant de se coucher, et même pendant la nuit pour 15 % d’entre eux.
Ce comportement de dépendance vis-à-vis des technologies, et plus spécifiquement du smartphone, tourne parfois à la pathologie qui porte désormais un nom : la « nomophobie », ou phobie de l’absence du mobile. Elle touche plus particulièrement les jeunes : 40 % des moins de 18 ans déclarent ne pouvoir se passer de leur smartphone plus de cinq minutes. Ce taux tombe à 30 % pour les « millénials » (25-30 ans).
Mais si nous sommes de plus en plus nombreux à ne jamais poser un pied au sol avant d’avoir consulté notre smartphone au réveil, nous le sommes beaucoup moins à savoir contrôler cet automatisme. Pour y parvenir, la pratique régulière de la méditation de pleine conscience peut aider. C’est ce qu’il ressort de l’étude que avons menée auprès de 874 adultes actifs (avec le soutien de l’application de méditation Petit BamBou et du centre d’enseignement La 8ᵉ semaine) afin de mieux comprendre le mécanisme comportemental aboutissant à la dépendance problématique au smartphone.
Conformément à des travaux antérieurs, nos résultats suggèrent d’abord que les aspects cognitifs de l’addiction – et notamment les pensées obsessives donnant lieu à des impulsions mentales – soient bien au cœur du phénomène addictif conduisant à la perte de contrôle du comportement.
La question suivante qui se pose alors, et qui constitue l’enjeu de la recherche sur la dépendance au smartphone, est de savoir comment reprendre le contrôle sur ces actes compulsionnels. À ce sujet, les pratiques de méditation de pleine conscience ont montré leurs bienfaits pour d’autres types d’addiction, telles que l’addiction au jeu, aux drogues ou à la nourriture – avec pour cette dernière des programmes de « Mindful Eating » très en vogue. Elles améliorent en effet sensiblement les capacités d’autorégulation.
Dans le cas de l’addiction au smartphone, la pratique de la pleine conscience permet la création d’un espace entre le stimulus (un nouveau message qui s’affiche, un appel, ou simplement la vue du smartphone) et la réponse (saisir son smartphone). Un choix « conscient » devient donc possible : rester concentré sur l’activité en cours, ou consulter son appareil.
« Foutez-vous la paix ! »
Le fait de se réapproprier cette décision, de reprendre le contrôle de nos comportements, modifie considérablement les réponses comportementales aux impulsions que nous expérimentons. Nos résultats confirment que la pratique régulière de la méditation de pleine conscience réduit de manière significative la dépendance problématique au smartphone.
S’il existe des programmes de formation à la pratique de la méditation de pleine conscience, comme le désormais célèbre programme « Mindfulness-Based Stress Reduction (MBSR) » du professeur de médecine américain John Kabat-Zinn (1990), de plus en plus de personnes accèdent à la méditation… via leur smartphone.
Des applications de méditation telles que PetitBambou – qui a annoncé avoir atteint les 8 millions d’utilisateurs cet été – proposent des programmes d’initiation ou d’approfondissement, adaptés à l’âge des utilisateurs, à leurs intérêts (le travail, la santé ou le sport) ou à leurs besoins immédiats (sommeil, vol, repas, etc.).
Notre étude révèle que la fréquence de méditation augmente avec le fait d’avoir suivi une formation de type MBSR, mais aussi avec l’usage d’applications de méditation sur smartphone. Bien que plus rares, les retraites spirituelles comme des journées en silence semblent également efficaces pour soutenir la pratique.
Notre étude contribue ainsi à souligner le rôle libérateur que peut jouer la pleine conscience dans nos vies remplies d’injonctions, où l’on devient parfois nos propres tyrans. Comme le dit le philosophe Fabrice Midal : « ‘Tu dois’ ? Foutez-vous la paix ! et retrouvez enfin le goût de vivre ».
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.