Yihyun Lim : « L’IA peut nous aider à visualiser le changement climatique et à lutter contre lui »

Yihyun Lim : « L’IA peut nous aider à visualiser le changement climatique et à lutter contre lui »

L’IA peut-elle nous aider à penser l’avenir différemment et à en modifier la trajectoire, notamment en ce qui concerne le changement climatique ? C’est le point de vue de Yihyun Lim, professeur assistant à l’université de Californie du Sud et ancien directeur du MIT Design Lab, et le thème abordé lors du séminaire organisé par le SKEMA Center for Artificial Intelligence (SCAI).

Comment imagine-t-on généralement l’avenir ? Lorsque nous pensons au futur, plusieurs récits reviennent souvent : les projections, la version technocratique ou son penchant apocalyptique. Quel est le courant le plus dominant ?

Nos visions de l’avenir sont influencées par les contenus publiés dans les médias, qu’il s’agisse de films, de bulletins prévisionnels de fin d’année ou de grands événements technologiques tels que le Consumer Electronics Show (CES). Les futurs technocratiques sont ceux qui reviennent le plus souvent et auxquels nous sommes les plus exposés. L’industrie cinématographique nous présente d’autres types de récits axés autour des thématiques climatiques extrêmes, que nous appelons les scénarios d’effondrement. L’avenir tel que nous l’imaginons est façonné par l’industrie, les gouvernements et ceux qui disposent d’un pouvoir de création et de diffusion.

Et ces récits dominants influencent la manière dont nous percevons l’avenir en tant qu’individus. Comment pouvons-nous, en tant qu’individus ou communautés, envisager le futur selon nos propres prismes ? Et comment faire entendre nos voix ?

Comment l’IA peut-elle nous aider à penser différemment ? Dans la mesure où l’IA est alimentée par l’homme, peut-elle nous aider à concevoir un avenir différent de celui que nous imaginons traditionnellement ?

Lorsque nous parlons de nos visions pour l’avenir, les images qui apparaissent dans nos esprits sont toutes différentes. En effet, tout repose sur le texte. Puisque les images donnent vie aux mots, le format audiovisuel peut nous aider à communiquer nos idées. Grâce aux images, nous pouvons voir les pensées d’autrui. L’IA générative peut jouer un rôle très important, car elle permet de produire des visuels à partir de différents récits. Mais actuellement, les outils d’IA générative sont limités dans la mesure où nous ne contrôlons pas totalement la manière dont les résultats sont générés. Il est impossible d’affiner, d’éditer et de prévisualiser les résultats pour qu’ils correspondent à ce que nous imaginons. Et même si vous saisissez exactement la même instruction, vous obtiendrez des visuels différents. De nombreuses tâches sont effectuées en arrière-plan, et nous ne disposons pas encore de modèle mental pour le fonctionnement de ce système.

Dans le même temps, cela constitue une opportunité : imaginons que je ne parvienne pas à visualiser totalement une de mes idées. L’IA peut alors m’aider grâce au processus d’imagination créative. Les limites côtoient donc les opportunités.


A lire aussi : Nisreen Ameen : “Abandonner à l’IA une tâche qu’on effectue depuis longtemps n’est pas toujours facile”


Le climato-scepticisme peut être alimenté par le fait que le changement climatique ne soit pas visible ou palpable. L’IA peut-elle contribuer à le concrétiser et nous aider à le comprendre, l’accepter et le combattre ?

Les données climatiques sont communiquées au moyen de rapports, de textes ou de données chiffrées. Ces formats sont peu accessibles ou indigestes. Qu’il s’agisse de la présentation d’un plan d’action pour le climat au cours de conférences, ou d’entreprises mettant en avant leurs initiatives en matière de développement durable, tout cela semble très éloigné de notre environnement direct et de nos vies personnelles. Il est difficile de rendre ces questions climatiques tangibles, et de faire en sorte que nous puissions ressentir, et pas seulement comprendre, leur impact éventuel dans nos jardins, nos rues et nos quartiers.

L’IA pourrait nous aider à contextualiser et à personnaliser ces récits : nous pourrions alors constater l’impact des dérèglements climatiques, tels que les nuages de pollution, les chaleurs extrêmes ou les inondations, directement sur nos villes. L’IA générative peut mettre des images sur ces « scénarios catastrophes » et leur donner vie devant chez moi, sur le pas de ma porte. Un projet de recherche a notamment permis de créer une plateforme de visualisation : il suffisait de saisir son adresse pour visualiser l’impact des problèmes climatiques à cet endroit familier. À partir d’une photographie de Google Street View, l’IA générait une image d’incendie, de pollution atmosphérique, d’inondation et d’autres impacts au même endroit. Le fait de voir développe l’empathie. La visualisation contextuelle peut réellement sensibiliser le public aux questions climatiques et nous aider à prendre des mesures, une étape à la fois.

En tant qu’experte aussi impliquée dans la technologie que dans le design, vous pensez que l’IA peut contribuer à produire une action climatique plus efficace. Mais devons-nous absolument imaginer un avenir précis pour nous sentir concernés ? Devons-nous par exemple définir un objectif sociétal commun et nous rassembler autour de celui-ci ? Est-ce faisable, ou même possible ?

Je l’espère. L’IA générative peut également nous aider à étudier des stratégies d’action. Elle peut nous aider à synthétiser les différentes informations et les discussions au sein de la communauté, et à réfléchir à d’éventuelles stratégies concrètes. L’IA générative devrait être abordée comme un partenaire avec qui nous pourrions collaborer pour imaginer et façonner des modes d’action. Bien entendu, nous ne pouvons pas compter sur l’IA pour résoudre le problème. C’est à nous d’agir. Nous seuls pouvons collecter les informations et réfléchir à leur application réelle. Mais je pense qu’entamer une collaboration avec l’IA est une piste intéressante.

L’IA peut-elle vraiment jouer un rôle dans les questions climatiques ? Et si oui, est-ce souhaitable ? Par exemple, l’IA pourrait-elle sous-estimer un risque en simplifiant les données ? Ou présenter des scénarios trop optimistes ? Pourrait-elle atténuer des réalités qui requièrent des mesures urgentes ?

Le climat est une question complexe : impossible de prendre en compte l’ensemble du problème à l’aide d’un scénario unique. Comme je vous le disais, nous devons avoir conscience des capacités de l’IA et de la manière dont nous pouvons collaborer avec elle pour envisager différentes voies et façonner des stratégies concrètes. Le fait que l’IA générative permette de visualiser les éventualités sous des formes hyperréalistes peut nous sensibiliser à ces perspectives et nous inciter à agir.

Nous devrions nous demander comment nous pouvons faciliter l’utilisation de cette technologie, comment la rendre plus accessible et plus transparente. Actuellement, l’interface des plateformes d’IA générative n’est pas entièrement scénarisée : rédiger un prompt qui produira des résultats utiles requiert de la pratique et de l’expérience. Il est également très difficile d’affiner les résultats. Et surtout, il y a la question de l’authenticité. Si nous utilisons des outils d’IA générative pour créer un clip vidéo à partir d’anecdotes personnelles, comment distinguer la partie authentique de la partie fabriquée ? Comment faire de l’IA un partenaire digne de confiance qui nous aidera à imaginer et à élaborer des stratégies pour créer un avenir climatique favorable ?

Margherita PaganiDirectrice du SKEMA Center for Artificial Intelligence

Tous ses articles

Fermer le menu