En Arabie Saoudite, il faut que tout change pour que rien ne change

En Arabie Saoudite, il faut que tout change pour que rien ne change

L’Arabie saoudite est en train de devenir une superpuissance sportive. Vous pensez qu’il s’agit d’un effet de mode ? C’est au contraire une stratégie bien pensée pour répondre à ses nouveaux défis nationaux et internationaux, une nécessité pour maintenir et renforcer l’influence du royaume.

Les puristes de la boxe douteront peut-être de la valeur sportive d’un combat entre une star de la télé-réalité et un ancien YouTuber. Mais la valeur commerciale de l’événement, organisé en février 2023 et qui a fait l’objet d’une publicité massive, était, elle, évidente tant pour les concurrents (Tommy Fury et Jake Paul se sont partagé plus de 13 millions de dollars américains, soit plus de 12,3 millions d’euros) que pour le pays qui l’a organisé, l’Arabie saoudite.

L’équivalent du Qatar sous stéroïdes

Si l’organisation de la Coupe du monde de football par le Qatar a attiré l’attention du monde entier en 2022, son voisin, au PIB quatre à cinq fois supérieur, lui fait aujourd’hui concurrence avec des projets sportifs toujours plus ambitieux. On s’attend désormais à ce que le royaume se porte candidat pour co-organiser la Coupe du monde de football 2030. D’ici là, il cherche déjà par tous les moyens à accroître sa présence dans le sport international.

Jusqu’à présent, ce plan a plutôt bien réussi. Dans le domaine du football, l’Arabie saoudite a récemment été choisie pour accueillir la Coupe du monde des clubs cette année, et elle organisera la Coupe d’Asie en 2027. L’autorité touristique du pays aurait également signé un accord pour parrainer la Coupe du monde féminine qui se déroulera dans quelques semaines en Australie.


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L’Arabie saoudite s’est aussi offert, via son fonds souverain, le club anglais de Newcastle, et se montre très intéressée par Manchester United et Liverpool. Sans oublier que l’un des plus célèbres footballeurs du monde, le Portugais Cristiano Ronaldo, joue désormais pour le club saoudien d’Al-Nassr, où il gagnerait environ 560 000 euros… par jour.

En dehors des terrains de football, des rumeurs ont fait état d’une offre de rachat des droits commerciaux de la Formule 1 soutenue par l’Arabie saoudite, qui accueillera pour la troisième fois un Grand Prix le 19 mars prochain, ainsi que d’un intérêt pour le catch, le cyclisme et le golf. Le royaume accueillera également, en 2029, les Jeux asiatiques… d’hiver, pour lesquels un énorme complexe doit encore sortir de terre dans le nord-ouest du pays.

A la recherche de nouveaux carburants

L’ampleur des investissements de l’Arabie saoudite, pour un montant total estimé à environ 1,5 milliard de dollars américains, n’est donc plus à démontrer. Mais il convient de rappeler que ces dépenses ne sont pas motivées par la vanité ou la générosité. Ils relèvent d’une stratégie soigneusement élaborée pour répondre aux défis économiques, politiques et sociaux urgents du royaume.

Le dirigeant de facto de l’Arabie saoudite, le prince héritier Mohammed Ben Salman (communément appelé « MBS »), comprend la valeur du sport utilisé comme un instrument politique pour assurer l’avenir à long terme de l’État du Golfe. Car si l’Arabie saoudite dispose de vastes richesses (son fonds de richesse détient des actifs d’une valeur de plus de 600 milliards de dollars américains), une grande partie de ses revenus provient du pétrole et du gaz. Alors que le monde se dirige vers un abandon progressif des combustibles à base de carbone, l’économie saoudienne se retrouve surspécialisée et exposée à ce risque.

Investir dans le sport constitue donc un moyen d’atténuer cette vulnérabilité et de diversifier son économie. Mais c’est l’ampleur des dépenses nationales consacrées au sport qui distingue l’Arabie saoudite de ses concurrents, comme en témoigne la construction de Qiddiya, un mégaprojet mêlant sport et divertissement conçu pour attirer les investissements et les touristes étrangers.

Le processus de transformation saoudien est également politique. Le gouvernement reste vigilant face à l’éventualité d’événements similaires à ceux qui se sont déroulés lors des « printemps arabes » et qui ont conduit à des manifestations populaires en 2010 et 2011. Près de 70 % de sa population a moins de 35 ans et les craintes de troubles sociaux sont tangibles.

À travers la promotion du sport, du divertissement et des loisirs, MBS et son administration cherchent ainsi à répondre aux intérêts et aux demandes des jeunes consommateurs d’Arabie saoudite pour éviter toute protestation.

Mais en devenant propriétaire de Newcastle United et en prenant une participation dans l’écurie de Formule 1 britannique McLaren, l’Arabie saoudite cherche également à obtenir une légitimité internationale, à projeter son « soft power » et à nouer des relations diplomatiques.

Les conservateurs préoccupés

La santé publique constitue un autre problème en Arabie saoudite : l’obésité, le diabète et les maladies cardiaques sont en hausse. Comme c’est le cas dans de nombreux autres pays, le sport est donc aussi utilisé comme instrument politique pour encourager la population à un mode de vie plus sain.

Or, cette politique n’est évidemment pas exempte de critiques. Au niveau national, les membres les plus conservateurs de la population restent préoccupés par les changements qui ont été impulsés, comme le fait d’autoriser les femmes à y participer. D’autres assurent que l’influence considérable de l’État sur l’activité économique étouffe la créativité, l’esprit d’entreprise et la croissance globale.

À l’échelle internationale, l’Arabie saoudite est régulièrement accusée de se soustraire par le sport aux préoccupations en matière de droits de l’homme. Ce « sportwashing » pourrait ainsi constituer une tentative de détourner l’attention des exécutions régulières, de la guerre au Yémen et du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en 2018. D’autres affirment que, malgré la transformation supposée du pays, les droits des femmes et des jeunes filles restent bafoués et que la répression des dissidents se poursuit.

Au sein du royaume, pourtant, l’enthousiasme est considérable quant au statut émergent du pays en tant que superpuissance sportive, et il semble peu probable que MBS s’écarte de la voie qu’il a tracée. Grâce au pouvoir d’achat considérable du pays, l’Arabie saoudite deviendra sans doute bientôt l’un des plus grands acteurs du sport international, et fera peut-être taire, par ce biais, les nombreux détracteurs du royaume. C’est en tous cas le but recherché.

Cet article a initialement été publié sur The Conversation.

Simon Chadwick

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