Ce que l’on ne sait pas (encore) sur le crowdfunding

Ce que l’on ne sait pas (encore) sur le crowdfunding

Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien, tandis que les autres croient savoir ce qu’ils ne savent pas

Platon, L’Apologie de Socrate

La révolution numérique a transformé les startups non seulement d’un point de vue opérationnel, mais également dans leur manière de lever des fonds et de trouver des sources de financement. Dans ce contexte, on a pu observer une croissance exponentielle des plateformes de financement participatif. Le crowdfunding est un mécanisme nouveau et passionnant. Il ouvre de nouvelles opportunités de financement aux startups, entre autres activités, et permet de remercier les investisseurs de façon créative. Mais ce phénomène est tellement récent que nous commençons seulement à prendre conscience de l’étendue du sujet et de certains manques de connaissance. Or c’est en identifiant ce qui nous échappe que nous serons en mesure de découvrir de nouvelles opportunités.

Identifier ce que nous ne savons pas sur le financement participatif
Pour pouvoir identifier nos axes de recherche en matière de crowdfunding, nous nous sommes concentrés sur les principaux aspects de la finance d’entreprise : (1) les plateformes d’intermédiation ; (2) les objectifs des contributeurs ; (3) l’instinct grégaire des contributeurs ; (4) la valeur ajoutée des contributeurs ; (5) la communication des porteurs de projet ; et (6) les résultats pour les porteurs de projet. Nous avons également regroupé les plateformes de crowdfunding en quatre grandes catégories en fonction de la nature de la plateforme. Nous avons classé comme « plateformes de crowdfunding non pécuniaires » celles où les contributeurs donnent ou prêtent de l’argent sans exiger de taux d’intérêt (plateformes de dons), ou achètent un produit de manière anticipée (plateformes de récompenses). Les plateformes les plus connues dans cette catégorie sont Kiva pour les dons, et Kickstarter pour les récompenses. Nous avons classé comme « plateformes de crowdfunding pécuniaires » celles où les contributeurs apportent des fonds dans le but d’obtenir un retour sur investissement en termes de gain en capital et dividendes (plateformes d’equity) ou de taux d’intérêt (plateformes de prêts). Les plateformes les plus connues dans cette catégorie sont Crowdcube pour l’equity crowdfunding, et Prosper pour le prêt participatif. Nous avons ensuite créé un tableau croisé entre les thèmes évoqués plus haut et les types de plateformes de crowdfunding. Nous avons rempli chaque case avec les travaux de recherche portant sur un thème donné pour une plateforme de crowdfunding spécifique. Cet exercice nous a permis d’identifier les points sur lesquels nous avons besoin d’étendre nos connaissances (lacunes), les aspects sur lesquels il y a consensus et enfin ceux sur lesquels il y a des incohérences.

Lacunes et incohérences du financement participatif

Quel est le rôle des plateformes ?

On considère habituellement que le rôle des plateformes de crowdfunding est de faire un lien direct entre les contributeurs et les porteurs de projet. Cela ne signifie pas pour autant que la plateforme est neutre : tout changement dans les fonctionnalités de la plateforme, comme le fait de communiquer sur les contributeurs, affecte les comportements de financement. Même si nous pouvons voir les changements apportés de manière visible, nous avons identifié des lacunes concernant les conséquences des choix effectués par les plateformes, que nous ne pouvons pas observer. Pour des raisons de confidentialité, nous avons également identifié des lacunes sur les effets des dispositions contractuelles de la plateforme. Le rôle des plateformes en tant qu’intermédiaire soulève également la question de la comparaison entre l’expert et la communauté. Le résultat de cette comparaison dépend du type de plateforme : la communauté obtient des résultats similaires à ceux des experts sur les plateformes de récompenses, mais il existe des écarts sur les plateformes de prêts.

Comment les contributeurs allouent-ils leurs fonds ?

Nous avons analysé ce que nous savons à l’heure actuelle sur la manière dont les contributeurs prennent leurs décisions. Nous avons tout d’abord identifié une lacune importante : nous savons très peu de choses sur la stratégie de portefeuille des contributeurs. Nous avons étudié le phénomène uniquement sous l’angle de la relation entre le contributeur et une campagne spécifique, mais le lien entre le comportement du contributeur et son portefeuille reste à découvrir. Nous avons constaté ensuite une importante distinction. Comparés aux financeurs traditionnels dont l’objectif est surtout le profit, les contributeurs ont manifesté autant d’intérêt pour le profit que pour l’aspect social, et ce sur tous les types de plateformes. Et enfin, nous avons remarqué des incohérences quant aux motivations des contributeurs sur l’ensemble des plateformes. Prenons par exemple les choix d’investissement des femmes. Les études montrent que sur les plateformes d’equity crowdfunding, les femmes préfèrent favoriser d’autres femmes mais ont dans les faits néanmoins tendance à favoriser les campagnes dans lesquelles les hommes sont surreprésentés.

Quels sont les facteurs qui guident les choix des contributeurs ?

Lorsque les informations sont peu nombreuses, les personnes ont tendance à suivre les choix déjà faits par leurs prédécesseurs. Ce phénomène « d’instinct grégaire » a lieu lorsque les individus ignorent les informations factuelles et s’appuient uniquement sur les choix déjà faits par les autres contributeurs. Les plateformes de financement participatif semblent particulièrement exposées à ce phénomène. Nous avons constaté un comportement grégaire récurrent sur tous les types de plateformes, à l’exception des plateformes de dons.  Cette exception semble suggérer que les contributeurs sur les plateformes de dons ont davantage tendance à « favoriser les outsiders », faisant preuve de compassion.

Quelle est la valeur ajoutée du crowdfunding, au-delà du financement ?

Les sources traditionnelles de financement pour les startups, tels que les business angels et les venture capitalists, apportent une valeur ajoutée qui va au-delà de l’argent. En ce qui concerne le financement participatif, la valeur ajoutée repose sur la communauté de contributeurs associée à une compagne donnée. Cette communauté peut devenir un groupe de clients, d’employés ou d’ambassadeurs soutenant le projet pendant et après la campagne. On a en revanche des lacunes sur ce que les plateformes de crowdfunding peuvent apporter d’autre. Dans le monde du financement participatif, il existe toujours des lacunes importantes en matière de contrôle de la startup par la communauté ou la plateforme, ou de présence d’un cycle d’investissement typique du financement traditionnel des startups.

Comment les porteurs de projet mettent-ils en avant la qualité de leur projet ?

Les plateformes de crowdfunding ne peuvent contenir qu’une quantité limitée d’informations. Les porteurs de projet font donc appel à une large gamme de signaux pour attirer des financements de la part des contributeurs. Les porteurs de projet communiquent à la fois des informations vérifiables, comme la propriété intellectuelle, et d’autres non vérifiables, comme un discours rhétorique et du storytelling. Il est intéressant de noter que les signaux classiques utilisés pour le financement traditionnel des startups n’ont pas la même efficacité dans le cadre du crowdfunding. Par exemple, le fait de détenir les droits de propriété intellectuelle ne semble pas attirer de financements supplémentaires. Nous avons également constaté des divergences lorsque la plateforme partage des informations sur les contributeurs : ceux-ci tendent alors à être plus nombreux à investir, mais ils investiront moins d’argent. D’une manière générale, les signaux classiques n’offrent pas les mêmes garanties lorsqu’ils sont appliqués dans le contexte des plateformes de crowdfunding.

Que se passe-t-il à l’issue d’une campagne de crowdfunding ?

Le crowdfunding n’est qu’une étape dans le parcours d’une startup. Il existe encore des lacunes concernant la relation entre le financement participatif et les autres sources (ultérieures) de financement. Le crowdfunding est-il un substitut à d’autres sources, ou bien vient-il en complément ? Cela dépend des situations. Nous avons identifié des incohérences : certaines études ont déterminé que des campagnes de crowdfunding réussies ont ensuite favorisé les investissements en capital-risque, mais d’autres ont aussi constaté que les prêts participatifs peuvent se substituer aux prêts classiques. Nous avons enfin identifié des lacunes sur les effets d’un financement participatif réussi sur les performances ultérieures du projet.

Attention aux écarts : pourquoi est-ce important pour les plateformes et les porteurs de projet ?

Nos résultats nous ont permis de déterminer ce que nous ne savons pas encore sur le crowdfunding. Les incohérences que nous avons soulignées démontrent les limites d’une généralisation des résultats à partir d’une seule plateforme de crowdfunding. Ces résultats sont non seulement importants pour donner des pistes de recherche futures aux chercheurs, mais ils ont aussi des implications pour les porteurs de projet et les plateformes de crowdfunding. Les résultats suggèrent que chaque plateforme de crowdfunding est différente, et que sur certains points, il n’existe pas de recette unique.  Les facteurs clés de succès d’une plateforme ne sont pas automatiquement transposables à une autre. C’est pour cette raison que les plateformes doivent être prudentes lorsqu’elles empruntent certaines modifications fonctionnelles à d’autres plateformes. De la même manière, nos résultats ont montré que les porteurs de projet doivent être conscients des écarts qui peuvent exister entre les bonnes pratiques classiques de financement et leur application dans un contexte de crowdfunding.

Dushnitsky, G and Zunino, D (2019) The role of crowdfunding in entrepreneurial finance. In: Handbook of Research on Crowdfunding. Research Handbooks in Business and Management series . Edward Elgar, Cheltenham, pp. 46-92. ISBN 9781788117203DOI: https://doi.org/10.4337/9781788117210.00008

Diego ZuninoDiego Zunino, Professor of Strategy and Entrepreneurship , KTO Research Centre, SKEMA Business School - University Côte d'Azur, France, GREDEG

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Gary DushnitskyGary Dushnitsky, Associate Professor of Strategy & Entrepreneurship, London Business School

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