Pourquoi l’enseignement du droit prend-il un virage transdisciplinaire ?

Pourquoi l’enseignement du droit prend-il un virage transdisciplinaire ?

Les nouveaux défis portés par les crises climatique, énergétique et environnementale ont créé des vides juridiques. De nouvelles questions se posent et soulèvent des enjeux souvent universels. Pour y répondre, l’enseignement et la recherche en droit doivent donc s’affranchir des frontières et se faire de manière transdisciplinaire. 

Jusqu’à présent, l’enseignement de la gestion des entreprises incluait quelques cours de droit afin de donner une culture juridique à tous les managers et propriétaires d’entreprises. Cela était tout à fait justifié et complétait parfaitement la préparation des entrepreneurs et de leurs collaborateurs. Créer une entreprise sans avoir un juriste à ses côtés est difficilement envisageable et cet accompagnement se poursuit tout au long de la vie d’une entreprise.

Aujourd’hui, face aux enjeux de la transition écologique au cœur d’un monde numérique, de nombreuses questions juridiques émergent. Et n’ont pas encore trouvé de réponse.

L’environnement du droit et le droit de l’environnement

Les Droits de l’Homme en 1789 ont défini la liberté d’entreprendre un commerce ou une activité industrielle comme un droit humain Mais aujourd’hui, ce droit humain doit être envisagé à l’aune d’un autre droit, celui de l’environnement, et principalement de la protection de la nature. Dans certaines parties du monde, ce droit est élevé au niveau constitutionnel. Au Brésil, par exemple, le droit de l’environnement est déjà très bien défini et beaucoup plus avancé que dans d’autres pays. Il faut pourtant agir vite, les échéances climatiques n’attendent pas. La loi et bien sûr sa mise en pratique seront, à cet effet, des leviers essentiels.


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Mais comment se créent les lois ? Dans les régimes démocratiques, leurs origines se trouvent, le plus souvent, dans des textes soumis par le pouvoir exécutif au congrès (Parlement et Sénat) pour approbation ou encore à l’initiative des Chambres des représentants. Elles sont ensuite publiées officiellement. Ce processus relève du droit constitutionnel, qui définit la répartition des pouvoirs dans une société démocratique. Ce capital gagné, que chaque citoyen devrait identifier et protéger, ne peut échapper aux enjeux du XXIème siècle où tout semble remis en cause. Les sociétés sont plongées dans un monde numérique où le réel semble être remplacé par le virtuel. Nous sommes face à une obligation de réinventer un modèle démocratique libéral.

Le droit face à l’urgence

Le numérique facilite notre vie dans bien des aspects, mais il a également besoin de réponses juridiques. Par exemple, sur les questions du droit à la confidentialité des données personnelles dans les espaces digitaux et sur celles de la responsabilité civile « des usages » des algorithmes et des objets connectés. Cela s’applique à tous les domaines de la santé, à l’éducation, en passant par le monde des affaires et la vie publique. Parallèlement, le monde juridique doit aussi intégrer les apports du monde numérique- à sa propre gestion des tribunaux et plus globalement de son propre système. Aujourd’hui, tous les domaines interagissent et ne peuvent plus être pensés comme avant, dans un monde totalement cloisonné. Et cela ne fait qu’ajouter des responsabilités au pouvoir judiciaire.


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L’urgence de la transition écologique appelle à mobiliser les nouveaux outils de recherche numérique. Ils facilitent et accélèrent la production des sciences dures et humaines. Mais quid de la gestion des données ? J’adresse une question provocatrice : jusqu’où pouvons-nous imaginer le partage des données pour faire avancer la science et résoudre des enjeux contemporains ? C’est soulever le problème de l’accès aux informations (souvent payant) et des droits intellectuels.

La nature a horreur du vide

Nous ne sommes par ailleurs pas toujours conscients des déchets numériques que nous produisons au quotidien. Il n’y a pas de normes, de règles nationales et surtout internationales qui fixent des cadres sur ce sujet. Aujourd’hui 4% de la consommation carbone dans le monde vient des activités numériques. D’ici 2025/2030, ce chiffre sera doublé. Comment les trier ? Y a-t-il des « poubelles » adaptées ? Difficile d’y répondre à un niveau national alors que les stockages numériques se font déjà à un niveau international.

En faisant apparaître de nouveaux enjeux, la transition écologique a créé des vides juridiques. Et des questions aussi nouvelles que pressantes se font jour : donnerons-nous, par exemple, uniquement des droits aux humains ? Certains travaux proposent de donner une personnalité juridique à la Nature. La question est lourde de conséquences. Elle peut bouleverser le droit de propriété et plus largement les droits économiques. Le droit s’invite dans tous les domaines : il doit plus que jamais faire l’objet d’un enseignement et de recherches transdisciplinaires.

Geneviève PoulingueDoyenne de SKEMA Brésil.

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