Événements culminants et temps de travail en commun dans les équipes de direction

Événements culminants et temps de travail en commun dans les équipes de direction

Les équipes dirigeantes, composées des membres les plus influents d’une organisation, ont un impact direct sur les choix stratégiques et la performance de leur organisation. Des études ont montré que certaines caractéristiques de ces équipes (âge, formation, parcours professionnel) avaient un impact sur la performance. En revanche, nous ne savons toujours pas précisément comment les hauts dirigeants apprennent à travailler en équipe et à prendre des décisions stratégiques.

Événements culminants : de quoi s’agit-il ?

Les recherches existantes se concentrent essentiellement sur l’étude du lien entre l’expérience commune acquise par les membres des équipes dirigeantes et la performance de leurs décisions. Néanmoins, les études antérieures ne prennent pas en compte un aspect important : les équipes dirigeantes sont impliquées en parallèle dans différents types de décisions. Certaines se présentent souvent (ex. : évaluation périodique et affectation des ressources aux unités opérationnelles) tandis que d’autres, par exemple pour ce qui est des fusions et acquisitions (F&A) ou des investissements directs pour couvrir de nouvelles zones géographiques, sont relativement rares. Dans ce dernier cas, la performance est le résultat d’un événement rare qui est lui-même l’aboutissement d’un processus long et continu de prise de décisions quotidiennes. Nous appelons ces décisions les événements « culminants », c’est-à-dire des décisions rares mais qui sont le résultat d’une période prolongée d’activités décisionnelles fréquentes, délibérées et connexes. Plusieurs décisions stratégiques sont souvent des événements culminants qui sont relativement rares et qui ne permettent donc pas aux équipes dirigeantes d’acquérir de l’expérience à travers la répétition fréquente de ces décisions.

Lorsque des événements rares d’ordre décisionnel découlent d’un processus continu de prise de décision, nous proposons de considérer que le temps que chaque paire de membres d’une équipe de direction passe à travailler ensemble pour en arriver à ces événements – défini comme le Temps de travail en commun – est plus important que le nombre total d’événements culminants qui ont eu lieu – communément appelé l’Expérience du travail en commun.

Nos résultats indiquent que la performance est réduite lorsque les membres d’une équipe dirigeante (ED) ont passé peu de temps à travailler ensemble. Cependant, nos résultats suggèrent également que sur la durée, l’accumulation progressive d’interactions interpersonnelles et de travail en commun augmente l’efficacité et la coordination de l’équipe, menant à un meilleur processus décisionnel et donc à une amélioration de la performance.

En outre, d’après nos observations, le rapport entre le temps passé à travailler ensemble et la performance est influencé par des facteurs internes à l’ED et au contexte organisationnel. L’hétérogénéité fonctionnelle d’une équipe – qui s’accompagne d’une baisse de la coordination, de la communication et de l’échange d’informations – attenue l’impact positif du temps de travail en commun sur la performance. À l’inverse, la taille de l’équipe qui assiste l’ED améliore l’impact du temps de travail en commun sur la performance.

Conséquences pratiques pour les managers

Cette étude a des conséquences pratiques sur les managers impliqués dans le processus de décision. Nos résultats démontrent en particulier l’impact potentiellement négatif du travail en commun sur la performance lorsqu’il s’agit de membres de « jeunes » ED qui ont passé peu de temps à travailler ensemble. Pour réduire le risque de prendre de mauvaises décisions, les managers doivent faire attention à la fois à la composition de l’équipe et au nombre de personnes assistant l’ED. L’hétérogénéité du groupe chargé du processus décisionnel semble affecter négativement la qualité des décisions prises. Notre analyse indique que les entreprises devraient connaître les conséquences de l’hétérogénéité des équipes sur la coordination et l’efficacité de leur équipe dirigeante.

Par ailleurs, les résultats montrent qu’agrandir l’équipe chargée d’assister l’ED pourrait améliorer la qualité de la prise de décision en réduisant le risque que les dirigeants effectuent une évaluation erronée des informations associées à leurs décisions. On peut en déduire que l’équipe qui assiste l’ED devrait être plus nombreuse que ce qu’exigent les besoins immédiats de coordination et d’exécution, dans les limites de la disponibilité des ressources et de l’efficacité du travail. Cela est dû au fait que bien que les équipes d’assistance n’aient pas d’impact direct sur la performance, elles augmentent probablement les bénéfices tirés du temps que les dirigeants passent à travailler ensemble.

Conclusions

L’expérience commune des membres d’une ED a un impact positif sur la performance de l’entreprise. Notre étude s’est basée sur cette notion en examinant le rapport entre le temps que des membres d’une équipe dirigeante passent à travailler ensemble, son hétérogénéité, la taille de l’équipe qui l’assiste et la performance.

De façon générale, cette étude présuppose que la performance de chaque événement culminant n’est pas liée au nombre de décisions prises (c’est-à-dire l’expérience) mais qu’elle dépend en fait de l’accumulation des processus décisionnels quotidiens (c’est-à-dire du temps de travail en commun) pouvant aboutir ou non à la décision proprement dite.

Temps de travail en commun dans le domaine du capital-investissement
Les équipes dirigeantes des sociétés de capital-investissement constituent un excellent contexte pour étudier le processus de décision car malgré de fréquentes interactions, le processus aboutit rarement à des événements décisifs. Dans ce secteur les équipes s’engagent dans des périodes prolongées de processus décisionnels qui aboutissent à un nombre réduit d’événements décisifs : exécution de placements en actions dans les entreprises de leur portefeuille – que l’on appelle des rachats – afin de revendre leurs parts à profit. Les sociétés de capital-investissement sont des acteurs importants du marché des F&A puisque dans de nombreux pays, elles représentent désormais un quart de l’ensemble des activités de fusions et acquisitions de toutes les entreprises.
Étant donné que ces sociétés respectent des critères d’investissement très stricts, elles font très peu d’investissements au cours de leur vie et chaque décision d’investir (ou non) est le résultat de nombreuses activités décisionnelles quotidiennes. En effet, pour conclure un seul investissement, les dirigeants d’une société de capital-investissement de taille moyenne examinent 80 investissements potentiels, organisent 20 réunions avec les équipes de direction des entreprises cibles, initient quatre négociations et procèdent à trois due diligences. Autrement dit, une société de capital-investissement consacre 80 % de son temps de travail/homme à des affaires qui ne sont finalement pas conclues.
Pour résumer, même si les décisions effectives d’investissement sont rares, les activités associées à l’évaluation de potentiels investissements sont en revanche très fréquentes. Ainsi, une société de capital-investissement et son équipe de direction accumulent de l’expérience en matière de processus d’investissement même en l’absence d’investissement réel.

Castellaneta, F., & Salvato, C. (2017). Événements culminants et temps de travail en commun dans les équipes de haute direction : le point de vue du capital-investissement. Planification à long terme, publication : 1-16 (DOI: 10.1016/j.lrp.2017.08.006).

Francesco CastellanetaProfessor of Strategy and Entrepreneurship, KTO Research Centre, SKEMA Business School - University Côte d'Azur, France, GREDEG

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Carlo SalvatoProfessor of Management at Bocconi University, Italy

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