Intelligence artificielle : les pros du marketing n’ont pas peur d’être grand-remplacés

Intelligence artificielle : les pros du marketing n’ont pas peur d’être grand-remplacés

L’Intelligence artificielle générative est-elle prête à me remplacer ? Depuis sa soudaine émergence, c’est l’une des grandes inquiétudes qui anime le monde du digital. Pour mieux la comprendre, dans toutes ses dimensions éthiques, nous avons rencontré 11 professionnels du marketing digital. S’ils sont conscients des chamboulements à venir, ils restent confiants quant à leur avenir.

Si l’éthique en marketing occupe les chercheurs du secteur depuis le début du XXe siècle, l’éthique de l’intelligence artificielle (IA) en marketing digital émerge naturellement comme une préoccupation centrale depuis fin 2022 et l’avènement des technologies d’IA génératives. Menacent-elles les emplois des professionnels du marketing, comme on l’entend beaucoup ?

Nous avons interviewé 11 professionnels du marketing digital en poste en France et aux Etats-Unis. Nous avons volontairement choisi des profils aux niveaux d’ancienneté et de hiérarchie variant de l’alternant en gestion de projets marketing digital au directeur général d’une agence de publicité en ligne renommée, en passant par une directrice artistique junior et le directeur de la Data d’un célèbre grand groupe de distribution français.

“Tout est créé par nous, tout est écrit par nous

Au-delà du cercle scientifique, les professionnels eux-mêmes s’interrogent sur les nouveaux défis éthiques soulevés par l’IA générative. En 2023, 22% des personnes déclarent utiliser l’IA générative déjà régulièrement dans leur travail selon le cabinet McKinsey. La délégation des tâches de rédaction peut donc par exemple représenter un dilemme éthique à leurs yeux : « Ethiquement, c’est compliqué d’envoyer à des clients des articles qui sont vides et qui n’apportent pas grand-chose », souligne une représentante Marketing et Ventes que nous avons interrogée, pour qui les contenus créés par des robots ne peuvent apporter que peu de valeur ajoutée au lecteur.

Mais il ressort avant tout de nos entretiens qu’il est délicat de se positionner sur la connaissance réelle des IA qu’ont les professionnels du marketing. A leurs yeux, les IA sont encore difficiles à définir, qu’ils soient novices ou expérimentés. « Pour les newsletters, je n’utilise pas du tout l’IA, on est sur Hubspot, tout est créé par nous, tout est écrit par nous, il n’y a rien de modifié, assure une professionnelle… avant d’émettre des doutes : « même pour la rédaction d’ads sur Google Ads, je ne sais pas si c’est de l’IA. Peut-être, je ne suis pas sûre… » Son incertitude soulève la question de savoir si cette confusion résulte d’une confluence des avancées technologiques ou d’un manque de compétences techniques suffisantes pour différencier les variétés et les applications spécifiques de l’IA.

Je n’y crois pas

Malgré cette ambiguïté, une large majorité des personnes interrogées dans le cadre de notre étude affirment utiliser les IA dans leur travail, parfois encouragées par les directives organisationnelles. Cette tendance dément l’hypothèse, largement médiatisée, selon laquelle les IA menaceraient l’emploi dans le marketing. Si 80 % des participants évoquent bien la question du remplacement par l’IA dans les interviews que nous avons menées, seuls quelques-uns expriment une inquiétude significative. « Je n’y crois pas, nous a confié une directrice artistique junior. Oui, le graphisme sera beaucoup plus accessible à tout le monde, mais il y aura toujours une partie du marché qui sera qualifiée. » On ne craint pas un remplacement direct, on s’inquiète seulement des transformations du marché du travail induites par l’IA.

Sans ouverture au changement et à l’évolution des habitudes de travail, les professionnels seraient en revanche susceptibles de perdre leur emploi. Une directrice Marketing en poste aux Etats-Unis depuis 10 ans le confirme : « Ici, le discours ambiant est clair : les gens ne vont pas perdre leur travail à cause de l’IA, ils vont perdre leur travail parce qu’ils ne maîtrisent pas l’IA. »

S’adapter ou…

La question se pose alors : comment intégrer l’IA à côté de l’humain de manière éthiquement responsable ? Dans notre étude, une action éthique rejoint la vision utilitariste en ce qu’elle œuvre pour le bien-être du plus grand nombre. Concrètement, cela se traduit dans notre contexte par la délégation de tâches répétitives à l’IA, libérant ainsi les employés pour des rôles plus stratégiques et créatifs.


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L’adoption éthique de l’IA commence par la reconnaissance et l’acceptation de cette technologie par les utilisateurs finaux. Les professionnels doivent déjà se montrer ouverts vis-à-vis de l’IA et de ses capacités, mais aussi proactifs dans la recherche ou la demande de formations adaptées. Toutefois, le professionnel et sa hiérarchie doivent être capables d’anticiper l’évolution des métiers du secteur liée à l’expansion des technologies de l’IA afin de s’assurer une formation assez pertinente pour suivre le rythme de l’IA.

Les entreprises, conscientes des enjeux, doivent envisager le futur du recrutement et du développement des compétences en prenant en compte l’IA. Pour éviter la frustration ou les crises, les professionnels du marketing doivent acquérir des compétences techniques pour aligner leurs missions avec les capacités offertes par l’IA.

Marketing et valeur ajoutée

La responsabilité de l’usage éthique est donc partagée : pour que l’IA libère les employés des tâches répétitives et leur permette de se consacrer à des tâches à plus forte valeur ajoutée, les entreprises doivent accompagner le changement tout en répondant aux nouveaux besoins individuels ; et les professionnels doivent faire preuve de curiosité et d’ouverture à l’apprentissage. C’est dans cette co-construction que réside l’opportunité d’un usage éthique de l’IA, où les tâches les plus fastidieuses sont automatisées pour favoriser l’évolution professionnelle.

Pour que l’intégration de l’IA soit favorable tant aux entreprises qu’à leurs équipes, les professionnels doivent comprendre les avantages des IA, ainsi que leurs limites, pour façonner à partir de cette technologie l’outil qui sera capable de les soutenir dans les tâches les plus pénibles, sans les remplacer dans les tâches traditionnellement réservées aux spécialistes.

Marie WeinbergEtudiante à SKEMA Business School, Responsable Marketing & Communication. 

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Frédéric BossardFrédéric Bossard, Professeur de Marketing Digital, SKEMA Business School

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