Non, ce n’est pas juste une Journée des Droits des Femmes de plus

Non, ce n’est pas juste une Journée des Droits des Femmes de plus

Depuis plusieurs années, la Journée internationale des Droits des Femmes s’est routinisée. Et en un sens, c’est tant mieux ! Mais cette inscription dans le paysage sociétal ne doit pas laisser penser que le combat pour la justice et l’égalité entre les genres est achevé. A l’échelle locale et internationale, beaucoup trop de femmes sont encore victimes de leur genre.

Quelle institution, en 2023, ne célèbre pas la Journée internationale des Droits des Femmes le 8 mars ? Pour certains, il s’agit peut-être d’un exercice de style imposé ou de jouer le jeu du politiquement correct. Peut-être ceux-là oublient-ils dès le lendemain les engagements prononcés la veille. Mais avec bonne foi ou pas, ils contribuent à faire parler du sujet. Et il y a encore beaucoup de chemin à faire pour éveiller une conscience d’égalité des genres et de choix de vie pour chacun.

Cesser de faire genre

Je dirige une Institution d’Enseignement supérieur (IES) au Brésil, j’accompagne donc de jeunes hommes et de jeunes femmes au quotidien dans leur parcours de formation académique et professionnel. Beaucoup d’entre eux sont encore habités par un pré-formatage qui les conduira à reproduire, d’une façon ou d’une autre, les modèles connus à la maison et dans la société. Mais la majorité des garçons et des filles ont compris l’importance de la diversité et de la collaboration homme-femme. Ils ont compris qu’il s’agit d’une question de justice, à commencer par le choix et l’accès à l’éducation et, plus tard, d’une équité de traitement homme-femme dans leur carrière professionnelle et, plus largement, dans la société. Les différences biologiques n’ont, bien sûr, rien à voir avec cela !


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Si l’on veut célébrer toutes les femmes, commençons par faire un petit tour d’horizon sur les statistiques disponibles en se servant de l’indice Gender equality, utilisé comme référence en Europe notamment, ou encore le Global gender gap du World Forum Economic, qui envisage principalement quatre dimensions (une dimension économique liée aux opportunités de travail, l’éducation, la santé et les conditions de vie, et le pouvoir politique). Même si les méthodes de calculs divergent, les résultats convergent sur la disparité mondiale des conditions de vie des femmes, et sur le temps qu’il faudra pour construire un monde plus équitable, quel que soit son genre.

Les femmes, de l’Islande à l’Afghanistan

Dans le classement 2022 de l’indice Global gender gap, on retrouve sans surprise l’Islande et les pays scandinaves à la tête des pays les plus avancés, avec des notes proches de 90/100. Quelques pays africains comme la Namibie et le Rwanda affichent également des performances relativement élevées. Au niveau régional, l’Amérique du Nord fait figure de bon élève en progression, suivi de très près par l’Europe. Et l’Amérique Latine, où je vis, pointe son nez à la troisième place. On y trouve pourtant de grandes disparités de traitement des femmes selon les pays. Le Brésil, le pays le plus grand et le plus peuplé, se situe à la 94ème place sur 146 pays recensés, avec une note de 69,6/100. L’accès à la santé et à l’éducation sont les points forts du Brésil. Mais comme dans beaucoup d’autres pays, ce sont les opportunités de travail et les rémunérations qui invitent à agir (85ème avec une note de 66,9/100) et la participation à la vie politique (104ème avec une note de 13,6/100).

En bas de classement, on trouve l’Afghanistan, à la pointe basse de toutes les dimensions de l’indice ! En cette journée particulière, on ne peut oublier que dans certains pays, sous couvert de religion, le traitement des femmes est tout simplement inacceptable. Et dans ce domaine, comme dans les autres, les premières batailles auront pour but un retour à un système démocratique…

Les chiffres… et les lettres

Mais balayons d’abord devant nos portes. Dans les pays occidentaux, les discours sont à l’ouverture de l’accès des femmes aux instances politiques, où les lois sont votées et peuvent stimuler un changement des mentalités. En public, les discours sont très égalitaires sur l’équité des évolutions de carrières et des salaires. Seulement, les statistiques ne reflètent pas ces beaux discours. Les engagements, qui reposent sur la méritocratie, doivent s’attaquer à des schémas culturels plus profonds qui touchent les hommes et les femmes.

Le monde de l’éducation est associé à cette transformation culturelle. Il démontre aux jeunes filles qu’elles ont le droit de rêver de travailler dans des domaines comme les sciences, le monde politique ou tout autre milieu qui les intéresse, et à aspirer aux mêmes responsabilités et aux mêmes salaires que leurs homologues masculins.

Le monde d’hier emporte peu à peu avec lui ses clichés de la femme qui serait dédiée à la vie de famille. La famille est toujours pour moi un espace privé, « sacré », une institution à protéger, mais là encore les responsabilités peuvent être partagées. Des évolutions positives et tangibles sont déjà visibles parmi les jeunes générations, même si l’on évoque la charge mentale invisible portée par les femmes. Des politiques publiques dédiées à la famille et à l’éducation, comme en Islande et dans les pays scandinaves, montrent leur efficacité. Le monde d’aujourd’hui comporte aussi son lot de clichés, parfois convoyés par les mains des publicitaires, qui font encore des femmes de simples objets. D’autres formes d’aliénation se font jour et se diffusent très vite et dans tous les milieux à la faveur des réseaux sociaux.  Des drames sont toujours liés à l’abus d’alcool ou de drogue et touchent hommes et femmes, emportant tout respect avec eux. Ne l’oublions pas : les vieux démons peuvent resurgir. Trop de féminicides se produisent. Rien qu’en France, 106 ont eu lieu en 2022.

SKEMA aux côtés des femmes

Au-delà des mots, SKEMA s’engage aux côtés des femmes et des hommes qui souhaitent établir des droits égaux dans la sphère économique, managériale et dans l’accès aux responsabilités politiques. Des caricatures parlent de management de « femmes en pantalon », un management qui serait plus dure que celui des hommes. Je préfère contourner cette image car hommes et femmes pourraient s’y reconnaître. A l’opposé et sans avoir peur des contradictions, on parle d’un leadership féminin qui serait plus doux que celui des hommes. Cela n’est sans doute pas plus vrai. Enracinées dans nos schémas culturels éducatifs, les femmes sont pragmatiques et capables de développer plusieurs activités parallèles au travail. Et nul n’a besoin de chiffres pour le constater !

En 2007, toutefois, SKEMA a créé un observatoire de la féminisation de l’entreprise avec le professeur Michel Ferrary, chercheur affilié à la faculté. Son but est de mesurer et d’analyser l’évolution du pourcentage de femmes dans les conseils d’administration, les comités exécutifs, l’encadrement et les effectifs des 60 plus grandes entreprises privées françaises (CAC40 + CAC Next 20) pour évaluer l’impact de la diversité sur les performances économiques et sociétales des entreprises. Les résultats récents montrent qu’il y a encore beaucoup à faire pour l’ouverture des Conseils d’administration et des Comex.

“Que pensez-vous du tricot ?”

Mais en cette Journée internationale des Droits des Femmes, j’aimerais finir par une note plus personnelle. En tant que Directrice générale (CEO) et rectrice de SKEMA au Brésil, j’ai l’opportunité de développer une institution, avec les responsabilités qui l’accompagne. Je suis d’une génération où l’on ne poussait pas les femmes à sortir d’une projection de vie familiale, même si j’ai eu la chance de poursuivre des études supérieures. Je les ai complétées vers quarante ans pour réaliser un doctorat. Sous mon profil d’entrepreneur, j’ai travaillé à SKEMA et dans d’autres institutions avec, toujours, la volonté de donner le maximum. En parallèle, je n’oubliais pas ma famille. Je ne suis pas le témoin idéal pour évoquer des frustrations professionnelles, car les portes se sont ouvertes aux bons moments dans mon parcours. J’ai, en revanche, en mémoire un entretien de recrutement que j’ai eu, alors jeune mariée et détentrice d’un master en Gestion. Un panel de directeurs d’une caisse de retraite m’avait demandé : « à combien d’enfants estimez-vous la famille idéale ? » C’était en France, et comme nous y avons un système de retraite par répartition, vous comprendrez que le taux de natalité est important. Par provocation, je leur ai répondu : « beaucoup, comme j’imagine vous pouvez le souhaiter ! » Sentant le ton de ma réponse, il m’a été demandé « ce que je pensais du tricot ? » Je leur ai répondu : « vous parlez du rapport Tricot ? », nom d’un rapporteur sur un dossier spécial commandé par le Premier ministre de l’époque. Sans doute, n’ont-ils pas aimé mes dernières réponses : je n’ai pas été prise. Mais six mois plus tard, ils m’ont rappelée. Et je leur ai dit « NON ».

J’espère qu’aucune autre femme ne sera confrontée à ce genre de situations. Je n’en suis pas sortie traumatisée mais, quand on est jeune, cela ne donne pas confiance dans le monde du travail. Plus que jamais, les entreprises ont besoin de jeunes talents. Qu’elles les recrutent justement, et prennent en compte les évolutions de nos sociétés.

Geneviève PoulingueDoyenne de SKEMA Brésil.

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