La Fintech améliore-t-elle l’accès à la finance ?

La Fintech améliore-t-elle l’accès à la finance ?

On entend souvent que les fintech sont une force disruptive. Mais aident-elles réellement les entreprises à lever des fonds et les investisseurs à trouver de nouvelles opportunités ?

Les fintech face aux intermédiaires financiers traditionnels

Au-delà des gros titres liés au monde des crypto-monnaies, la fintech est potentiellement une force disruptive dans la manière dont les entreprises lèvent des fonds et dont les financeurs décident d’investir leur argent. Les intermédiaires financiers traditionnels, tels que les banques et les sociétés de capital-risque, collectent des fonds auprès d’investisseurs et choisissent comment les distribuer aux entreprises ou individus qui recherchent des financements. D’autres intermédiaires, tels que les marchés financiers fortement régulés, répondent aux besoins de financement des grandes entreprises en leur offrant des informations standardisées et des technologies de paiement pour permettre aux investisseurs de sélectionner et de conclure des transactions financières de manière sécurisée. Les entreprises fintech sont considérées comme disruptives car elles utilisent les nouvelles technologies pour aider les startups et autres entreprises à lever des fonds auprès de différents types d’investisseurs, y compris ceux qui ne peuvent investir que de petits montants. Les plateformes facilitent la sélection des projets par les investisseurs. D’autres types de fintech, telles que les offres publiques de jetons ou Initial Coin Offerings (ICO), sont complètement décentralisées – la technologie blockchain permettant aux entreprises et investisseurs d’interagir en direct. Par rapport aux intermédiaires financiers classiques, la fintech ouvre de nouveaux espaces dans lesquels les entreprises et investisseurs peuvent tirer parti de la technologie pour lever et investir des fonds.

Qu’est-ce que la fintech ?

Nous considérons trois types de fintech dans notre analyse : le crowdfunding ou financement participatif, le crédit fintech (qui comprend le prêt participatif) et les ICO. Il existe différentes formes de crowdfunding en fonction du type de contrepartie offert à la communauté. Dans le crowdfunding basé sur la récompense, les soutiens reçoivent soit des remerciements de la part de l’équipe projet, soit le produit développé par le projet. Plus récemment, l’equity crowdfunding (ou investissement participatif) a pris de l’ampleur. La communauté apporte des fonds en échange de titres sociaux, soit directement, soit via un véhicule financier approprié. Les soutiens s’engagent ici sur un investissement à long terme dont il est difficile de sortir car les parts sont hautement illiquides. Le crédit fintech, né du prêt peer-to-peer (P2P) dans les années 2000, s’est largement développé pour représenter aujourd’hui 11 % de la valeur de marché des secteurs bancaires et de paiement. Bien que le crédit fintech ait traditionnellement permis à des particuliers de prêter directement de l’argent à des startups, des PME ou d’autres particuliers, l’arrivée des investisseurs institutionnels dans l’univers du crédit fintech a fait considérablement évoluer le marché et accéléré sa croissance. À l’inverse du crowdfunding et du crédit fintech, les ICO ne reposent pas sur des plateformes technologiques. Elles sont utilisées dans le cadre d’une levée de fonds pour des projets très jeunes. Les investisseurs apportent leur financement sous la forme d’une crypto-monnaie reconnue, en échange d’un utility token (par exemple, le droit d’utiliser le produit ou service plus tard), ou, plus rarement, d’un security token qui peut prendre la forme d’un titre financier. Les tokens ou coins sont ensuite échangeables sur un marché secondaire quelques mois ou années après l’ICO, permettant alors aux investisseurs de sortir.

Les technologies disruptives de la fintech

La fintech est disruptive au sens où son avantage technologique lui permet d’offrir des solutions de financement ou d’investissement alternatives par rapport aux intermédiaires financiers classiques – voire de les court-circuiter totalement. La fintech tire essentiellement parti de trois technologies :
Les plateformes : le crowdfunding et le crédit fintech font appel à des plateformes pour mettre directement en relation les investisseurs et les entreprises. Les plateformes sont également disruptives car elles offrent un effet réseau et une visibilité publique. Les entreprises bénéficient de cette meilleure visibilité pour promouvoir leur projet. Les investisseurs apprennent les uns des autres et sont en mesure de prendre des décisions plus avisées.
Les algorithmes : les prêteurs fintech utilisent des algorithmes sophistiqués pour créer des « credit scores » et définir des taux d’intérêt pour les prêts. Les algorithmes permettent des prises de décisions plus rapides et à moindre coût. Ils peuvent également tirer parti de données non financières pour évaluer des projets, et prendre des décisions plus averties.
La technologie des registres distribués ou Distributed Ledger Technologies (DLT) : la DLT est disruptive car c’est un processus totalement décentralisé qui permet des échanges directs entre les entreprises ou les projets d’un côté, et les investisseurs de l’autre. Plus connue sous le nom de « blockchain », cette technologie repose sur un processus sécurisé de cryptage sous la forme de « blocs » d’information, qui sont détenus par tous les participants de la chaîne et sont infalsifiables.

Quels sont les avantages de la fintech pour les entreprises ?

La fintech offre de nouvelles opportunités pour les projets innovants de lever des fonds. Le crowdfunding peut combler le vide présent dans le cycle de financement au tout début du projet, avant que les acteurs traditionnels n’entrent en jeu. Les ICO sont utilisées en phase d’amorçage pour financer les projets technologiques en phase initiale, notamment ceux qui reposent sur la DLT. Le crédit fintech permet aux petits projets d’éviter le problème d’une offre de crédit bancaire limitée. Par ailleurs, certaines fintechs peuvent offrir des atouts qui vont au-delà des fonds. Les plateformes de crowdfunding fournissent des réseaux déjà constitués qui représentent un outil promotionnel pour le projet. La communauté peut donner son avis sur le produit à l’équipe projet, ce qui permet de l’optimiser. Les ICO s’accompagnent d’un réseau de contributeurs motivés pour améliorer le produit.

On pourrait craindre que les fintech ne prennent la place des intermédiaires financiers existants. En réalité, les données suggèrent que la fintech offre plutôt de nouvelles possibilités de lever des fonds, le financement n’étant pas un jeu à somme nulle. Les startups bénéficient également d’une meilleure inclusion financière grâce aux fintech. Le crowdfunding rend le financement plus accessible aux jeunes entreprises et aux startups dirigées par des femmes. Il permet également un meilleur accès au financement pour les entrepreneurs qui se trouvent loin des grands centres urbains.

Les recherches académiques actuelles s’intéressent aux facteurs qui contribuent à un financement réussi via les fintech. La technologie joue un rôle important. Dans le cas des ICO, l’usage d’une technologie reconnue telle que l’Ethereum est associé à des financements plus importants. Le design de la plateforme de crowdfunding contribue également au succès d’une levée de fonds, qui atteint des montants plus élevés lorsque la plateforme impose un taux fixe plutôt qu’un taux fixé par des enchères. On pourrait s’attendre à ce que les caractéristiques des produits et projets eux-mêmes contribuent de manière importante à la réussite du financement, mais même dans l’univers fintech l’identité des porteurs de projet joue un rôle clé – les investisseurs préférant financer des projets menés par des équipes considérées comme loyales et dignes de confiance.

Quelles sont les nouvelles opportunités offertes aux investisseurs ?

La fintech offre l’opportunité d’investir dans de nouveaux titres ou classes d’actifs auparavant réservés aux investisseurs professionnels ou institutionnels. Traditionnellement, certaines formes d’investissement affichent des barrières élevées à l’entrée, sous la forme d’importants coûts de transaction et de montants d’investissement minimum qui ne permettent qu’aux plus aisés de contribuer. Cela signifie que par le passé, les petits investisseurs n’ont pas pu participer à des projets de type Silicon Valley où le retour sur investissement est potentiellement élevé. Les fintech permettent donc aux petits investisseurs d’accéder à ce marché où les investissements minimum sont très faibles et, dans le cas de technologies telles que l’ICO, les frais négligeables. Cependant, la fintech n’est pas une panacée – les investissements de crédit fintech et de crowdfunding sont particulièrement illiquides et l’argent des investisseurs est bloqué sur le projet pendant une longue période sans possibilité de sortie. Les ICO sont listés sur les marchés secondaires quelques temps après leur lancement, ce qui laisse aux investisseurs la possibilité de sortir, mais bien que le token soit listé, les coûts de transaction sont comparables à ceux de la finance classique. Bien évidemment, les faibles coûts de transaction liés à un financement désintermédié ne sont pas sans contrepartie : les investisseurs doivent passer un temps non négligeable à collecter et analyser les informations dont ils ont besoin. Pour l’equity crowdfunding par exemple, cela requiert un certain niveau d’expertise financière.

L’un des principaux arguments utilisés pour parler de nouvelles opportunités est que le financement devient plus accessible pour les petits investisseurs. Cependant, les investisseurs institutionnels sont en train d’arriver en masse sur ces marchés. Les investisseurs de crédit fintech étaient au départ presque tous des particuliers. À présent, l’essentiel des investisseurs de crédit fintech sur les principales plateformes sont des fonds spéculatifs et des sociétés de capital-risque. Les investisseurs ICO sont un mélange d’investisseurs particuliers et d’investisseurs institutionnels, qui bénéficient souvent de conditions préférentielles lors de la phase de prévente de l’ICO. Mais les motivations des investisseurs particuliers ne sont pas uniquement financières. Les fintech offrent également l’opportunité d’investir dans des projets à visée sociale, ou, dans le cas des ICO, via un environnement totalement désintermédié. Mais les investisseurs gagnent-ils de l’argent ? La plupart des investissements fintech sont tellement récents que nous ne disposons pas de données suffisantes pour répondre avec certitude à cette question, bien que les quelques informations disponibles tendent à montrer des signes encourageants pour le crowdfunding et les ICO. La confusion entre les objectifs monétaires et non monétaires complique également la question. Il s’agit clairement d’un aspect sur lequel nous avons besoin de davantage de données.

Un enjeu crucial pour les investisseurs particuliers en fintech est la qualité des informations disponibles pour évaluer le projet. Lors de la phase initiale, les projets sont généralement très opaques et n’offrent que très peu de données standardisées. Bien que les plateformes de crowdfunding et de crédit participatif agissent dans une certaine mesure en tant que garants, il n’existe aucune sécurité de ce genre pour les ICO. Le risque d’arnaque semble inhérent aux ICO, ce qui nécessiterait donc pour les investisseurs de passer du temps à comprendre le projet. Il semble cependant que la plupart d’entre eux adoptent un principe de confiance – une étude constate que seuls 31 % des investisseurs lisent réellement en détail les données du projet. La protection des investisseurs reste globalement assez faible, ce qui les rend vulnérables en dépit des nombreuses opportunités d’investissement dans des projets intéressants.

Quel avenir pour la fintech ?

Un des enjeux clés de l’avenir sera la régulation. Les cadres réglementaires actuels ne sont pas vraiment adaptés à cet environnement – et s’ils l’étaient, cela risquerait d’étouffer les initiatives. Par exemple, l’equity crowdfunding pourrait être régulé de la même manière que les marchés financiers. Mais cela risquerait de saborder les entreprises et investisseurs que la fintech est précisément censée aider. Un autre enjeu est la protection des investisseurs lorsque les produits fintech n’offrent pas en contrepartie de titres financiers identifiables. Les ICO et le crowdfunding basé sur la récompense fournissent tous les deux de l’utilité sous la forme d’un produit ou service futur. Certaines formes d’ICO et de crowdfunding devraient donc être soumises aux lois de protection des consommateurs plutôt qu’à la réglementation financière. L’information semble être la clé. À l’heure actuelle, la charge repose sur les investisseurs qui doivent effectuer des recherches sur les projets afin de trouver toutes les informations disponibles et de les analyser. Une réglementation pourrait faire porter la responsabilité aux projets ou aux plateformes, les obligeant à fournir des informations structurées, analytiques et standardisées. Les technologies en elles-mêmes offrent également des opportunités pour la protection des investisseurs ; par exemple, les DLT permettent d’établir des « smart contracts », qui ne libèrent des fonds que lorsque certains jalons sont atteints.

D’une manière générale, il semble que les fintech aient amélioré l’accès au financement pour les startups et élargi le panel d’investisseurs, bien que l’enjeu de la réglementation reste présent. Nous commençons à voir les grandes entreprises faire leur entrée sur le marché. Facebook a lancé Libra via une ICO ; Atari a tenté de renaître de ses cendres avec une ICO ; la Société Générale a émis une obligation basée sur la blockchain ; Nike et General Electric ont lancé des projets de crowdfunding avec récompense. Il est probable qu’à l’avenir, nous observions de plus en plus d’interactions entre le financement classique et le financement fintech.

Bollaert, H., Lopez-de-Silanes, F., & Schwienbacher, A. (2021). Fintech and access to finance. Journal of Corporate Finance, 68, 101941. https://doi.org/10.1016/j.jcorpfin.2021.101941

Helen BollaertProfessor of Finance, FAIRR Research Centre, SKEMA Business School - University Côte d'Azur, France

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Florencio Lopez de SilanesProfessor of Finance, FAIRR Research Centre, SKEMA Business School - University Côte d'Azur, France

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Armin SchwienbacherProfessor of Finance, FAIRR Research Centre, SKEMA Business School - University Côte d'Azur, France

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