Les ex-colonies françaises d’Afrique sub-saharienne ont de meilleurs résultats économiques que les britanniques

Les ex-colonies françaises d’Afrique sub-saharienne ont de meilleurs résultats économiques que les britanniques

L’histoire coloniale des pays d’Afrique subsaharienne joue-t-elle encore un rôle dans leurs performances économiques ? Ioannis Bournakis (SKEMA Business School), Marian Rizov et Dimitris Christopoulos ont comparé les performances de 35 de ces pays sur plus de 40 ans : ceux qui ont hérité d’un cadre juridique français sont plus performants que ceux qui ont hérité d’un cadre juridique britannique.

Les origines juridiques ont-elles une incidence sur les performances économiques des pays africains ? L’interaction entre la fragmentation ethnique et le système juridique en Afrique peut-elle expliquer le revenu par habitant ? Ce sont là deux des principales questions que nous avons abordées dans notre récent article publié dans Economic Modelling.

Code civil vs. Common Law en Afrique sub-saharienne

Les colonies africaines post-coloniales ont hérité du système juridique des colonisateurs. Les nations africaines sont hétérogènes sur le plan ethnique parce que les frontières coloniales ont été tracées au hasard sans tenir compte des configurations et des traditions raciales locales. L’hétérogénéité ethnique mesure la diversité ethnique au sein d’une société à l’aide de critères linguistiques, religieux et culturels. Lorsque les sociétés sont fragmentées sur le plan ethnique, il devient difficile de coordonner et de se mettre d’accord sur l’utilisation des ressources et la conception des politiques en matière de fiscalité, de législation du travail et de politiques publiques.

Cette étude s’interroge sur la structure juridique la plus appropriée pour gérer les tensions entre les groupes ethniques. Il s’agit de promouvoir la stabilité politique et une gouvernance économique efficace. Nous considérons deux prototypes juridiques principaux, le Code civil français et la Common Law britannique.


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Le régime colonial français se caractérise par un État centralisé qui soumet les groupes ethniques à l’administration centrale sans attribuer de pouvoir aux entités locales. En revanche, le colonialisme britannique était beaucoup moins dépendant du pouvoir métropolitain, les élites locales étant plus à même de maintenir le statu quo. Après l’indépendance, les anciennes colonies françaises ont été gouvernées par une bureaucratie plus centralisée qui décidait de tout ce qui concernait la politique publique (éducation et santé, sécurité sociale, etc.), tandis que dans les anciennes colonies britanniques, les marchés privés jouaient un rôle plus dominant dans la vie économique (plus d’écoles et d’hôpitaux privés, un État-providence plus petit, etc.

En Afrique, les groupes ethniques s’affrontent souvent pour le contrôle des ressources naturelles qui constituent la principale source de financement du gouvernement pour tous les autres biens publics (éducation, santé, pensions, prestations sociales, etc.) C’est pourquoi les guerres civiles et l’instabilité politique sont fréquentes dans les sociétés ethniquement hétérogènes.  

Un PIB par habitant 45 % plus élevé que dans les anciennes colonies britanniques

Dans les anciennes colonies françaises qui fonctionnent selon le Code civil, l’État conserve un rôle hégémonique et un pouvoir monopolistique sur les politiques publiques. Cela ne facilite pas la tâche des acteurs non étatiques dans le cadre du régime établi. Dans les anciennes colonies britanniques qui fonctionnaient sous le régime de la Common Law, le rôle de l’État est plus faible. Cela encourage la concurrence entre les groupes ethniques pour le contrôle des ressources naturelles. Les groupes ethniques exclus de l’organisation de l’État ont tendance à agir violemment contre l’élite dominante. Il en résulte des conflits, des guerres civiles et une plus grande fragilité politique.

Nous testons empiriquement l’hypothèse selon laquelle les anciennes colonies françaises sont mieux à même d’améliorer les performances économiques dans des sociétés ethniquement hétérogènes parce que l’État centralisé peut imposer une coordination entre les groupes ethniques. Contrairement au système de gouvernance décentralisé des anciennes colonies britanniques, qui entraîne davantage de conflits ethniques, un environnement économique moins stable et un PIB par habitant plus faible.

Figure 1 : Scores nationaux d’efficacité 1970-2013, 35 pays d’Afrique subsaharienne

Notes : la ligne orange représente les anciennes colonies françaises et la ligne bleue les anciennes colonies britanniques.

Nos données proviennent de 35 pays d’Afrique subsaharienne et couvrent la période 1970-2013. Nos principales conclusions indiquent que les anciennes colonies françaises présentant des niveaux élevés de fragmentation ethnique ont un PIB par habitant 45 % plus élevé que les anciennes colonies britanniques. Les anciennes colonies françaises en Afrique subsaharienne ont une stabilité politique 2,55 fois plus élevée. Lorsque nous contrôlons d’autres caractéristiques des pays, nous constatons que les anciennes colonies françaises qui sont fragmentées sur le plan ethnique peuvent produire 48,9 % de PIB par habitant de plus que les anciennes colonies britanniques qui sont également fragmentées sur le plan ethnique.

Selon nos résultats, la gouvernance centralisée maintient le statu quo et assure une distribution plus équitable des ressources nationales dans la société. Notre analyse n’implique pas nécessairement que les pays de Code civil français (anciennes colonies françaises) sont de meilleures démocraties. Au contraire, les sociétés hétérogènes qui suivent l’héritage colonial français ont tendance à souffrir de moins de conflits et à jouir d’une plus grande stabilité politique.

La parole est aux historiens

Deux points méritent une attention particulière dans notre analyse. Premièrement, bien que le système du Code civil français puisse mieux assurer la coordination, les anciennes démocraties coloniales françaises peuvent induire une démocratie institutionnelle moins pluraliste. En effet, des pays comme l’Angola, le Tchad et le Mali (anciennes colonies françaises) sont considérés comme des régimes autocratiques. Néanmoins, il ne s’agit pas d’un artefact du style colonial, car les anciennes colonies françaises et britanniques peuvent toutes deux finir par devenir des autocraties.

Deuxièmement, la stabilité politique associée au Code civil français pourrait simplement refléter le fait que la France est intervenue militairement en Afrique postcoloniale plus de cinquante fois pour garantir cette stabilité. La deuxième mise en garde mérite d’être approfondie par les analystes et les historiens.

Ioannis BournakisProfesseur associé en économie à SKEMA Business School

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