Greenwashing ou révolution, de quoi NEOM est-il le nom ?

Greenwashing ou révolution, de quoi NEOM est-il le nom ?

Quand d’autres multiplient les pains, l’Arabie saoudite fait pousser des oasis en plein désert. C’est du moins ce qu’elle prétend, à grand renfort de communication. Le deuxième producteur de pétrole au monde construirait NEOM, une immense ville verte plus grande que la Belgique. Mais cette ambition à la hauteur de l’imagination du prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS) soulève, pour l’instant, plus de questions que de sable : simple mirage ou virage écologique ?

« C’est quoi NEOM ? » Si vous fréquentez Twitter, vous avez toutes les chances d’être tombé sur cette question, ou plutôt cette injonction. Un tweet sponsorisé par le projet lui-même vous demande de faire la recherche sur Google. Ici, on ne vous demande pas de partager ou de cliquer sur un lien, mais seulement de vous informer : l’objectif est clair, la notoriété. Et c’est peut-être déjà une façon de répondre à la question.

Campagne de publicité sponsorisée pour NEOM sur le réseau social Twitter.

Le projet NEOM, c’est une oasis en plein désert. Un horizon à 2030. Le projet d’une ville futuriste construite au milieu de nulle part, fonctionnant uniquement grâce aux énergies renouvelables, à des robots futuristes et à une administration indépendante, menée par ses actionnaires. Un projet de science-fiction que le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman (MBS) prend, semble-t-il, très au sérieux. En 2021, il dévoilait en effet ce projet colossal au cœur du plan Vision 2030. Car le désert dont on parle est « plus grand que la Belgique » et se trouve en Arabie saoudite.

C’est qu’en effet, l’Arabie saoudite, deuxième pays producteur de pétrole et dépendant de cette rente à presque 70%, doit urgemment envisager l’ère post-pétrolière pour la pérennité de son économie et de son développement. « Il y a beaucoup de potentiel ici, déclarait le journaliste James M. Dorsey à propos du projet NEOM. Reste à savoir si c’est réaliste ». Cette ambition saoudienne soulève en effet de nombreuses questions, tant écologiques et énergétiques que politiques. Une chose est sûre : ce dessein est bien utile à l’image de MBS qui veut apparaître comme le modernisateur du pays.

NEOM, un terrain vague

La région du Moyen-Orient concentre plus de 50% des réserves mondiales de pétrole, ce qui a rendu les pays de la région presque entièrement dépendants de cette rente. En Arabie saoudite, les dirigeants commencent tout juste à envisager la transition énergétique, pour diversifier l’économie face à l’urgence climatique. En 2016, Mohammed ben Salman a donc dévoilé le plan Vision 2030, visant à améliorer l’efficacité énergétique, diversifier le mix (notamment grâce aux énergies renouvelables) et construire les villes écologiques et connectées du futur. Pour atteindre ses objectifs, MBS entend faire de l’Arabie saoudite le premier producteur d’hydrogène bleu et vert en y construisant la plus grande centrale dédiée au monde, construire 3 des 100 premières villes intelligentes, lutter contre la désertification en plantant 100 000 arbres. L’une des principales ambitions de NEOM serait de diversifier l’économie saoudienne dans les secteurs du tourisme, de l’immobilier et de la finance, pour préparer l’ère post-pétrole. Ce serait aussi d’augmenter l’espérance de vie moyenne du pays de 6 ans.


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Si le plan est ambitieux, les objectifs sont pourtant loin d’être atteints : le marché de l’hydrogène existe à peine aujourd’hui et les investissements, qui devraient permettre à Aramco, la compagnie nationale d’hydrocarbure, de commencer les exportations dès 2030, sont difficiles à trouver. Les seules actions menées à ce jour dans le désert consistent à condamner à mort les habitants refusant de le quitter pour permettre la construction de NEOM… Parmi les 3 projets démesurés de villes intelligentes, aucun n’a encore abouti. Le Royaume saoudien est aujourd’hui bloqué entre prévoir et agir. Et doit être tenté de ralentir sa transition post-pétrolière le plus longtemps possible.

Une gigantesque opération de communication

Bien que NEOM compte sur des technologies encore inexistantes, il permettrait à MBS de se positionner comme modèle de la transition, et comme leader en la matière dans la région de l’or noir. Chiffrée à 500 milliards de dollars, cette ville autosuffisante du point de vue alimentaire et hydrique serait également indépendante, car uniquement gouvernée par ses actionnaires. A coûts gigantesques superficie gigantesque : 26 500 kilomètres carrés, en plein désert, seront consacrés à la mégalopole futuriste. L’objectif est aussi de répondre à l’enjeu démographique et de faire passer la population de l’immense territoire saoudien de 34 millions d’habitants à plus de 60 millions en y attirant touristes et étrangers.

Devant ces chiffres mirobolants et ces plans dignes de Spielberg, comment ne pas s’interroger sur la finalité réelle de NEOM : ne serait-il pas, finalement, le plus gros projet de greenwashing du monde ? Les incohérences énergétique et écologique de ses idées fondatrices sont frappantes. Tout ceci révèle l’incapacité réelle de l’Arabie saoudite à sortir de la rente pétrolière et se vérifie par les chiffres : MBS avait annoncé que d’ici 2030, 50% de l’électricité nationale serait produite grâce aux énergies renouvelables. A 7 ans de l’objectif, cela concerne seulement 0,1% de l’électricité. Comment imaginer, dès lors, qu’une ville zéro carbone comme NEOM puisse être construite ? Sans compter que la construction de The Line – une ville intelligente et futuriste au sein de NEOM – générerait environ 1,8 gigatonne de CO2 ! La durabilité du projet interroge. Sa simple construction aurait donc d’énormes conséquences environnementales. Si les smart-cities promettent le zéro carbone grâce aux nouvelles technologies, The Line est l’exemple même que celles-ci n’engendrent pas de décarbonisation globale, tant leur construction, leur fonctionnement et leur approvisionnement sont coûteux. D’autant plus que NEOM serait construite sur 500 mètres de hauteur et que les bâtiments les plus hauts sont ceux qui consomment le plus d’énergie.

Les autres NEOM

Ces nombreuses incohérences questionnent la viabilité des projets et la capacité du pays à mener des actions efficaces pour sa transition. C’est dans cette même logique de diversification et de transition que des projets similaires ont été imaginés au Moyen-Orient. Parmi eux, Masdar City, aux Émirats arabes unis (EAU). Une ville zéro carbone, zéro déchet et intelligente, en construction depuis 2008. Masdar est un bon référentiel pour NEOM. Ses ambitions initiales ont dû être revues à la baisse, après que les dirigeants ont été confrontés à la réalité – physique, économique, sociale et politique – de leurs ambitions irréalisables. Le nouveau maître-mot est de se concentrer sur des objectifs rationnels en construisant une ville bas-carbone, notamment grâce à une réduction de 40% des émissions des bâtiments et à des transports en commun électriques.

Ces projets ne sont pas plus réalistes du point de vue économique. La rente pétrolière représente 70% du budget de l’État. Engager la transition vers les énergies renouvelables réduirait donc grandement les capacités de financement des projets. Cela s’est vérifié en 2013, lorsque la baisse des prix du baril a entraîné un déficit budgétaire important, fragilisant le budget du Royaume et les dépenses publiques, et engendrant un mécontentement de la population. Sans compter que les investisseurs sont difficiles à convaincre : eux aussi s’interrogent sur la viabilité réelle de ces projets.

Grâce à sa stratégie différente, Dubaï est devenu un exemple significatif de sortie de la rente pétrolière. Les revenus pétroliers ne représentent plus aujourd’hui que 6% du PIB de la ville-Etat, contre 80% dans les années 1980 ! Cette diversification a été rendue possible par la longue tradition commerciale de la ville et par ses campagnes attractives pour attirer des investisseurs (surtout internationaux) et financer des projets plus concrets, plus simples, comme le Dubaï Mall ou la Burj Khalifa, qui ont attiré les touristes en nombre. En 2022, Dubaï était la 4ème destination touristique mondiale avec plus de 14 millions de visiteurs.

La diversion NEOM

A contrario, l’attitude du gouvernement saoudien interroge. L’objectif est-il de faire la transition en diversifiant l’économie ou d’engager des projets toujours plus grandioses qui, sur fond de communication verte, servent en réalité simplement les ambitions de modernité – ou d’apparence de celle-ci – de MBS ? NEOM a été désigné pour accueillir les Jeux asiatiques d’hiver 2029. Ce projet nécessitera notamment la construction d’une piste de ski… en plein désert ! Une contradiction soulignée par le skieur saoudien Fayik Abdile qui a déclaré qu’il n’avait « jamais cru qu’un jour il skierait dans son pays ». L’Arabie saoudite devra accueillir, loger et nourrir les touristes qui assisteront à l’événement. Un événement dont on sait qu’il génère inévitablement pollution et consommation. L’exemple récent du Qatar est parlant : des rotations aériennes ont été organisées toutes les 10 minutes pour accueillir les touristes venus assister à la Coupe du Monde de football.


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Derrière l’écran de la transition énergétique, c’est bien le règne des images et de la publicité qui semblent chapeauter tous ces projets. Les campagnes de communication déployées à grande échelle, notamment sur les réseaux, mêlant néolibéralisme urbain et autoritarisme politique, sont poussées à l’excès pour attirer les investisseurs. Pendant qu’on fait disparaître les locaux en Arabie saoudite. Les habitants de la province de Tabouk qui ont refusé de quitter leur domicile pour permettre la construction de la smart-city ont, au mieux, été emprisonnés.

L’écart est grand entre la promesse d’une ville indépendante, moderne et libérale comme NEOM et la politique mise en place. Toute cette communication autour de la transition énergétique permet aussi à MBS de passer sous silence son action contestée sur le plan international : enlisement dans la guerre au Yémen, crise diplomatique avec le Qatar, rivalité avec l’Iran ou encore possible implication dans l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Le prince héritier satisfait ses ambitions de modernité et assoit son autorité dans la région. On est loin du pouvoir et du gouvernement indépendant promis par NEOM, tant le pouvoir politique saoudien est centralisé, autoritaire et bureaucratique.

La transition, pour quoi faire ?

Comment, par ailleurs, envisager ces projets du point de vue régional ? Si le projet NEOM voyait le jour, son gouvernement autonome et international pourrait changer les relations et intérêts politiques du Moyen-Orient. Le gros investissement d’Israël dans le projet saoudien pose notamment la question d’une possible reconnaissance de l’Etat hébreux par l’Arabie saoudite à majorité sunnite.

Sous le voile de communication verte de l’Arabie Saoudite dont MBS s’est fait le leader, couve l’urgence de ralentir la transition énergétique. Tous ces paradoxes posent aujourd’hui le défi d’un véritable schisme de réalité, dans lequel le discours politique et le réalisme coexistent sans jamais se rencontrer. La structure économique saoudienne semble bien trop ancrée dans la rente pétrolière pour pouvoir se diversifier, d’autant plus que le pays, foncièrement désertique, où la population locale travaille peu, et qui n’a presque pas d’infrastructures touristiques, ne dispose pas d’autre avantage comparatif pour se diversifier.

Doriane AhdadEtudiante du Programme Grande Ecole (PGE), track Consilience, à SKEMA Business School. 

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Divine FoucaultEtudiante du Programme Grande Ecole (PGE), track Consilience, à SKEMA Business School. 

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Alexine PrentignacEtudiante du Programme Grande Ecole (PGE), track Consilience, à SKEMA Business School.

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Rodolphe DesbordesProfessor of Economics, RISE² Research Centre, SKEMA Business School - University Côte d'Azur, France

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Frédéric MunierProfesseur de Géopolitique, SKEMA Business School

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