S’essayer à une carrière d’entrepreneur peut coûter cher

S’essayer à une carrière d’entrepreneur peut coûter cher

Avez-vous déjà envisagé de travailler à votre compte, de diriger votre propre entreprise ? Eh bien, réfléchissez bien avant de vous lancer ! Nous avons mené des recherches sur les carrières d’entrepreneurs qui ont décidé de retourner au salariat. 50 pour cent des Belges qui se sont mis à leur compte ont jeté l’éponge en moins de cinq ans. Et la même chose est vraie dans la plupart des pays. Dans leur majorité, les entrepreneurs finissent par retourner en entreprise. C’est pourquoi nous voulions connaître l’impact salarial d’une telle démarche.

Les résultats ne semblent pas très positifs : en moyenne, ceux qui ont été entrepreneurs semblent gagner 6 pour cent de moins par rapport à ceux de leurs collègues qui ne se sont pas lancés dans l’aventure de la création d’entreprise. Et ce, en dépit du fait que ces salariés devenus entrepreneurs et leurs collègues ont des profils très similaires en termes d’âge, de genre, d’expérience professionnelle et malgré le fait qu’ils aient été employés dans des entreprises similaires avant de créer leur startup. Nous avons eu recours à un large éventail de données anonymes que nous a fournies la Banque-Carrefour des Entreprises de la Sécurité sociale belge. Nous avons étudié l’évolution des salaires d’environ 32 000 (anciens) entrepreneurs, et comparé ces données salariales à un groupe témoin d’individus qui n’ont jamais travaillé à leur compte. Au total, nous avons examiné les trajectoires salariales de 64 000 travailleurs belges.

Des esprits libres

Étonnamment, la perte de revenu semble être plus importante chez ceux qui avaient un salaire élevé avant l’aventure entrepreneuriale, ou qui occupaient des postes à responsabilités. Ceux qui gagnaient un salaire de plus de 6000 euros (brut) avant l’aventure entrepreneuriale, doivent désormais se satisfaire d’un salaire inférieur d’environ 16 pour cent comparé à leurs collègues moins aventureux.

L’une des explications possibles est que lorsqu’un individu a travaillé à son compte, les employeurs ne savent pas très bien à qui ils ont affaire. Les entrepreneurs sont des gens qui aiment faire les choses à leur idée et qui aiment prendre des risques. Les entreprises n’apprécient pas vraiment les travailleurs qui présentent ces traits de personnalité parce qu’ils sont généralement plus difficiles à encadrer, à mobiliser et à retenir même s’ils sont hautement qualifiés. Les entreprises contribuent à diffuser une image de l’auto-entrepreneur libre d’esprit, qui ne se retrouve guère dans la hiérarchie codifiée des entreprises. Ainsi, les employeurs peuvent rechigner à vous engager en dépit de vos qualités, ou s’ils vous embauchent effectivement, ils peuvent vous offrir un emploi moins bien rémunéré pour compenser le risque que vous représentez pour eux. Proposer à un ex-entrepreneur un emploi ayant moins de responsabilités réduit les risques de mauvais résultats car le nouvel employé est surqualifié pour cet emploi.

Nous avons noté que la perte de salaire était plus importante si c’était une petite entreprise qui embauchait l’entrepreneur. Selon nous, cela s’explique par le fait que cela coûte plus cher à une petite entreprise qu’à une grande d’employer puis de se séparer de quelqu’un qui ne trouve pas sa place au sein de l’organisation. Les employeurs s’attendent également à ce que les entrepreneurs ne restent pas longtemps au sein de leur équipe. Nous déplorons le fait que la période d’essai dans les contrats ait été révoquée en 2014 par le gouvernement belge. Cette réglementation permettait aux employeurs de s’assurer que les ex-entrepreneurs possédaient des compétences particulières qui ne s’acquièrent pas facilement via la formation en entreprise. Par exemple, des compétences susceptibles de favoriser l’innovation au sein de l’entreprise, des compétences d’intrapreneuriat.

La stigmatisation de l’échec

Enfin, il ressort de nos recherches que les entrepreneurs subissent une plus forte baisse de salaire lorsqu’ils reviennent rapidement à un emploi salarié, très probablement du fait de l’échec de leur entreprise. Les entrepreneurs qui mettent la clé sous la porte après seulement un ou deux ans perdent environ 10 pour cent de leur salaire. Mais ceux qui parviennent à maintenir leur entreprise à flot pendant cinq ans ou plus ne perdent rien !

Dans la culture belge, l’échec est mal vu. Imaginez quelqu’un qui a un bon travail, puis se lance dans l’aventure entrepreneuriale, et y met fin en moins de deux ans. « Ça ne va pas », voilà ce que se dirait un responsable des ressources humaines. C’est pourquoi nous envisageons d’un œil critique les campagnes qui encouragent l’entrepreneuriat, comme Failing Forward, une initiative des associations Startups.be et L’Agence flamande pour l’innovation et l’entrepreneuriat (VLAIO). Leur objectif est de ne plus associer l’idée de l’échec aux entrepreneurs qui mettent fin à leur aventure et ainsi d’encourager les individus à se lancer dans une carrière à leur compte. Cette initiative nous vient des États-Unis. Là-bas, l’échec est quelque chose dont on peut être fier, c’est la preuve qu’un candidat a de l’expérience. Cependant, cette culture n’a pas d’équivalent en Belgique ou en France, qui offrent un contexte tout à fait différent, et où la situation du marché du travail est moins fluide qu’aux États-Unis. En Belgique, on ne peut pas dire : lancez-vous, donnez vie à vos idées, quelles qu’elles soient ! Selon nous, des campagnes comme Failing Forward devraient plutôt cibler les employeurs afin de les aider à changer de point de vue, en leur faisant comprendre qu’embaucher des entrepreneurs n’est pas seulement une affaire risquée, mais que cela offre également des opportunités d’acquérir des compétences rares et difficiles à développer en entreprise.

Enfin, dernier point et non des moindres, nous encourageons les gouvernements à soutenir les entrepreneurs qui rencontrent des difficultés afin de leur éviter un arrêt rapide de leur activité avec les conséquences vues plus haut sur la reprise de leur carrière en entreprise.

Mahieu, Jeroen & Melillo, Francesca & Reichstein, Toke & Thompson, Peter. (2019). Shooting Stars? Uncertainty in Hiring Entrepreneurs. Strategic Entrepreneurship Journal. 10.1002/sej.1339, doi.org/10.1002/sej.1339

Francesca MelilloProfessor of Innovation, KTO Research Centre, SKEMA Business School - University Côte d'Azur, France, GREDEG

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Jeroen MahieuPhD Student University of Leuven

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Toke ReichsteinProfessor of Economics and Entrepreneurship, Copenhagen Business School

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Peter ThompsonProfessor of Strategy and Innovation, Georgia Institute of Technology

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