Karl Popper estimait que ce qui définissait la science était son caractère « réfutable » ou « falsifiable ». A la différence d’une idéologie, toute hypothèse scientifique peut être contredite si elle contient des erreurs. Et pourtant, certaines erreurs ont la vie longue et engendrent des conclusions aux allures de châteaux de cartes.
S’il y a une question qui taraude l’humanité, c’est bien celle de la finitude de l’être humain ; une condition que Montaigne a résumé en une phrase saisissante :
« Pour l’homme, apprendre à mourir signifie apprendre à vivre dans la dimension finie elle-même ».
Longtemps considérée comme une limite infranchissable, la mort aujourd’hui semble s’éloigner de nous. Certains milliardaires pensent même pouvoir atteindre l’immortalité un jour prochain. Si la chose tient encore du fantasme, atteindre l’âge vénérable de 100 ans n’est plus extravagant. Après tout, les exemples de centenaires abondent. On attribue cette remarquable longévité à un bon régime alimentaire, beaucoup d’activité physique, un tissu social dense, voire même des « super-gènes ». Ces résultats se traduisent par des recommandations faites au grand public : bougez plus, mangez mieux, promenez-vous dans la nature, partagez un repas avec vos voisins. Ce sont de sages conseils… aux fondements fragiles. En effet, une étude récente met en avant que la plupart des centenaires… ne le sont sans doute pas. Les auteurs montrent par exemple qu’aux États-Unis, il existe une forte corrélation positive entre densité de personnes âgées et absence de statistiques démographiques officielles. Plus étonnant, ils soulignent que les centenaires sont plus présents dans les régions d’Italie et du Japon les plus pauvres et où l’espérance de vie est la plus faible. Ces observations suggèrent que les personnes prétendant être centenaires se trompent sur leur âge, voire mentiraient afin de toucher des aides sociales. Malheureusement, cela pose de sérieux doutes sur la validité des études médicales qui ont tenté d’expliquer les fortes densités de personnes âgées… Quant aux milliers d’articles prenant pour exemples ces régions censées contenir plus de centenaires qu’ailleurs, il convient dès lors de lire leurs listes de conseils avec circonspection…
L’exemple des centenaires n’est pas unique. De nombreux résultats scientifiques sont passés du statut de vérité communément admise à celui de contre-vérité manifeste. La recherche génétique en offre un bon exemple. En 1996, des chercheurs établirent un lien entre un gène particulier (SLC6A4) et le risque de dépression. Cette découverte semblait raisonnable car ce gène joue sur la sérotonine, un neurotransmetteur impliqué dans la gestion de nos humeurs. Plus de 450 autres études furent publiées sur la base de ce résultat, confirmant directement ou indirectement l’importance du SLC6A4. Cependant, un récent article a totalement remis en cause l’impact du SLC6A4. Les auteurs jugent que les travaux passés se sont basés sur des échantillons trop restreints pour aboutir à des résultats fiables. Un commentateur, frappé par la capacité des scientifiques à construire des édifices intellectuels sur des fondations fragiles, a proposé une image très parlante. Il imaginait une communauté de savants décidant d’étudier très sérieusement des licornes à partir d’un témoignage unique. Des pans entiers de littérature auraient vu le jour pour détailler les différentes espèces de licornes, leur cycle de vie, leurs relations avec le Yéti… Sur la base d’une erreur initiale, c’est tout un château de cartes scientifique qui aurait pris forme !
Mais ces licornes, on les trouve aussi dans l’économie et les extrapolations géopolitiques qui en découlent. Ainsi, les taux de croissance stratosphériques de la Chine et l’Inde font rêver le reste de la planète. Ces deux pays ont fréquemment annoncé une hausse annuelle officielle de leur produit intérieur brut de 7 à 10% par an. C’est la raison pour laquelle certains pays en développement, notamment en Afrique, sont de plus en plus séduits par le modèle de développement chinois. Quant aux firmes multinationales, elles convoitent les marchés en pleine expansion des deux géants asiatiques, même si cela implique d’adopter une une neutralité politique discutable. Cependant, là encore, les apparences sont trompeuses. Une récente étude sur la Chine suggère que le taux de croissance annuel entre 1988 et 2016 a été exagéré d’environ deux points de pourcentage. Une étude sur l’Inde fait un constat similaire et conclut que ce pays n’a rien d’un miracle économique. En effet, sa croissance a été inférieure à celle de l’Indonésie. Dans le cas de la Chine comme de l’Inde, les autorités politiques ont trouvé avantageux d’afficher une bilan économique exceptionnel. La révélation de ces exagérations statistiques sème le doute sur la trajectoire future des deux pays. Elle décrédibilise aussi les récits sensationnels décrivant un « nouveau modèle économique asiatique ».
Mark Twain énonce qu’il existe trois types de mensonges : les petits mensonges, les gros mensonges, et les statistiques. C’est un constat un peu radical mais il a le mérite de mettre en avant la chose suivante : nous devons toujours soumettre au principe de réfutabilité ce que nous croyons acquis. C’est tout à l’honneur de la recherche en tout cas que de produire un débat permanent. Une vérité n’est vraie que jusqu’au jour où on a démontré qu’elle ne l’était plus !