Le phénomène n’est pas nouveau mais il commence à émerger. L’éco-anxiété ou anxiété climatique touche une part beaucoup plus importante de la population qu’on ne le croit. Ses effets, plus ou moins manifestes, peuvent même avoir des conséquences graves sur la santé. Mais cette anxiété peut aussi nous faire réagir. Si certains se réfugient dans le déni ou se heurtent à la paralysie, d’autres en font un levier d’action contre le réchauffement climatique.
Non, les hommes n’ont pas attendu les premiers rapports du GIEC pour se préoccuper de l’environnement. Depuis le début de la Révolution industrielle, les inquiétudes à ce sujet sont une réalité sous-jacente de l’activité humaine et des modifications qu’elles entrainent.
Dès le 19e siècle, le romantisme allemand forge le concept du « Sehnsucht », sorte de vague à l’âme, voire de désespoir nostalgique d’un paradis naturel, détruit par l’homme à mesure qu’il transforme son environnement et se coupe ainsi de ses racines. De la même façon, Dickens, dans son roman Les Temps difficiles (Hard Times), s’évertuait à dénoncer les conséquences environnementales et sociétales de l’industrialisation. Pour ceux qui les remarquaient, ces changements étaient un sujet d’inquiétude depuis longtemps.
« L’anxiété climatique », celle dont on ne prononçait pas le nom
Mais si une forme d’inquiétude climatique existe depuis au moins deux siècles, « l’anxiété climatique » telle qu’on la définit aujourd’hui est restée longtemps sans dénomination. Elle n’a été identifiée et théorisée que très tard, avec Véronique Lapaige en 1996, et reste encore aujourd’hui un terme mal compris, à la définition mouvante, qui peine à comprendre toute la diversité des degrés d’anxiété relative au changement climatique. La fin des années 2010 voit néanmoins émerger ce terme dans les discussions nationales et mondiales, dans le contexte des marches pour le climat et des effets de plus en plus visibles du changement climatique sur notre environnement : canicules, incendies, inondations, cyclones, effondrement de la biodiversité, mise en péril d’écosystèmes…
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Ainsi, en France, les chiffres du CSA sur la « préoccupation des français », plaçaient le climat au fond du classement des préoccupations principales (8% des sondés) en 2015, le voient surgir en septembre 2022 à la deuxième position, devant la sécurité, le chômage ou l’immigration. D’après un sondage Ipsos-Sopra Steria pour France Télévisions, publié le 3 mars 2022, 80% des Français sont aujourd’hui inquiets pour le climat.
Il reste pourtant difficile de déterminer dans quelle mesure l’anxiété climatique structurera la réponse des sociétés occidentales face à la crise, parce que l’anxiété, comme les discours anxiogènes ont des conséquences mouvantes chez les sujets exposés. Ce phénomène sera-t-il un obstacle à la lutte contre le changement climatique, ou bien au contraire son levier d’action ?
Définition d’un phénomène diffus
Dans son article de 2019 « Climate Anxiety », le chercheur finlandais Panu Pikhala définit l’anxiété climatique comme une des multiples facettes du phénomène d’ « éco-anxiété ». Il s’agit, selon lui, d’un trouble anxieux de l’individu caractérisé par des émotions pénibles et d’une intensité significative ressenties face à la menace que constitue le réchauffement climatique.
Pour autant, l’anxiété climatique n’est pas à proprement parler une maladie. Bien que ses effets puissent être extrêmement pesants et incapacitants pour le sujet, l’anxiété climatique est en réalité un mot-valise qui désigne les nombreuses conséquences psychologiques difficiles que la conscience de la crise climatique et l’inquiétude en découlant peuvent engendrer.
La dimension anxiogène qui cause le trouble diffère pour chaque individu : effet direct d’un traumatisme climatique pour une victime d’une catastrophe climatique ; effet indirect du stress ressenti par un sujet témoin de la dégradation d’un milieu ou d’un écosystème, écoute de discours anxiogènes sur la crise climatique ; ou encore effets physiologiques (chaleur et pollution ont tendance à détériorer la santé mentale des individus, avec une corrélation prouvée avec des taux de suicides élevés). « Dans les communautés touchées par l’ouragan Katrina, le nombre de suicides et d’idées suicidaires a plus que doublé dans les deux ans qui ont suivi l’ouragan et 49 % des personnes vivant dans les zones touchées ont développé un trouble de l’anxiété ou de l’humeur tel que la dépression » (Kessler et al., 2008; Galea et al., 2007).
« Un sentiment de manque de contrôle voire de grande impuissance«
Pour cette raison, l’anxiété climatique s’impose dans les esprits. En Finlande, le sujet est devenu quasi institutionnel face à la réception psychologique des canicules subies par l’Europe du Nord en 2017 par une grande partie de la population (Santaoja, 2018). Le débat a lieu aussi sur le web : les recherches sur le thème de l’anxiété climatique sur Google sont clairement à la hausse ces dernières années, en particulier dans les pays occidentaux et en Europe du Nord, comme le montre le site trends.google.
La notion d’anxiété climatique reste en effet encore très cantonnée aux pays occidentaux (Yumiko Coffey, Navjot Bhullar, Joanne Durkin, Md Shahidul Islam, Kim Usher, 2021). Certains groupes de population sont bien plus susceptibles d’en présenter des symptômes. Elle est généralement plus présente chez les personnes souffrant déjà d’anxiété, mais aussi et surtout chez les populations vivant dans des environnements particulièrement vulnérables aux conséquences du dérèglement climatique (tsunamis, tremblements de terre et autres catastrophes naturelles), ou dans les corps de métiers affectés directement par le changement climatique (pêcheurs, bergers, garde-côtes…) (Pikahla P., 2019). D’après une étude présentée par Clayton en 2020, les enfants, adolescents et jeunes adultes sont aussi bien plus vulnérables à l’anxiété climatique, « en raison des conséquences dramatiques que le réchauffement climatique pourrait avoir sur leur futur d’abord, et à cause d’un sentiment de manque de contrôle voire de grande impuissance vis-à-vis de cette situation » (Clayton, 2020 ; Coffey, 2021).
Exposition mondiale
S’il s’agit avant tout d’une notion occidentale, il s’agit pourtant bien d’un phénomène mondial, pouvant toucher toute population ou génération. En 2016, entre 20% et 40% des Européens se disaient « très inquiets » du changement climatique (Steentjes et al., 2017). En 2018, les Groenlandais, interrogés lors d’une étude (Minor et al., 2019), disaient aussi ressentir de manière forte ou modérée de la peur (38% des répondants), de la tristesse (19%) et du désespoir (18%) à cet égard. A Tuvalu, qui risque d’être particulièrement affecté par la crise climatique, 95% des répondants exprimaient en 2020 de l’angoisse qui, dans 87% des cas, avait une influence sur la capacité des individus à se comporter normalement (Gibson, Barnett, Haslam, & Kaplan, 2020).
La couverture médiatique du phénomène climatique et de ses conséquences sociales et environnementales contribue à déclencher ou à exacerber le sentiment d’éco-anxiété, en particulier chez les jeunes. En effet, l’exposition par différents médias, tant des canaux traditionnels que par les réseaux sociaux, à des images et des informations sur des catastrophes naturelles représente une source d’anxiété pour les jeunes générations. Cela dépend de deux facteurs : du degré d’exposition de chacun à ces informations, mais également de la tendance, qui diffère d’une personne à l’autre, à rechercher par soi-même des articles et images sur le changement climatique.
L’espoir fait revivre
Les symptômes de l’anxiété climatique sont divers, et varient selon l’intensité du phénomène. Quand l’anxiété est modérée ce sont des insomnies occasionnelles, un sentiment d’agitation ou de tristesse, ou des difficultés à prendre des décisions. Quand elle est plus sévère, elle peut des conséquences plus graves, commede fortes insomnies, des symptômes dépressifs ou de l’anxiété à l’état clinique, mais aussi des comportements obsessionnels (« anorexie climatique », « orthorexie climatique »…), voire des comportements destructifs, tels que l’abus de substances psychoactives (Pihkala P, 2019).
C’est pourquoi on doit bien distinguer conscience climatique (« ecological awareness ») et anxiété climatique. Cette dernière est bien plus violente dans ses effets sur la psychologie du sujet et a de potentielles conséquences dramatiques sur sa santé mentale.
L’anxiété climatique peut susciter des réponses extrêmement disparates, allant de la paralysie totale à l’action climatique. Ces réactions diverses sont relatives au degré d’anxiété ressentie, mais également à la relation entre anxiété et espoir (Sangervo J. et al., 2022). Dans l’étude que Julia Sangervo présente, la grande majorité des participants à l’étude considèrent l’espoir comme un levier plus puissant d’action climatique individuelle que l’anxiété climatique. L’espoir, chez les participants anxieux, augmente significativement leur propension à agir, à tel point qu’ils agissent nettement plus que les participants qui se disent non-anxieux, ou anxieux mais désespérés. L’anxiété climatique pourrait donc représenter un moteur d’action, dans la mesure où elle est symptomatique d’une inquiétude importante pour l’environnement et le climat. Mais elle doit être conciliée avec l’espoir d’un impact positif réel sur la gestion de la crise climatique pour pouvoir mener à une action productive. Espoir et anxiété n’ont, de plus, un vrai effet proactif sur le sujet que s’ils sont expérimentés ensemble : expérimentés seuls, ils peuvent au contraire mener à l’inaction climatique, l’anxiété entrainant une relative paralysie, et l’espoir réduisant le sentiment d’urgence et la motivation à agir.
Trois types de réactions
Le modèle développé par Hamilton et Kasser, fondé sur la prémisse selon laquelle la capacité de l’humanité de s’adapter physiquement au changement climatique dépend fortement de sa capacité psychologique d’adaptation, prévoit trois types de réactions face à une menace climatique de grande ampleur : le déni, l’acceptation partielle et l’acceptation totale du risque. Les sujets anxieux sont principalement ceux qui acceptent partiellement ou totalement le risque. Leurs réactions, selon ce modèle, varient donc en fonction de leur degré d’acceptation consciente de la menace.
Ceux qui l’acceptent partiellement mettent en place des mécanismes de défense inadaptés, en modifiant suffisamment leur comportement écologique pour empêcher l’émergence d’émotions négatives associées au phénomène. Ces méthodes ne sont pas adaptées à la crise actuelle dans la mesure où elles n’entrainent pas d’action climatique efficace et n’améliorent ni la situation de l’individu ni celle de la planète. Réduire l’ampleur de la menace ou la déplacer, se distraire à travers la recherche de plaisir, transférer la responsabilité sur autrui, ou faire preuve d’un optimisme disproportionné ou irréaliste sont quelques exemples de cette stratégie. Une personne qui réalise des actions climatiques mineures, comme le recyclage ou la réduction de chauffage, peut ainsi se convaincre que ces actions sont suffisantes pour avoir un impact sur la crise actuelle et pour se dédouaner de sa responsabilité vis-à-vis de cette situation.
Ceux qui acceptent totalement la réalité de la menace sont aussi ceux qui peuvent parvenir à s’adapter psychologiquement à l’ampleur de la crise climatique, et accepter également les émotions négatives qui l’accompagnent. Ils peuvent alors s’engager dans des actions qui sont appropriées pour remédier individuellement ou collectivement à la situation.
Face au découragement
Néanmoins, même ces individus les plus susceptibles d’adopter un comportement et un mode de consommation pro-environnementaux peuvent être affectés par un sentiment de désengagement moral, face au constat du manque d’action politique et sociétal, et à la conviction que leur engagement seul n’aura pas un effet suffisant pour que leur effort en vaille la peine (Stoll-Kleemann S., O’Riordan T, 2020). Encore une fois, même les individus les plus conscients de la crise climatique, et sujets à l’anxiété, ne se sentent prêts à agir que s’ils ont une raison d’espérer que leur action fasse sens.
La majorité des actions menées n’ont qu’un faible impact, bien qu’elles nécessitent un certain effort de la part du sujet (acheter des produits de seconde main, emprunter ou louer certains objets…). La plupart des actions à fort impact, comme changer de régime alimentaire, réduire sa consommation de viande ou ses trajets en avion et en voiture, ne sont que peu considérées par les personnes interrogées (Whitmarsh, 2022). Ceci peut être expliqué en partie par le manque de connaissances sur l’effet écologique réel de ces actions.
Beaucoup d’individus ne s’engagent par ailleurs pas dans des comportements écologiques contraignants, parce que le fait d’avoir l’impression d’être seuls à agir les fait abandonner l’idée d’avoir un effet positif et significatif. Les actions pro-environnementales de chacun peuvent pourtant avoir une dimension normative et entraîner le changement du comportement d’autrui, dans la mesure où elles révèlent la relative facilité d’adaptation à un mode de vie plus respectueux de la planète.
Avant l’anxiété, le discours anxiogène
Les actions collectives les plus communes sont des manifestations, qui sont en général favorisées par les jeunes générations, ou encore la création ou la participation à des associations ou organisations œuvrant pour la préservation de l’environnement.
Les actions liées à l’anxiété climatique, si elles sont relativement efficaces pour réduire cette dernière, n’ont donc pas un réel impact sur la situation climatique. Elles ont nettement plus tendance à réduire les conséquences sur la santé mentale du sujet que de réduire le réchauffement climatique.
L’anxiété climatique a pourtant de beaux jours devant elle. Si les personnes vraiment anxieuses et au fait de cette anxiété restent encore minoritaires, la population mondiale est aujourd’hui en permanence confrontée à des images violentes des conséquences du dérèglement climatique et à un discours scientifique plus qu’alarmant sur le sujet.
On assiste donc aujourd’hui à une propagation généralisée de cette anxiété, consciente ou non, acceptée ou non.
Comme l’expliquent Libby Lester et Simon Cottle dans leur article “Visualizing Climate Change: Television News and Ecological Citizenship”, les images des conséquences dramatiques du réchauffement climatique sont aujourd’hui largement relayées par les médias populaires : en particulier, à la télévision et sur les réseaux sociaux. Ces images s’accompagnent d’un discours scientifique, de plus en plus vulgarisé et très anxiogène, puisqu’il rappelle que les chances de limiter les dégâts s’amenuisent plus rapidement que l’on ne met en place une réponse efficace pour protéger l’environnement.
Pourquoi nous nous comportons comme des enfants
Si l’on se fie au modèle d’Hamilton et de Kasser le sujet a trois réactions possibles face à la menace climatique. Sur ces trois réactions, seuls le déni et l’acceptation partielle ne conduisent pas forcément à l’anxiété. Selon eux, l’anxiété climatique ne se propage donc pas nécessairement avec le discours anxiogène. Les individus restent en mesure de ne pas regarder la réalité en face, et c’est également la thèse soutenue par Laelia Benoit & al dans leur article « Ecological awareness, anxiety, and actions among youth and their parents – a qualitative study of newspaper narratives ». Face à de telles menaces, les individus tendent à répondre par des « enfantillages » ou « childism« . La volonté, même inconsciente, de réprimer les sentiments d’angoisse et d’anxiétés générés par la conscience de la mort possible, conduit l’individu à mettre en place des mécanismes de protection de ses émotions qui passent par des réflexes immatures, typiques de l’enfant contrarié, qui lui permettent de se soustraire à la conscience de la menace.
Les individus exposés à un discours aussi anxiogènes peuvent d’abord se soustraire aux conséquences psychologiques de ce discours en le discréditant ou en l’ignorant. Il est par exemple fréquent que les sujets observés par l’auteur cessent de lire la presse traitant du changement climatique, ce qui contribuerait à expliquer l’absence de dialogue sociétal et l’inaction climatique durant des décennies, et ce malgré la publication de littérature scientifique, l’activisme de certains groupes ou individus, et les conséquences déjà visibles et dommageables pour l’homme de ce changement climatique.
« Tant que le changement climatique n’affecte que les autres… »
Déresponsabilisation, rejet des sentiments anxieux ou négatifs, projection de craintes ou d’espoirs sur autrui, sont autant de réponses qui transparaissent dans certains comportements de défense face à la menace (Benoit, Martin, Thomas, 2022). L’individu aura aussi tendance à se protéger de la menace de mort que fait peser la réalité scientifique du changement climatique sur son existence par la croyance un peu absurde « d’être spécial » (Yalom, 1980), comme si la mort ne pouvait arriver qu’aux autres. Cela passe d’abord par une tendance à l’héroïsme, (« je ne peux pas souffrir du réchauffement climatique car je trouverai une solution pour m’en préserver »), puis au narcissisme et à l’égocentrisme (« tant que le changement climatique n’affecte que les autres, je peux nier la réalité de ce problème parce qu’il n’est pas inscrit dans ce que je vis »).
Les individus auront tendance à adopter un comportement défaitiste trop tôt (« de toute façon, il est déjà trop tard pour que mes choix changent quelque chose à l’issue du processus »). En abandonnant complètement l’idée que les changements de dynamique, et donc d’issue du phénomène, sont encore possible, ils justifient le choix de ne rien faire, et d’accepter la fatalité du changement climatique sans avoir à se battre contre lui. De ce fait, la menace existentielle semble limitée, tout comme la menace de mort : puisqu’il ne reste rien à faire, il s’agit de prendre le changement climatique à revers en continuant d’innover en polluant, pour trouver une solution de survie avant que la planète ne devienne invivable.
De l’éco-anxiété à l’éco-activisme
Ces comportements défensifs sont d’autant plus répandus dans le cas du changement climatique que le phénomène est causé par l’activité humaine. Puisque chaque être humain peut être tenu pour responsable, à la fois de sa contribution au changement climatique et de son manque d’action pour lutter contre le phénomène, l’individu chasse sa conscience de la menace, ainsi que sa culpabilité et sa honte par ces « enfantillages ».
Mais cette même culpabilité, cette même anxiété sont aussi au cœur de l’action climatique actuelle. C’est cette crainte, ce sentiment d’urgence, qui a fait s’indigner les jeunes en 2019, comme en témoigne l’emblématique discours de Greta Thunberg à la tribune des Nations unies : « Les gens souffrent, les gens meurent. Des écosystèmes entiers s’effondrent, nous sommes au début d’une extinction de masse et tout ce dont vous pouvez parler, c’est de l’argent et du conte de fée d’une croissance économique éternelle. Comment osez-vous ? Depuis plus de quarante ans, la science est claire comme du cristal. Comment osez-vous regarder ailleurs et venir ici en prétendant que vous en faites assez ? »
Plus l’anxiété climatique se répand, plus nombreux sont ceux qui attendent qu’on se batte contre le phénomène. L’’anxiété climatique révolte, qu’elle soit désespérée ou non. Si le sujet est anxieux, il cherchera dans tous les cas à se libérer de cette anxiété, et si ce n’est pas par des mécanismes de protection psychiques tels que les « enfantillages », il s’agit pour commencer de trouver les coupables, et les « sauveurs » potentiels, puisque le sujet lui-même n’y peut rien, ou n’a qu’une portée d’action limitée.
La recherche des « vrais » coupables
La recherche de coupables n’a pourtant aujourd’hui que quelques résultats possibles, comme les leviers d’actions climatiques sont concentrés autour des trois acteurs constitutifs de la société humaine depuis des siècles : les entreprises, les États et la société civile (Jamieson, 2010).
D’abord les entreprises, parce que le comportement de celles-ci influe sur les États d’une part, en les poussant à la législation pour préserver la santé de leur économie ; et sur la société civile d’autre part parce qu’elles lui fournissent des biens de consommation dont elle jouit. Les États ensuite, parce qu’ils régulent les comportements des entreprises et de la société civile en légiférant, et peuvent donc influer sur l’action de tous et de chacun. La société civile enfin, parce que ses attentes ont toujours déterminé partiellement le rôle et la position des États.
Le sujet anxieux, n’a que ces trois partis à blâmer, et ces partis sont aussi ceux qui peuvent changer les choses efficacement. La propagation de l’anxiété climatique, dans un contexte de vulgarisation du discours scientifique alarmant sur la situation, a donc un effet clair : une partie toujours plus importante de la population requiert une redéfinition de la position des Etats, des entreprises et de la société civile. Autrement dit, l’anxiété climatique a un pouvoir politique réel.
Ce pouvoir politique est d’autant plus tangible que l’aspect anxiogène de la crise climatique a mené lentement mais sûrement à l’avènement du concept de « citoyenneté écologique ». (Lester & Cottle, 2009).
Citoyenneté climatique et double responsabilité
La conscience de la crise climatique a pour conséquence de mettre les individus face à une double responsabilité collective : celle du réchauffement climatique engendré par l’activité humaine, et celle de la responsabilité de la lutte contre le phénomène puisque chacun peut, à son échelle, agir de manière écologique et éco-responsable. La culpabilité de ce qui a été fait, et de ce qui ne l’est pas, ainsi que le sentiment de cette responsabilité exhorte à agir, parce que chacun est acteur, chacun pourrait faire changer les choses, chacun a son mot à dire dans le grand débat, tacite ou explicite, de la lutte pour l’environnement.
C’est pour cette raison qu’on peut parler de citoyenneté écologique : la volonté d’assumer des responsabilités climatiques et d’agir, comme un citoyen en agissant pour préserver le bien commun qu’est l’environnement, s’est révélée au fur et à mesure que la perception de la menace climatique s’est clarifiée, et que les inquiétudes relatives au changement climatique ont grandi (Jagers, 2011).
L’anxiété climatique, transposée à la sphère pluri-individuelle voire à la sphère publique, a donc parfois des effets politiques spectaculaires. Ce sentiment anxieux partagé et relayé a façonné la façon dont le sujet est aujourd’hui traité dans l’espace public.
Le débat climatique est devenu incontournable dans tous les pays occidentaux, au même titre que les autres préoccupations citoyennes : la scène politique suit le débat démocratique, et le débat démocratique est tourné vers le climat depuis la propagation de l’anxiété climatique.
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Débat climatique et anxiété climatique vont en fait de pair : les faits qui ont ouvert le débat sont des faits anxiogènes et la rhétorique écologique, dans un souci d’exactitude, est aussi forcément anxiogène.
Mais depuis que le débat a été ouvert et que l’anxiété est devenue publique et partagée, depuis qu’elle est politique, les chances qu’elle devienne un levier d’action écologique augmentent.
L’anxiété climatique semble d’abord faire partie d’un climat plus global d’inaction individuelle et collective face à la crise climatique. Mais sous l’impulsion de la société civile, du monde politique, ou des entreprises, une possibilité d’action efficace est ouverte en même temps que le sujet retrouve de l’espoir. La conscience du problème, l’inquiétude vis-à-vis de la menace, et l’espoir retrouvé grâce au débat, sont tout ce qu’il faut pour que l’anxiété climatique devienne une solution à l’inaction climatique, et peut-être, au réchauffement climatique.