Le dernier rapport du GIEC, publié le 9 août 2021, esquisse des perspectives d’avenir inquiétantes, en soulignant notamment la hausse alarmante des températures malgré les engagements des gouvernements. Plus que jamais, il est clair que l’action – ou l’inaction – des États est décisive en la matière. S’il est courant de lire des analyses sur les conséquences géopolitiques du réchauffement climatique – pensons par exemple aux migrations climatiques qui ne manqueront pas d’engendrer des crises internationales –, ne faudrait-il pas alors inverser l’ordre des termes : n’est-ce pas finalement la géopolitique qui détermine le changement climatique ?
En effet, le bouleversement d’ampleur planétaire auquel nous faisons face ne pourra être ralenti qu’au prix d’une action globale et concertée de l’ensemble des pays, notamment les plus riches et les plus pollueurs. Une telle coopération internationale, si elle a lieu, sera motivée par des intérêts nationaux plutôt que par une vision cosmopolite.
Un état des lieux inquiétant
Le rapport du GIEC qui, rappelons-le, fait la somme de plus de 14 000 publications scientifiques relatives au climat, marque une nouvelle étape dans l’appréciation du changement climatique, ses déterminants et ses conséquences potentielles.
Les travaux compilés vont tous dans le même sens, en établissant que c’est bien l’action humaine qui explique le réchauffement sans précédent qu’a connu notre planète durant la dernière décennie. Les facteurs dits «naturels», comme l’activité solaire ou le volcanisme, n’ont qu’un très faible impact sur le climat, contrairement à l’activité humaine.
Autre enseignement du rapport, la hausse de température a déjà atteint 1,1 degré par rapport à l’ère préindustrielle et devrait dépasser 1,5 degré dès 2030. Rappelons que l’objectif de la COP21 était de limiter la hausse de température moyenne sur terre à 2 voire 1,5 degré d’ici… à la fin du siècle ! Il apparaît également que la décennie qui vient de s’écouler a été la plus chaude depuis 100 000 ans.
Un atlas interactif pour visualiser les risques
L’une des difficultés pour appréhender ces changements globaux et massifs est d’une part leur hétérogénéité géographique et d’autre part leur déploiement dans un futur qui semble lointain. Pour bien des personnes, notamment dans les pays riches, le réchauffement peut se résumer en deux formules lapidaires justifiant l’inaction présente : «C’est pour les autres !» et «Après moi le déluge !»
C’est pour lutter contre cette posture que le GIEC met à disposition un nouvel outil, un atlas interactif qui permet de visualiser de façon régionale comment les différentes composantes du climat (températures, précipitations…) risquent d’évoluer dans les décennies qui viennent, donnant ainsi une vision concrète des changements à venir.
Cette simulation graphique révèle que le réchauffement est plus rapide dans certains espaces que d’autres, notamment dans les régions arctiques et antarctiques ou encore en Méditerranée où les épisodes de sécheresse auront des conséquences potentiellement dramatiques en matière de sécurité alimentaire.
En ce domaine, rappelons que les évènements extrêmes – canicule, tempêtes, inondations – sont très sensibles à de faibles variations de température globale. Voilà pourquoi nous ne vivons plus en 2021 dans le même monde climatique que celui de 2010.
Cinq scénarios climatiques
Afin d’éviter un effet de pétrification face à ces annonces – qui entraînerait à coup sûr fatalisme et inaction – le rapport du GIEC propose des «narratifs», des scénarios, non pas seulement géoclimatiques mais socio-économiques.
Ils reposent sur l’idée résolument optimiste selon laquelle l’humanité n’est pas impuissante face aux mutations du climat. Le rapport insiste sur le fait que l’inertie du système climatique est moins importante qu’on ne le croyait.
Et même si l’évolution des décennies à venir est déjà largement écrite – du fait de l’accumulation existante de gaz à effet de serre dans l’atmosphère –, l’humanité peut infléchir sérieusement la situation… ou la laisser filer selon le degré de volontarisme et de cohérence que les dirigeants de la planète sauront donner aux politiques climatiques.
Parmi ces cinq scénarios, seul l’un d’eux (dit «SSP1-1.9») permettrait d’atteindre les objectifs de la COP21 ; il nécessite de parvenir à la neutralité carbone en 2050. Dans le pire des scénarios, les émissions sont triplées par rapport au niveau actuel, entraînant une hausse de température de 4,4 degrés. À titre de comparaison, seuls 5 degrés (en plus) nous séparent aujourd’hui de la dernière ère glaciaire…
L’action concertée, principal défi
La réussite des politiques de limitation du réchauffement climatique repose sur une action commune, concertée à l’échelle globale. Là est tout l’enjeu… et la difficulté.
Les sciences sociales, s’appuyant sur les outils de la «théorie des jeux», soulignent qu’une politique qui maximise l’intérêt commun est extrêmement difficile à mettre en place lorsque la rationalité individuelle entre en conflit avec la rationalité collective.
Ainsi, il est dans l’intérêt de tous d’empêcher le réchauffement climatique mais chacun préfère que ce soit les autres qui subissent les coûts, notamment si le rapport bénéfices-coûts individuel semble défavorable.
Quelles sont alors les solutions pour sortir de cette impasse, fréquemment exprimée à l’aide du célèbre «dilemme des prisonniers» ?
Une communauté internationale encore à inventer
La crise de la Covid-19 a illustré qu’on ne peut simplement compter sur la solidarité des pays riches à l’endroit des plus pauvres pour résoudre ce problème d’action collective, la «communauté internationale» n’existe pas ou pas encore : elle est bien plus un artefact sans substance, invoqué par exemple lors de drames pour dire qu’elle «déplore» ou «est choquée».
La réalité est qu’il n’existe pas d’entité supranationale ayant la force nécessaire pour contraindre un État à agir pour le bien-être collectif et non pas afin de maximiser son intérêt individuel.
Vers une géopolitique de la coopération
Si la communauté internationale n’existe pas encore, elle pourrait néanmoins naître de l’écologie, comme le déclarait Hubert Védrine dans son essai, «Le monde au défi».
Il n’est pas de valeurs véritablement partagées à l’échelle planétaire, qui seraient le socle d’un sentiment de communauté, mais nous partageons tous en revanche une communauté de destin que le réchauffement climatique menace.
Pour le dire en d’autres termes, il serait nécessaire que le climat de la géopolitique lui aussi se refroidisse pour devenir davantage une «cosmopolitique», c’est-à-dire un système de relations internationales davantage tourné vers la coopération que vers les rivalités et les tensions.
L’écologie devenue un enjeu «réaliste»
Pour le moment, il faut bien reconnaître que c’est la vision «réaliste» qui triomphe ; celle où les États, mus par leurs propres intérêts, n’agissent en faveur du climat que s’ils y voient un intérêt.
Or pendant des années, cela n’a pas été le cas. Le président Bush n’avait-il pas déclaré en 1992 que le «mode de vie américain n’était pas négociable» ?
Il semblerait néanmoins que nous ayons atteint aujourd’hui un point d’inflexion : non seulement les événements climatiques extrêmes se multiplient et affectent les pays riches ou en forte croissance, mais le consensus scientifique se précise et l’opinion publique s’affirme en faveur de politiques plus vertes. Il faut dire que le coût élevé du changement climatique devient indéniable.
Coûts économiques du changement climatique
Ainsi, l’assureur Swiss Re estime-t-il que les pertes cumulées pourraient représenter 20 % du PIB mondial en 2050 (24 % pour la Chine, 10 % pour l’Europe et les États-Unis).
L’ancien banquier central Mark Carney rappelle que ces chiffres sont probablement sous-estimés car ils ne tiennent pas compte de l’éventuelle émergence de pandémies, de migrations de masse ou encore de conflits.
Face à cette perspective alarmante, les pays riches et pollueurs pourraient décider de former une coalition internationale car il serait unilatéralement dans leur intérêt d’y contribuer.
Et cela aurait d’autant plus de poids que leur puissance économique leur permettrait d’imposer leurs règles environnementales au travers d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. La mondialisation économique favoriserait ainsi une coopération internationale forcée sous l’impulsion de grandes puissances.
Ces enjeux sont aujourd’hui au centre des négociations de la COP26. Mais si tous les États acceptent collectivement de baisser leurs émissions de gaz à effets de serre, les discussions sur la répartition du budget carbone restant ou l’aide à la transition énergétique des pays pauvres risquent à nouveau d’être houleuses.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.