Loi sur la fin de vie : un droit de regard sur nos voisins européens

Loi sur la fin de vie : un droit de regard sur nos voisins européens

La France n’est pas la première à s’interroger sur la fin de vie. Pour mieux comprendre ses enjeux et surtout à quoi s’attendre, elle peut s’appuyer, au-delà des opinions, sur les expériences de ses voisins belges et néerlandais. Les textes sont parfois débordés par les faits.

La France a rouvert le débat sur la fin de vie. Emmanuel Macron a annoncé un projet de loi sur le sujet « d’ici la fin de l’été 2023 », quelques instants seulement après la publication du rapport de la Convention citoyenne qui s’est prononcée en faveur de la légalisation de l’aide active à mourir.

Si la question se pose à nous, c’est notamment parce que les avancées de la médecine dans les pays développés permettent aujourd’hui de repousser les limites de la vie, autorisant notamment son maintien artificiel, parfois pendant de longues années, alors même que les personnes sont plongées dans un coma profond et irréversible.


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En France, des voix s’élèvent aujourd’hui pour qu’une révision législative allant dans le sens d’une légalisation du suicide assisté et/ou de l’euthanasie soit adoptée. Les partisans d’une telle réforme mettent en avant plusieurs arguments. Ils soulignent en premier lieu que le respect de la volonté individuelle doit primer sur tout autre principe, notamment celui de l’indisponibilité du corps humain, posé par l’article 16 du Code civil. Le second argument avancé est celui de l’existence de ce type de pratiques dans plusieurs pays voisins, ce qui peut pousser les personnes qui souhaitent y recourir à franchir la frontière pour choisir le moment de leur mort en violation des règles de droit français.  

L’euthanasie reste une exception

Les législations néerlandaise et belge sont souvent mises en exergue pour alimenter le débat sur la fin de vie. Si les textes sont le plus souvent clairs dans les principes qu’ils posent, leur application parfois extrêmement extensive peut être interrogée et porter à réflexion.

Moins de dix pays dans le monde, dont quatre en Europe, ont légalisé l’euthanasie. Quelques autres ont, eux, autorisé une « aide active à mourir », formulation qui cache des réalités très diverses. L’aide active à mourir peut prendre la forme d’une assistance au suicide, comme en Suisse, ou d’une euthanasie, comme aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg, ou encore depuis 2022 en Espagne.

Dans ces pays, le législateur stipule clairement que si tuer reste un crime, l’acte de faire mourir une personne intentionnellement n’en est pas un, s’il répond à des conditions bien précises et qu’une procédure stricte, définie par la loi, est scrupuleusement suivie.

Pas un droit

A ce stade, il convient de préciser que, dans les pays qui l’ont légalisée, l’euthanasie n’est pas un droit. En Belgique notamment, pays souvent cité en exemple, les personnes majeures (et dans certains cas mineures) peuvent requérir l’euthanasie, mais elles ne peuvent l’exiger. La décision ultime ne sera prise qu’à la suite de nombreux entretiens et consultations.

En Espagne, dernier pays européen en date à avoir légalisé cette pratique, des conditions drastiques encadrent la démarche. La personne doit être capable et consciente quand elle fait sa demande. Cette dernière doit être formulée par écrit, sans aucune pression extérieure et renouvelée. Quinze jours plus tard, le médecin a la possibilité de rejeter la demande si les critères ne sont pas remplis. La demande devra même être approuvée par un autre médecin et recevoir le feu vert d’une commission d’évaluation. En moyenne, le délai entre le souhait du patient et la réalisation de l’acte est de 50 jours.

Si la pratique semble très encadrée par les textes, les exemples néerlandais et belges montrent qu’il existe un véritable et dangereux fossé entre l’esprit de la loi et sa mise en pratique.

La loi et l’esprit de la loi

Aux Pays-Bas depuis la légalisation de l’euthanasie, il y a plus de 20 ans, le nombre d’actes a quasiment quadruplé. Il est passé de 2 000 en 2002 à près de 8 000 en 2021. Les conditions établies par la loi, étaient strictes, mais leur interprétation est devenue, les années passant, beaucoup plus large. Aux Pays-Bas la demande ne nécessite pas d’écrit et le médecin ne peut faire jouer sa clause de conscience, ce qui facilite l’accession à l’acte. Les garde-fous sont donc moindres et le champ des demandes très large. On peut notamment s’interroger sur la pertinence et la légalité d’une euthanasie pratiquée sur des personnes atteintes de troubles psychiatriques, des personnes démentes, très âgées ou souffrant de pathologies graves, mais qui ne respectent pas les conditions initiales requises par la loi.

Un projet de loi y a même été déposé pour « autoriser l’aide au suicide pour “vie accomplie” à partir de 75 ans », selon l’Institut européen de bioéthique (IEB). Bien que dénuées de pathologies, elles pourraient en faire la demande avec comme unique mobile « la fatigue de vivre ». Si un tel texte était adopté, le risque de dérive mortifère serait indéniable. Aux Pays-Bas toujours, les mineurs âgés de 16 à 18 ans, souffrant de façon insupportable et sans espoir peuvent demander à être euthanasiés si les parents sont associés à la décision. Lorsque l’enfant est plus jeune, âgé de 12 à 16 ans, cette demande n’est recevable que si les parents approuvent la décision. Depuis 2005, le protocole de Groningen permet également l’euthanasie d’enfants de moins d’un an avec l’accord des parents. Mais la décision n’est évaluée qu’a posteriori… Et, à la demande de pédiatres, le gouvernement étudie la possibilité de permettre l’euthanasie des enfants de moins de 12 ans, ce qui est pour l’instant totalement prohibé.

“Une incitation au désespoir” ?

L’une des questions éthiques que posent ces pratiques extensives est clairement exposée par Théo Boer, professeur d’Ethique de la santé à l’Université théologique protestante de Groningue, et pourtant favorable à l’euthanasie dans une tribune au Monde en 2022 : « pourquoi seulement une mort assistée pour les personnes souffrant d’une maladie et pas pour celles qui souffrent du manque de sens, de marginalisation, de la solitude, de la vie elle-même ? », interroge l’ancien contrôleur des cas d’euthanasie aux Pays-Bas. « Ce qui est perçu comme une occasion bienvenue par ceux qui sont attachés à leur autodétermination devient rapidement une incitation au désespoir pour les autres, continue-t-il. Dans une société où l’aide à mourir est accessible, les gens sont confrontés à l’un des choix les plus déshumanisants qui soient ; est-ce que je veux continuer à vivre ou est-ce que je veux mettre fin à mes jours ? »

La loi belge est plus cadrée sur le plan de la procédure. La demande écrite est notamment obligatoire. Elle est en revanche moins restrictive en ce qu’elle prévoit la possibilité d’envisager des cas d’euthanasie en dehors d’une phase terminale. Dès lors que la personne déclare se trouver « dans une situation médicale sans issue et fait état d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et résulte d’une affection accidentelle ou pathologique, grave et incurable » écrit Le Journal des Femmes, sa demande doit être considérée.

Le débat de la fin

Par ailleurs, la loi belge prévoit une exception d’euthanasie pour une personne en dépression. Le premier cas de demande euthanasique pour motif dépressif a été jugé légitime en 2022. L’autonomie des patients mineurs est également autorisée en Belgique depuis 2014. Dès lors que le jeune malade souffre d’une maladie incurable, et « vit dans une souffrance physique constante et insupportable qui ne peut être apaisée », il devra faire seul la demande d’euthanasie, même si le consentement parental est requis. La loi belge, contrairement à la loi néerlandaise, ne prévoit pas de limite d’âge concernant la demande des mineurs. Elle dit simplement que l’enfant qui fait la demande doit être capable de discernement. Le plus jeune enfant ayant fait la demande était âgé de 9 ans. En aucun cas, à ce jour, la demande d’un mineur ne pourra être fondée sur la seule douleur psychique.

Comme aux Pays-Bas, le nombre d’euthanasies a considérablement augmenté en 20 ans. Les cas déclarés sont passées de 24 en 2002 à 2 699 en 2022. Près d’un tiers d’entre eux concernaient des personnes âgées de moins de 60 ans. Mais selon l’IEB, des études scientifiques estiment qu’environ 25 à 35% des euthanasies ne sont pas déclarées par les médecins. La légalisation n’est donc pas une garantie du respect des règles, ce qui pose là encore de réelles questions éthiques.

La France ne regarde pas vers l’Espagne

Plus au sud, en Espagne, la loi ne précise pas si la personne qui formule la demande doit ou non être en fin de vie. En revanche, elle doit souffrir d’une maladie grave et incurable ou d’une maladie grave, chronique et invalidante, provoquant des souffrances intolérables. Récemment adoptée il faudra attendre quelques années pour pouvoir faire un bilan de son application. Mais en France, Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, s’est d’ores et déjà prononcé sur la procédure mise en place par la loi espagnole : pour lui, le délai de 30 à 50 jours pour qu’un malade puisse voir sa demande acceptée est beaucoup trop long. Ce n’est pas le modèle qu’il préconise.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a, quant à elle, eu à statuer sur une affaire d’euthanasie et dans l’arrêt Mortier contre Belgique d’ octobre 2022. Elle a rappelé qu’il n’est absolument pas possible de déduire de l’article 2 de la Convention un droit à mourir, cette disposition consacrant le droit à la vie. Néanmoins, si la CEDH ne confère pas de droit à l’euthanasie, elle permet celle-ci sous condition. Elle tempère son propos en précisant que la disposition de l’article 2 ne peut pas être interprétée comme interdisant en soi la dépénalisation conditionnelle de l’euthanasie. Mais elle doit rester conditionnelle, c’est à dire qu’elle doit être encadrée par la mise en place de garanties adéquates et suffisantes visant à éviter les abus et permettant d’assurer le respect du droit à la vie.

Le poids de la conscience

Les positions sont donc extrêmement contrastées et les pratiques plus ou moins extensives, quels que soient les cadres posés par les lois internes. Dans notre société où les vulnérabilités s’accroissent, où les personnes en fragilité, malades, âgées, dépendantes craignent souvent d’être considérées comme un poids pour la société comme le souligne la psychologue Marie de Hennezel dans un entretien sur France info le 2 avril 2023, le risque est alors « qu’elles se sentent comme un poids pour la société ou pour leur famille, qu’elles aient le sentiment d’une vieillesse indigne ce qui les incitera à demander la mort ».

Il ne faut pas perdre de vue que l’essentiel doit rester le respect des droits des patients. Comme l’ont souligné toutes les parties prenantes avant et après la consultation citoyenne sur la fin de vie, ce respect passe en premier lieu par un développement massif des unités de soins palliatifs. Il doit constituer la seule véritable priorité pour que la loi Claeys-Léonetti, adoptée en France en 2016, devienne effective.

Les soins palliatifs permettent dans la grande majorité des cas aux personnes en grande vulnérabilité de préserver leur estime d’elles-mêmes. Comme le souligne Xavier, un infirmier belge, c’est « ajouter de la vie aux jours lorsqu’on ne peut plus ajouter de jours à la vie ».

Diane de Saint-AffriqueProfesseur à SKEMA Business-School, où elle dirige le double Master Droit des Contrats d’Affaires, qu’elle a créé.

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