L’Arabie saoudite vient de mettre un nouveau coup de pied dans la fourmilière du sport mondial : les circuits professionnels de golf masculin, le PGA Tour, le DP Tour et le LIV, porté par le fonds souverain saoudien, ont fusionné. Un accord qui fait encore un peu plus basculer le sport du Nord vers le Sud.
Le rapprochement choc de cette semaine entre les circuits professionnels de golf masculin : LIV, le PGA et le DP Tour avait quelque chose de trumpien. Le golf au centre de la scène, un accord conclu (plutôt que des règles et des conventions maintenues), le résultat obtenu à l’issue d’un processus imprévisible et, bien sûr, les relations entre les États-Unis et l’Arabie saoudite sous les feux de la rampe.
Le premier voyage à l’étranger en tant que président en 2017 de Donald Trump a aujourd’hui quelque chose de prémonitoire. Trump avait rendu visite au roi Salman à Riyad. Tous deux avaient été photographiés avec les mains fermement posées sur un globe illuminé lors d’une visite au Centre mondial de lutte contre l’idéologie extrémiste. Ironie du sort, la question du rôle de l’Arabie saoudite dans les attentats du 11 septembre s’est depuis profondément mêlée à l’incursion controversée de LIV dans le monde du golf professionnel.
Joue-la comme le foot
Tout comme cette visite à Riyad est devenue un moment emblématique de l’histoire contemporaine de notre monde en mutation, la nouvelle extension du golf a de profondes implications pour le sport dans les décennies à venir. Le monde du sport est désormais sous l’emprise non seulement des États-Unis – qui restent la plus grande économie sportive du monde – mais aussi, de plus en plus, de l’Arabie saoudite.
Pour ceux qui ne le savent pas encore, ou qui ont été surpris par la capitulation apparemment rapide du PGA Tour, nous nous trouvons au milieu d’un pivot plus large du pouvoir économique et politique du Nord vers le Sud. C’est peut-être une vérité qui dérange certains, mais le sport n’est pas indépendant de ce qui se passe ailleurs dans le monde. La prise de contrôle du golf professionnel par l’Arabie saoudite à grands renforts de dollars s’inscrit parfaitement dans cette gigantesque tendance.
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Les amateurs de football européen sont déjà conscients de tout cela ; la finale de la Ligue des Champions, la plus grande compétition européenne, entre un club appartenant à Abu Dhabi (Manchester City) et un autre dont le propriétaire est chinois et entretient des liens étroits avec le Parti communiste chinois (Inter Milan), en est le parfait exemple. Le club de Manchester a déjà fait l’objet de poursuites de la part de l’UEFA pour violation des règles financières. Mais au lieu de chercher à contrer ces accusations, Manchester City a remis en question la nature fondamentale des règles, et a gagné.
Un swing du Nord vers le Sud
La nouvelle orientation prise s’attaque donc au cœur même de la manière dont le sport, tel que beaucoup d’entre nous l’ont connu, est gouverné et à ses propres règles. Historiquement, de nombreux sports, dont le golf, ont été largement portés par ce que l’on appelle communément les « valeurs occidentales ». Parmi les principes largement acceptés de bonne gouvernance dans le sport, on trouve le besoin d’équité, de justice, de transparence et de démocratie. Aujourd’hui, cependant, les pays qui exercent un pouvoir croissant dans le sport, comme l’Arabie saoudite, ont souvent une vision assez différente de la manière dont les décisions sont prises et de la raison pour laquelle elles le sont, des personnes qui y participent et des conséquences qu’elles devraient avoir.
De même que le monde en général est confronté à une remise en cause de l’ordre fondé sur les règles de l’après-guerre, le sport doit lui aussi faire face à des remises en cause de ses propres règles établies. Bien que les origines du PGA Tour remontent au premier quart du XXe siècle, LIV Golf – financé par le fonds souverain de l’Etat saoudien, a plongé le golf mondial dans le XXIe siècle et défié l’hégémonie nord-américaine de ce sport. Les règles associées à cet ordre mondial s’étant érodées, il n’est peut-être pas surprenant que les parties prenantes de l’accord aient choisi de conclure un « deal » du XXIe siècle plutôt que de suivre les règles et les systèmes de gouvernance du XXe siècle.
L’ancien président Trump fait souvent référence à l’importance de la conclusion d’accords qui, bien qu’ils soient parfois tournés en dérision, commencent à dominer à la fois le monde en général et le sport en particulier ; le mantra « deals not rules » (des accords et non des règles) caractérise certainement notre époque. Alors que des rumeurs circulent déjà sur le fait que les États du Golfe envisagent la possibilité d’acheter des franchises de la NBA, ce changement dans la gouvernance du sport implique potentiellement la future prise de décisions cruciales. Une tentative d’achat par l’Arabie saoudite d’une franchise de basket comme le Miami Heat susciterait inévitablement des réactions négatives : « pas question, c’est contraire aux règles », de la part des fans de basket américains. Mais nous devrions être conscients qu’aujourd’hui, les accords sont là pour être conclus.
Golf stream
Qu’il s’agisse de Trump, de Mohammed bin Salman ou du Fonds d’investissement public d’Arabie saoudite, il doit y avoir des raisons pour que les deux parties fassent des affaires l’une avec l’autre. Pour LIV et le PGA Tour, rétrospectivement, l’issue semblait inévitable : l’une des parties avait beaucoup d’argent, un déficit de légitimité et se débattait avec les chiffres d’audience ; l’autre partie disposait d’une riche légitimité accumulée historiquement, d’un engagement significatif de l’audience et était plus faible financièrement. C’est un peu comme si le résultat final de cette semaine avait été conçu dans le centre de Manhattan.
D’un côté, les parties concernées du Nord peuvent se satisfaire que la rationalité conventionnelle a prévalu et que les valeurs occidentales ont fini par l’emporter.Mais vu de l’autre côté du fairway, cela ressemble davantage à une victoire à la Pyrrhus. LIV Golf n’a jamais été une marque disruptive ayant l’intention de bouleverser l’avenir du sport. Au contraire, LIV Golf et ses bailleurs de fonds sont des conservateurs qui sont venus chercher une légitimité et une place à la table des grands du sport mondial.
Quelle que soit la tournure des événements aux États-Unis et en Europe, Riyad vient d’interrompre une partie centenaire qui ne sera plus jamais la même. Donald Trump lui-même serait certainement fier d’avoir eu un tel impact ; de même, les divisions et les cicatrices laissées par sa présidence sont le reflet des turbulences et des divisions qui attendent le golf professionnel au moment où il s’élance vers le nouvel avenir qui l’attend.