La banalité de la mondialisation

La banalité de la mondialisation

A l’occasion de la 6e édition du Printemps de l’économie en 2018, un sondage sur le thème « Les Français et la mondialisation » a été réalisé par OpinionWay. Il révèle la vision négative et pessimiste que la mondialisation nourrit parmi nos concitoyens. Mauvaise opinion pour 60% des personnes interrogées, inquiétude pour l’avenir des prochaines générations à 71% … La mondialisation cumule tous les maux : elle est synonyme de pauvreté, de chômage, d’inégalités et d’uniformisation culturelle.

Et pourtant, ce phénomène ne se limite pas aux crises financières ou aux pandémies. Il est souvent présent dans notre vie de tous les jours, discrètement, sans que nous ne nous en offusquions.

La lettre volée est une nouvelle d’Edgar Allan Poe dans laquelle une lettre de la plus haute importance est dérobée. Celle-ci est introuvable. Le mystère est résolu quand le détective se rend compte que cette lettre a été dissimulée non pas en la cachant, mais en la traitant comme un document ordinaire, visible par tous. Une chose importante, mais perçue comme banale, n’attire pas l’attention. Et si la mondialisation répondait aussi à cette définition ?

Prenons quelques exemples !

Le monde nous offre aujourd’hui un énorme choix culinaire. De Paris à Tokyo, des plats du monde entier sont cuisinés et consommés. Notre préférence pour telle ou telle cuisine s’apparente en quelque sorte à une importation de produit culturel. Une récente étude montre par exemple qu’en France la moitié de nos dépenses de restauration est consacrée aux cuisines étrangères. Au pays de la gastronomie, ce commerce international implicite est bienvenu et sa remise en cause paraîtrait incongrue.

Notre attrait pour l’étranger et l’évasion se retrouve également dans l’explosion du tourisme mondial. Aujourd’hui, on compte 1,4 milliards d’arrivées de touristes par an. Cette migration internationale temporaire représente une part importante du revenu national des pays hôtes : 9% du PIB de la France.

Après une année de pandémie, marquée par un repli sur soi souvent subi, des confinements et des fermetures de frontières successifs, serions-nous prêts à renoncer à ce produit de la mondialisation ?

Autre exemple, tout aussi banal à nos yeux, voire presque invisible, la mondialisation de nos déchets. Qu’advient-t-il du contenu de nos poubelles à recyclage ? Il est largement exporté vers les pays en développement, notamment vers la Chine. En 2016, elle absorbait à elle seule 45% des importations mondiales de déchets plastiques destinés au recyclage. Son refus de poursuivre cette pratique début 2018 a mis en évidence ce commerce peu connu en bouleversant profondément l’économie du recyclage des pays développés. Ceux-ci avaient pu, pendant des années, faire de l’écologie à bas prix et adopter une bonne conscience environnementale.

Enfin, plus anecdotique mais ayant de réelles implications sociales, les citoyens britanniques font parfois appel, pour des raisons médicales ou sociales, à l’insémination artificielle avec don de sperme. Le Brexit pourrait nuire à leurs désirs de procréation. En effet, une grande partie des échantillons de sperme proviennent de pays étrangers, notamment le Danemark et les Etats-Unis. Au-delà des inquiétudes générées par le Brexit sur ces importations « vitales », il est remarquable de penser qu’un tel commerce a lieu, sans que cela soit un sujet de polémique autour de l’identité nationale britannique.

Un sondage récent rapporte pourtant que, dans de nombreux pays développés, seule une minorité de la population considère que la mondialisation est une force positive.

Mais de quelle mondialisation parle-t-on ? Probablement pas de celle qui contribue à notre bien-être sans que nous nous en rendions compte.  Décidément, ce qui est banal, n’est pas forcément insignifiant !

Rodolphe DesbordesProfessor of Economics, RISE² Research Centre, SKEMA Business School - University Côte d'Azur, France

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