La mondialisation de la méfiance

La mondialisation de la méfiance

La mondialisation repose sur la confiance qui lie et relie ses acteurs. Or, la crise sanitaire que nous traversons actuellement engendre une méfiance croissante entre États, synonyme de risques accrus pour leurs populations. Contre les tentations de repli national, il est nécessaire de promouvoir la coordination internationale afin d’endiguer la pandémie de coronavirus. 

La mondialisation commerciale est basée sur une idée simple : nous n’avons pas besoin de tout produire car nous pouvons obtenir de nos partenaires les biens et services dont nous avons besoin et dans lesquels nous n’avons pas d’avantages comparatifs. Les échanges économiques qui en résultent connectent les pays et relient producteurs étrangers aux consommateurs étrangers. La crise sanitaire que nous vivons actuellement remet en cause ce cosmopolitisme commercial. Afin d’éviter notamment des pénuries, les gouvernements ont tendance à restreindre de façon croissante les exportations de bien médicaux.

Ce type de politique commerciale n’est pas rare. Ainsi, à la suite de la hausse des prix sur le marché mondial, de nombreux pays limitèrent leurs exportations de biens alimentaires entre les années 2008 et 2011. Les conséquences ont été désastreuses. Chaque restriction de l’offre mondiale conduit à une hausse du prix mondial et de nouvelles restrictions par les pays exportateurs. Cet effet multiplicateur engendra une hausse supplémentaire des prix de 13 % en moyenne, avec, bien entendu, des effets néfastes pour les pays importateurs de nourriture. Dans le cadre de la pandémie actuelle, les pays exportateurs, en réduisant l’offre mondiale de masques, ventilateurs et respirateurs artificiels, mettent ainsi potentiellement la planète en danger et plus particulièrement les pays pauvres qui n’ont pas les moyens de payer le surcoût des importations ou de produire localement. 

Plus largement, ce type de comportement remet en doute l’idée que s’engager dans la mondialisation est bénéfique dans le long terme. Il est difficile en effet de commercer avec un pays étranger et dépendre de lui pour la nourriture, les terres rares, les médicaments, si celui-ci rompt toute coopération économique internationale et invoque l’intérêt national dans les moments critiques. Que cela soit au niveau national ou international, les échanges ne peuvent avoir lieu sans confiance. Ceci a bien été rappelé par Arrow qui écrivait “virtuellement, tout échange commercial contient une part de confiance, comme toute transaction qui s’inscrit dans la durée. On peut vraisemblablement soutenir qu’une grande part du retard de développement économique d’une société est due à l’absence de confiance réciproque entre ses citoyens.”

La solution ne doit pas être la recherche instinctive de la sécurité au travers de l’autarcie. Ceci est une réponse très inadéquate et inefficace. Bien au contraire, plus de coordination internationale est nécessaire afin de maintenir en toutes circonstances les bienfaits de la mondialisation et éviter que cette crise sanitaire ne se transforme en catalyseur du nationalisme et du protectionnisme. Cela bien entendu n’empêche pas la préservation ou la promotion d’activités comme vitales. Une mondialisation aux sources diversifiées est une mondialisation peut-être moins efficiente mais plus résiliente.

Albert Einstein nous a prévenus : “Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire.” Cette pandémie est peut-être l’occasion d’apprendre à nous connaître et de révéler le monde futur que nous souhaitons. Gardons en tête qu’un autre combat mondial nous attend, bien plus inquiétant et malheureusement prévisible – à tel point d’ailleurs qu’il est impossible de qualifier de “cygne noir” : le changement climatique. 

Rodolphe DesbordesProfessor of Economics, RISE² Research Centre, SKEMA Business School - University Côte d'Azur, France

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Frédéric MunierProfesseur de Géopolitique, SKEMA Business School

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