Le coronavirus révèle plus qu’il n’égalise

Le coronavirus révèle plus qu’il n’égalise

Durant la pandémie de coronavirus, il a été affirmé à plusieurs reprises que le virus serait un « grand égalisateur », indifférent au statut social ou à l’âge de ses victimes. Pourtant une analyse approfondie des données révèle qu’il n’en est rien. En ce domaine comme en d’autres, il existe des corrélations profondes entre la vulnérabilité à la maladie et le profil des malades. Le coronavirus est bien un révélateur des fissures de nos sociétés.

Au milieu du XIVe siècle, une épidémie de peste décima une grande partie de la population européenne. En Angleterre par exemple, 60% des habitants furent emportés par ce fléau. Il semble que cette pandémie ne fit pas de différences socio-économiques, du moins initialement. Pauvres et riches étaient égaux face au risque de mortalité.

L’actuelle épidémie de coronavirus (SARS-CoV-2) suscite de nombreuses comparaisons avec la peste du Moyen-Âge. On retrouve en effet les mêmes éléments de soudaineté, de globalité, de mise en quarantaine, et de distanciation sociale. La chanteuse Madonna a poussé la comparaison plus loin en suggérant que le coronavirus était, comme l’avait été la peste en son temps, le « Grand égalisateur » car il ne ferait pas de distinction entre les riches et les pauvres, les vieux et les jeunes. Or, ce propos est inexact.

En réalité, le coronavirus semble être un amplificateur de mortalité. Hors épidémie, le risque de mortalité grandit avec l’âge et avec la morbidité. Ainsi, les données dont nous disposons montrent que ce sont les personnes âgées et souffrant d’une maladie qui sont les plus susceptibles de succomber. Hors âge, les plus fragiles correspondent aux segments les plus pauvres de la société. Ainsi, L’INSEE montre qu’en France, les hommes aux revenus les plus faibles ont une espérance de vie de 13 ans inférieure à celle des plus hauts revenus. Cela s’explique notamment par un meilleur accès aux soins, un travail moins pénible, un meilleur environnement de vie. On peut alors penser que le coronavirus risque de faire ses plus grands ravages dans les populations les plus vulnérables.

Le cas des Etats-Unis est éclairant à ce titre. Il n’est pas étonnant que la population noire semble plus affectée par le coronavirus que les Blancs. Les Afro-Américains ont un niveau de vie moyen bien inférieur au reste de la population ; un-quart d’entre eux vit sous le seuil de pauvreté américain. Cela se traduit, hors épidémie, par un excès de mortalité considérable proche de 45% (chez les hommes) pour les tranches d’âge appartenant à la population active (20-65 ans). Cette vulnérabilité latente de la population noire est simultanément déterminée et accentuée par la nature de leurs activités professionnelles. Celles-ci correspondent le plus souvent à des métiers de service mal payés et nécessitant une présence physique, synonymes de mauvaise couverture médicale et un risque élevé de contamination.

Madonna dont la fortune est estimée à 570 millions de dollars se trompe alors en voyant le coronavirus comme le « grand égalisateur ». Il est plutôt le « grand révélateur » des fissures de nos sociétés.

Rodolphe DesbordesProfessor of Economics, RISE² Research Centre, SKEMA Business School - University Côte d'Azur, France

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Frédéric MunierProfesseur de Géopolitique, SKEMA Business School

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