Le populisme contre le peuple ? Les avatars d’une idéologie appauvrissante

Le populisme contre le peuple ? Les avatars d’une idéologie appauvrissante

Le populisme est une idéologie complexe née à la fin du XIXe siècle en Russie. Il s’agissait alors d’un mouvement issu de l’intelligentsia progressiste, démocrate et démophile, qui prônait un véritable intérêt envers le peuple dans le but de l’aider et l’instruire mais aussi de maintenir le contact entre l’élite sociale et la base populaire. Depuis, le populisme a changé de nature et il est fort possible que les actions politiques de ses représentants, menées au nom du peuple, se retournent contre ce dernier, au risque de l’appauvrir.

A l’origine pensé comme un trait d’union entre le sommet et la base de la pyramide sociale, le populisme peut être défini aujourd’hui comme une idéologie manichéenne qui oppose le « peuple vertueux » et l’ «élite corrompue ». Les dirigeants des partis populistes, souvent issus de cette élite, prétendent lui tourner le dos pour défendre les intérêts du « petit peuple » trop longtemps bafoué par une minorité dominante. Ils promettent notamment d’accélérer croissance et redistribution en ignorant toute orthodoxie. Un tel discours acquiert une légitimité circonstancielle lorsqu’il est prononcé dans un contexte morose combinant stagnation économique, profondes inégalités socio-économiques et affaires de corruption.  L’Amérique Latine est un cas d’école et son histoire souligne un fait essentiel : les politiques populistes sont des politiques expansionnistes appauvrissantes.

Les économistes Rudiger Dornbusch et Sebastian Edwards ont publié en 1991 un livre intitulé The Macroeconomics of Populism in Latin America. Ils y mettent en avant que les dirigeants populistes répondent immédiatement aux attentes de leurs électorat en s’engageant dans des politiques expansionnistes – entendons par là des politiques de relance par des mesures fiscales ou monétaires. Il en résulte certes une forte croissance économique et plus de redistribution. Mais Dornbush and Edwards soulignent que cette situation n’est généralement pas durable : les déficits se creusent rapidement et sont monétisés ce qui accélère l’inflation, les devises nécessaires pour importer viennent à manquer et la productivité de l’économie s’effondre. Le résultat final est une crise économique qui pénalise l’ensemble de la population et plus particulièrement les plus pauvres. Une telle analyse explique aujourd’hui par exemple la crise dramatique qui frappe le Venezuela post-Chavez, où le taux de pauvreté est de plus de 80% et le pays connait une émigration sans précédent.

Considérons un autre pays latino-américain, le Brésil, actuellement gouverné par un populiste de droite, Jair Bolsonaro. Celui-ci s’est engagé dans un autre type de politique expansionniste appauvrissante : la déforestation de l’Amazonie.

Sur le court terme, brûler la forêt permet d’accroître la culture du soja, l’élevage du bétail, ou les activités minières. Sur le plus long terme, la déforestation rapproche l’Amazonie d’un point de non-retour où son homéostasie sera rompue, conduisant à sa disparition. Celle-ci aurait des conséquences très onéreuses pour le Brésil en particulier où l’agriculture dépend largement des précipitations générées par l’Amazonie. Quant au reste du monde, il souffrirait de la perte des services écologiques rendus par l’Amazonie sous la forme du stockage du carbone ou de conservatoire de la biodiversité. Ceci explique pourquoi les politiques environnementales du Président Bolsonaro sont fortement critiquées par les représentants de la communauté internationale soucieux d’écologie, notamment en Europe.

Certes, les Européens ont toute légitimité à s’alarmer de politiques économiques étrangères qui mettent en péril les grands équilibres de la planète. Néanmoins, les actions de l’Union européenne elle-même ne sont pas exemptes de tout reproche. En effet, à chaque élection européenne, de nombreux membres de partis populistes d’extrême-droite sont élus parlementaires européens. Ceux-ci tendent à s’opposer à toute politique environnementale européenne, avec les mêmes arguments que ceux avancés au Brésil : la protection de l’environnement est une taxe sur l’activité, elle serait coûteuse, injuste et inefficace. Ainsi, en Europe, on retrouve aussi des programmes populistes articulés autour de politiques expansionnistes appauvrissantes.

D’une manière générale, les populistes s’engagent dans une extraction déraisonnable des ressources qui les entourent sans assurer le renouvellement de ces dernières. Une fois leurs politiques engagées, les conséquences peuvent être irrémédiables et internationales. Mais rappelons-nous que l’appel des « extrêmes » est amplifié par un sentiment réel de délaissement dans certaines couches de la société. La montée récente du populisme dans l’ensemble du monde suggère que lutter contre ce sentiment doit être une priorité. Prévenir la dislocation des sociétés peut être bien moins coûteux que tenter de recoller les morceaux économiques…ou écologiques. Pour finir et prendre la hauteur sur le phénomène politique qu’est le populisme, peut-être faut-il le considérer comme un rappel à l’ordre et le signal que les démocraties ont pu négliger une partie même du peuple qu’elles étaient censées représenter et protéger. De ce point de vue, nos régimes démocratiques ont un espace à réinvestir et un discours à réinventer pour retourner au populisme des origines qui voulait combler le fossé entre les classes sociales. N’est-ce pas leur vocation après tout d’être, selon les mots d’Abraham Lincoln, « le régime du peuple, par le peuple, pour le peuple » ?

Rodolphe DesbordesProfessor of Economics, RISE² Research Centre, SKEMA Business School - University Côte d'Azur, France

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Frédéric MunierProfesseur de Géopolitique, SKEMA Business School

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