Un leader est d’abord un être qui prend conscience de son corps

Un leader est d’abord un être qui prend conscience de son corps

Notre corps est une telle évidence qu’on n’en prend même plus conscience. Il parle pourtant autant que nos mots ou que toutes les méthodes que nous mettons en place. Desmond McGetrick, directeur du Mastère Spécialisé® Manager des Projets et Programmes (MS MPP) au Campus Grand Paris de SKEMA, s’inspire de l’œuvre d’Arawana Hayashi pour l’enseigner à ses étudiants : être un leader, ça commence avec son corps.

Cela nous est à tous arrivé un jour : être allé à un rendez-vous avec la sensation d’avoir une « boule au ventre » ou, lors d’un moment collectif, s’être senti « transporté » par l’émotion partagée. Images ô combien physiques. Notre corps nous parle et il parle aussi de nous. Dans la vie de tous les jours, pourtant, il est rare qu’on pense à son importance et aux messages qu’il envoie. Imaginez son rôle dans le leadership. Pourquoi en faire abstraction ? Le management doit-il nécessairement être une démarche purement cartésienne ?

Leader de la tête aux pieds

Dans mon cours de « Leadership et Changement », du Mastère Spécialisé® Manager des Projets et Programmes (MS MPP) au Campus Grand Paris de SKEMA, j’ai voulu intégrer cette dimension corporelle en m’appuyant sur l’œuvre de d’Arawana Hayashi. Elle a inventé une démarche qu’elle appelle le « Social Presencing Theater ». J’ai découvert son travail dans le cadre de la « Théorie U », articulée par Otto Scharmer du MIT, et j’ai eu la chance d’assister à un atelier de deux jours avec Arawana lors de son passage à Paris l’an dernier. En seize heures d’atelier avec elle, et en compagnie d’une petite vingtaine de participants, j’ai pu expérimenter cette dimension physique dans mon corps, ma tête et sur le plan émotionnel.

Mais comment transmettre cette dimension holistique à mes 223 étudiants du MS MPP en l’espace d’à peine 24 heures de cours sur le Leadership et le Changement ? J’ai procédé par étapes :

1. Remodeler l’espace de cours : tenter un format en cercle

Installer les étudiants « en format théâtre » les incite à incarner le rôle d’étudiant, celui qui attend des instructions du professeur ; alors que les installer en cercle, sans tables, les invite à s’ouvrir les uns aux autres.

L’absence de la table conduit à supprimer l’ordinateur et ouvre le regard les uns sur les autres. Dans un monde idéal, les téléphones portables sont déposés dans un réceptacle à l’entrée de la pièce pour éliminer la tentation de se réfugier derrière son écran, ou tout simplement d’être tenté par une notification. De cette manière, l’attention reste dans la pièce et s’ouvre à la présence des autres camarades de classe.

2. Commencer par se poser : faire le calme en soi

Il n’y a, bien sûr, pas qu’une façon de faire. Pour ma part, j’ai proposé à mes étudiants un exercice de réflexion par rapport à l’activité de la matinée, selon le triptyque :

  • Qu’est-ce que j’ai fait ?
  • Qu’est-ce que j’ai ressenti ?
  • Qu’est-ce qui m’a surpris ?

En préparant cet exercice dans leur tête, ou avec un crayon et un papier, les participants, placés en cercle, s’habituent à leur présence auprès des uns et des autres. Les réponses à ces trois interrogations peuvent être formulées sous forme de « haïku » (poème japonais de trois lignes), récit ultra-bref qu’ils sont invités à partager, s’ils le souhaitent, avec leur voisin ou même avec le groupe.

3. Traduire un enjeu « de leadership » par un geste : l’exercice de « blocage » (i)

C’est l’un des exercices phares d’Arawana : s’interroger sur ce qui « bloque » dans ma vie (en l’occurrence professionnelle) ? Puis, faire l’expérience d’incarner ce blocage avec son corps. Ce blocage peut être, par exemple, la fameuse « boule au ventre » dont on parlait plus haut.

Cette démarche est à la fois intime, et très respectueuse de la vie privée de chacun. Intime, parce que pour que l’exercice soit utile, il faut que ce blocage existe réellement ; et respectueuse de la vie privée, puisqu’à aucun moment les participants ne font part de la nature réelle de ce blocage. Ils partagent, simplement, le geste qui représente ce blocage, chacun à leur tour, par petits groupes de 4 ou 5.

4. Laisser le corps informer l’esprit : l’exercice de « blocage » (ii)

Arawana nous invite à nous défaire de ce blocage, à faire en sorte que le corps se débloque. En étant réellement « présent à son corps », le corps trouvera une manière de « défaire le nœud » ou d’absorber le blocage. Il restera alors à prendre conscience de la façon dont le corps élimine le blocage et à en tirer des conclusions personnelles sur la manière de s’y prendre pour l’éliminer ou l’absorber dans la vie réelle.

Pour ma part, les blocages que j’ai pu montrer aux étudiants lors du premier cours se sont trouvés dissous avant même le cours suivant, m’obligeant à chercher un autre point de blocage !

5. Prendre conscience de l’influence de son corps sur les autres : la notion de « champ social »

Sans aller jusqu’à l’exemple du joueur de foot ou du chanteur qui électrise ses fans (et ses coéquipiers) à son arrivée sur le terrain ou sur la scène, nous connaissons tous des personnes dont la simple présence modifie l’ambiance ou la dynamique d’un événement ou d’une réunion. L’enjeu, ici, est de prendre conscience que nous tous, nous influons sur l’ambiance d’un groupe, cela avant même d’exprimer une seule parole.

Arawana construit justement l’activité comme une arrivée sur scène, sans exprimer un seul mot. Et elle parvient à faire prendre conscience à tous et à chacun du « message » qu’ils transmettent en tant que spectateurs. Qu’il le veuille ou non, le spectateur est engagé : sa posture et son regard ont une influence sur tous les membres du groupe, que ce soit sur les autres spectateurs ou sur la personne sur scène.


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À SKEMA, j’ai remodelé la classe en « U » et proposé à chaque équipe (sous-groupe de 5 personnes) de venir à tour de rôle devant la classe entière. Chacune d’elle avait un bref contenu à partager : faire savoir « où le groupe en était dans l’avancement d’un travail d’équipe ». En complément de ce message, chaque équipe était invitée à prendre conscience de sa présence physique par rapport à la classe, et également par rapport à chaque membre de l’équipe. J’ai aussi encouragé l’ensemble des participants à prendre conscience de leur posture, et de leur regard sur les présentateurs.

Cette prise de conscience par les étudiants de leur « présence physique » en tant que futur manager de projet, ou de programme, est venue compléter un cours sur le Leadership et le Changement. Sans préjuger des autres dimensions du cours, la dimension corporelle est une autre manière de se connecter à son intelligence personnelle et à s’ouvrir aux autres. Elle invite les participants à devenir observateurs de l’interaction sociale et à prendre en considération les leviers à leur disposition (comme la disposition d’une salle) pour influer sur le « champ social ».

Si vous voulez aller plus loin, vous pouvez vous référer au livre d’Arawana Hayashi, Social Presencing Theater: The Art of Making a True Move.

Desmond McGetrickProfessor of Organizational Development, SKEMA Business School

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