En psychanalyse, la pensée magique fait référence à des comportements rituels conjuratoires. Parallèlement l’auteur de science-fiction Arthur C. Clarke énonçait que toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. Notre société industrialisée mise de plus en plus sur la technologie pour relâcher les contraintes planétaires, jusqu’à ce que l’évocation d’un inexorable progrès technique bienfaiteur devienne une pensée magique. Est-il cependant certain que l’innovation sera notre planche de salut ?
L’économiste Kate Raworth met en avant, dans son livre Doughnut Economics, que nos activités économiques doivent satisfaire les besoins essentiels des individus tout en n’excédant pas les limites des systèmes environnementaux qui permettent l’existence de l’Humanité. Notre reconnaissance de ce risque existentiel reste encore très limitée, comme en atteste notre consommation annuelle de ressources naturelles équivalente à celle fournie par 1,7 Terre. Deux raisons peuvent expliquer cette nonchalance tragique. Tout d’abord, nous percevons mal la rareté des matières premières que nous utilisons. Ensuite, nourris par le succès historique des différentes révolutions agricoles industrielles, nous faisons trop confiance au progrès technique pour nous sauver de tout péril, y compris écologique.
Abondance des déserts, Rareté du sable
Notre vie moderne dépend d’un matériau souvent ignoré : le sable. On l’utilise dans les industries de la construction, du verre, ou de l’électronique. La majorité du sable provient des rivières et son extraction génère des effets largement négatifs sur l’environnement et les personnes vivant à proximité. Plus troublant, un récent article met en avant qu’autour de 2025, la demande mondiale de sable va excéder sa production ! Ceci est contre-intuitif car le monde abrite de nombreux déserts mais, malheureusement, les caractéristiques des grains de sable composant ces derniers les disqualifient d’un usage industriel (trop réguliers et trop fins). Malgré son apparente abondance, le sable est une ressource, comme beaucoup d’autres, qui s’épuise rapidement et dont l’extraction intensive entraine de graves dégâts environnementaux. Les réponses à ce type de défi sont bien connues : réduire l’usage, favoriser le recyclage, et développer un substitut. La troisième solution est séduisante car elle suggère une transition d’un mode de production à un autre sans coût. Elle semble également justifiée par l’Histoire, où l’enrichissement d’une population mondiale en expansion a été permis par un progrès technique relâchant sans cesse les contraintes environnementales.
Abondance des chercheurs, Rareté des idées
Un symbole de notre croyance en l’inévitabilité du progrès technique est la fameuse loi (empirique) de Moore. Dans sa version populaire, elle énonce que la puissance des ordinateurs double tous les deux ans. La période 1970-2018 a validé la réalité de ce phénomène. Il serait toutefois faux de penser que le futur n’est qu’une simple répétition du passé. Nicholas Bloom (Université de Stanford) et ses co-auteurs montrent que la productivité de la recherche a fortement décliné au cours du temps dans l’industrie des semi-conducteurs. Dit autrement, le maintien de la loi de Moore nécessite aujourd’hui 18 fois plus de chercheurs que dans les années soixante-dix. Plus inquiétant, ce déclin de la productivité de le recherche semble affecter tous les secteurs de l’économie, y compris ceux liés à l’agriculture ou à la santé. Les auteurs concluent que trouver de nouvelles idées est une tâche de plus en plus difficile.
Sommes-nous encore durablement capables de répondre à nos problèmes environnementaux par des solutions techniques ? Ne soyons pas pessimistes. Comme le prononce si élégamment le héros de l’excellent livre the Martian de Andy Weir porté à l’écran par Ridley Scott (Seul sur Mars), il est encore possible de « science the sh*t out of this ».
Relâcher les contraintes physiques de la recherche
En premier lieu, des rendements décroissants n’empêchent pas d’allouer plus de chercheurs dans les disciplines que nous souhaitons favoriser, notamment lorsque celles-ci ont été négligées dans le passé. Nationalement, plus de chercheurs peuvent être formés et, internationalement, les technologies de l’information et de la communication autorisent le partage rapide d’informations et des collaborations internationales à large échelle. Un exemple récent dans l’actualité illustre ce propos. Dans le contexte de pandémie de Covid-19, des séquences génétiques du nouveau coronavirus ont été très rapidement mises en commun sur des plate-formes en ligne libres d’accès et les chercheurs de différents pays ont joint leurs forces rendant possible la mise sur le marché de vaccins en moins d’un an.
Par ailleurs, le déclin de la productivité n’est pas irrémédiable si les chercheurs deviennent « augmentés ». L’intelligence artificielle (IA) peut ainsi nous permettre de créer un nombre infini d’assistants virtuels venant soutenir les efforts des chercheurs . Tout comme une machine-outil permet à un ouvrier de réaliser l’effort de cent travailleurs, l’IA peut centupler la créativité des chercheurs. Par exemple, dans le domaine de la biologie, l’IA de Google (Deepmind) a résolu en quelques jours le « problème de repliement des protéines » qui accaparait les chercheurs depuis un demi-siècle, ouvrant la voie à la découverte de nouveaux médicaments et enzymes industrielles. L’IA, en ne pensant pas comme nous, peut nous offrir des solutions techniques, que, par définition, nous sommes incapables d’imaginer.
Il ne s’agit pas toutefois de retomber dans la pensée technologique magique. Il semble plus raisonnable de diversifier les solutions et de reconnaître que nos modes de vie et nos choix de consommation ont une influence subtile mais importante sur notre environnement.
Nous n’avons qu’une Planète et coloniser Mars est bien plus difficile que ce que certains entrepreneurs veulent bien nous le faire penser.