Les protections hygiéniques, au-delà des règles

Les protections hygiéniques, au-delà des règles

C’était il y a 45 ans mais c’était hier : en 1976, le film d’horreur Carrie au bal du diable mettait en scène une jeune fille manifestant des pouvoirs magiques que sa mère associait à l’apparition des règles. Cette histoire plonge ses racines dans des croyances anciennes liant cycles menstruels, cycles lunaires et magie… Elle rappelle aussi combien, aujourd’hui encore, les règles peuvent être taboues, synonyme d’impureté, de malaise, de mépris, voire d’exclusion. « Cette universalité de la terreur » selon les mots d’Albert Samuel, explique-t-elle pourquoi les sociétés humaines se sont assez peu préoccupées de cette question qui concerne pourtant la moitié de l’humanité ?

Les règles une représentation taboue, entre croyances et obscurantisme

Nombreux sont les textes religieux qui abordent le sujet des menstruations. La femme y est décrite comme impure, capable d’infecter ceux qui l’approchent. Dans le Lévitique, on peut lire que « Quand une femme aura son flux, le sang, qui s’écoule de sa chair, elle sera dans l’impureté pendant sept jours ; quiconque la touchera sera souillé jusqu’au soir ». On retrouve également dans l’Islam l’idée qu’une femme est impure durant ses menstruations. En effet, durant leurs règles, les femmes n’ont pas le droit de pratiquer les cinq prières quotidiennes ni de rester autour de la Kaaba.

En dehors des religions du Livre, la suspicion liée aux règles est quasi-universelle. Aujourd’hui encore, les femmes sont exclues de la vie sociale dans bon nombre de contrées : au Népal par exemple, la tradition du Chaupadi les oblige à vivre dans des cabanes isolées et insalubres. En Mongolie, être au contact des règles est un « quasi-présage de mort, […] extrêmement souillant : c’est la raison pour laquelle les montagnes sacrées sont interdites aux femmes ». Du fait de ce tabou, la régulation du flux menstruel est restée une affaire strictement privée pendant des siècles. Ce que l’on appelle aujourd’hui les protections hygiéniques ne sont devenues un objet courant de consommation que dans la deuxième moitié du XXe siècle, soit plusieurs décennies après l’automobile… A cet égard, il est possible de lire l’évolution de la condition féminine à travers ce prisme. En somme, une autre manière d’écrire l’histoire des femmes…

La longue histoire des protections hygiéniques

Les premières traces de protections hygiéniques remontent à près de 2000 ans avant l’ère commune ; c’est en Babylonie antique qu’ont été inventées les premières formes de tampons. En Egypte, les femmes de l’aristocratie utilisaient de petits bâtonnets enrobés de tissus. Au Moyen Âge et aux Temps modernes, les femmes ne portaient pas de sous-vêtements. Elles laissaient le sang menstruel s’écouler, ce dernier étant bien souvent absorbé par leurs jupons.

Publicité Tampax des années 1990

Il faudra attendre le XXe siècle pour qu’on cherche réellement à améliorer le confort des femmes pendant leurs menstruations. A ce titre, la Grande Guerre marque un tournant important. En 1920, l’entreprise Kimberly-Clark, consciente du marché potentiel, développe les premières serviettes hygiéniques lavables. Les campagnes de publicités lancées à l’occasion ont permis de déverrouiller la parole sur ce sujet encore délicat. Quinze ans plus tard, la marque Tampax lance son produit éponyme. Il constituait certes un progrès indéniable mais longtemps réservé à l’élite de la société et aux femmes mariées. En effet, on l’accusait de compromettre la virginité, une croyance restée tenace aujourd’hui encore.

Ajoutons que misogynie et racisme conjugués ont également mis un coup de frein à une innovation potentiellement majeure pour le confort des femmes. L’exemple de Mary Kenner est à ce sujet frappant. Cette femme avait inventé une ceinture pour serviettes jetables. Intéressés dans un premier temps, les industriels du secteur se sont détournés du projet lorsqu’ils ont réalisé que « M. Kenner » était une femme, noire de surcroît ! De façon générale, la faible mixité qui a longtemps prévalu dans le monde professionnel, notamment publicitaire, ont longtemps enfermé les préoccupations féminines dans une vision et un discours masculins.

Les protections féminines aujourd’hui, un révélateur d’inégalités

Aujourd’hui, l’usage des protections féminines s’est largement démocratisé, à tout le moins en Occident. Pour autant, ce progrès indéniable a révélé d’importantes inégalités de genres, sources de débats.

Le premier concerne la composition des protections hygiéniques. En 2017, une étude de la DGCCRF révélait la présence de produits chimiques dangereux dans les divers types de protections. Saisie de cette question, l’ANSES a lancé une enquête approfondie au terme de laquelle elle a déclaré « qu’à ce jour, les protections intimes externes (serviettes, protège-slips) n’ont jamais été associées au syndrome de choc toxique menstruel. En revanche, des cas sont rapportés en lien avec la mauvaise utilisation de tampons ou de coupes menstruelles notamment du fait d’un temps de port trop élevé ou de l’utilisation d’une protection interne non adapté au flux menstruel (niveau d’absorption ou taille trop important). L’INSERM confirme que le syndrome du choc toxique (SCT) est lié à un mauvais usage desdites protections hygiéniques.

Dans un autre registre, la précarité menstruelle reste une réalité pour des millions de femmes qui rencontrent des difficultés économiques à se procurer des protections hygiéniques. En France, on estime ce chiffre à deux millions. Devant l’ampleur du problème, le Président Macron a annoncé cette année le déblocage de 5 millions d’euros pour financer des dispositifs d’aide. Les acteurs locaux s’emparent eux aussi du sujet. C’est le cas par exemple de l’Université de Lille qui met dorénavant des protections hygiéniques gratuitement à disposition de ses étudiantes.

L’exemple écossais est plus frappant encore : les protections hygiéniques sont gratuites dans tous les établissements scolaires depuis 2018 et en novembre dernier, les parlementaires ont étendu leur gratuité à toutes les femmes, à la grande joie de la Première ministre Nicola Sturgeon. Même constat en Ouganda où le gouvernement a procuré aux jeunes filles des protections hygiéniques de qualité durant 2 ans, ce qui a permis d’augmenter leur présence à l’école de 17%. On le voit, en l’absence de politiques volontaristes, les conséquences peuvent être considérables sur les populations féminines les plus fragiles.

Si la gratuité des protections n’est pas encore généralisée, la question de leur taxation est devenue un enjeu crucial en termes d’égalité des genres. En effet, si l’on considère que l’utilisation de ces produits ne relève pas d’un choix de consommation mais bien d’une nécessité, les taxer revient à lever un impôt sur la condition féminine. Des progrès ont pourtant été faits : des pays comme le Kenya, l’Australie, l’Irlande ou le Canada ont totalement supprimé la « taxe tampon ». La France, la Grande-Bretagne ou la Colombie appliquent un taux réduit à 5%. A contrario, l’Allemagne, l’Argentine, la Suède ou le Danemark appliquent des niveaux de taxation proches de ceux du vin ou du tabac…

Enfin, le dernier débat en date concerne la question du congé menstruel. En avril dernier un sondage Ifop réalisé pour Eve and Co indiquait que 68% des femmes salariées interrogées se déclaraient favorables à l’instauration d’un congé menstruel. Il relayait lui-même l’initiative d’une entreprise de Montpellier qui venait d’instaurer ce congé pris en charge par l’employeur. Déjà instauré au Japon ou en Indonésie, le sujet est pourtant loin de faire l’unanimité en France ; certains y voient une discrimination supplémentaire, d’autres une avancée sociale majeure…

Rodolphe DesbordesProfessor of Economics, RISE² Research Centre, SKEMA Business School - University Côte d'Azur, France

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Frédéric MunierProfesseur de Géopolitique, SKEMA Business School

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