La réticence face au vaccin, symptôme d’une pathologie française ?

La réticence face au vaccin, symptôme d’une pathologie française ?

Durant la pandémie de Covid-19, le pays de Pasteur a fait montre d’une particularité ; celle d’être rétif à la vaccination. Et si cette défiance n’était pas seulement le symptôme d’une pathologie française mais, plus largement, celui des pays riches ?

Une ou des « singularités françaises » ?

Alors que la campagne de vaccination contre le Covid-19 bat son plein, les médias se sont fait l’écho de « l’exception française » en la matière. Très récemment, un article du Lancet a confirmé le fait que la France était l’un des pays du monde parmi les plus défiants à l’égard des vaccins. Il montre que selon une majorité de nos concitoyens, les vaccins sont considérés comme peu sûrs, peu importants et, plus étonnant encore, peu efficaces.

Une autre représentation, issue d’une étude Gallup de 2018 permet de mieux cerner l’exceptionnalité française à l’échelle mondiale. Un tiers des Français estime que les vaccins ne sont pas sûrs, 19% d’entre eux doutent de leur efficacité, un double jugement absolument atypique si on le compare à celui des pays voisins d’une part, au reste du monde d’autre part.

Il est intéressant de noter que la défiance est largement partagée par les Français quel que soit leur genre, leur niveau d’études, leur lieu de vie…

Pourtant, la singularité française ne s’arrête pas là. En effet, une étude attentive des chiffres révèle une autre spécificité nationale : la France se caractérise par une proportion extrêmement élevée (environ 60%) de personnes sans opinion sur l’efficacité des vaccins, leur importance et leur innocuité. Ce manque d’adhésion aux vaccins entraine, dans le contexte de la pandémie de Covid-19, une réticence face à la vaccination elle-même. En effet, début 2021, avant que ne démarre la campagne vaccinale, la part des Français déclarant vouloir se faire vacciner était non seulement l’une des plus faibles au monde mais marquait même une baisse par rapport à l’année précédente.

Cet ensemble de particularités fait de la France un pays absolument atypique en matière de vaccination, une évidence qu’il ne s’agit pas de nier. Mais d’une part, les raisons de cette défiance ne sont pas réductibles à un seul facteur, par exemple le rejet de la classe politique comme on peut le lire souvent et d’autre part, l’arbre France cache parfois la forêt des pays développés…

Une défiance des pays riches ?

Car il est un autre enseignement que l’on peut tirer des publications sur la confiance à l’égard des vaccins et qui ne manque pas d’étonner : il apparaît que le cas français s’inscrit dans un espace géographique plus large : celui des pays développés. C’est dans ces derniers en effet que l’on rencontre la plus grande défiance à l’égard des vaccins. En Europe occidentale, la confiance dans les vaccins n’atteint pas 60%. A contrario, elle est très forte en Afrique et en Asie, avec respectivement 92% et 95%. Il est intéressant de noter d’ailleurs que c’est non seulement la confiance dans les vaccins mais aussi dans le corps médical qui est plus faible dans les pays riches. Une telle observation peut sembler déroutante alors que les niveaux d’éducation et de santé sont bien supérieurs dans les pays du Nord à ceux des pays du Sud.

Cette « hésitation vaccinale » (« vaccine hesitancy »), un concept amplement documenté, peut se définir comme « un délai dans l’acceptation ou le refus de la vaccination quand bien même des vaccins seraient disponibles ». En 2019, l’OMS n’a pas hésité à en faire l’une des 10 menaces qui pèsent sur la santé à l’échelle mondiale. Les déterminants d’une telle défiance sont éminemment complexes. Dans un ouvrage tout récent,  Maya Goldenberg a pointé le fait que la réticence de certains de nos contemporains tenait avant tout à un manque de confiance plus qu’à un manque de compréhension du fait vaccinal. Des propositions de modélisation de l’hésitation vaccinale ont été faites, notamment par le SAGE, un groupe de travail de l’OMS composé d’experts en immunologie. Selon eux, trois séries de facteurs se combinent. Ils ressortent : des vaccins et de la vaccination, des conceptions qu’en ont les individus, des données contextuelles enfin. On peut les illustrer comme suit :

A cette aune, plusieurs facteurs spécifiques peuvent expliquer l’hésitation vaccinale des pays riches. L’un est la couverture médiatique relative aux vaccins, plus défavorable en Amérique et en Europe que dans les autres zones du globe. Au fond, plus l’information est accessible et ouverte, plus les opposants aux vaccins peuvent librement exprimer leur avis, un avis qui pèse lorsqu’il s’agit de médecins connus de l’opinion publique. C’est ainsi qu’est né dans les grandes démocraties un véritable courant de « populisme médical » souvent qualifié d’« antivax » par les médias, notamment numériques. Il existe d’ailleurs un lien avéré entre le fait de consulter internet pour les parents et une moindre pratique de la vaccination chez les enfants, un lien majoré lorsqu’Internet est l’unique source d’information.

Parmi l’ensemble des facteurs de l’hésitation vaccinale dans les pays riches, l’un nous semble particulièrement déterminant : l’ampleur de la couverture vaccinale. Aussi paradoxal que cela puisse apparaître, et comme le montre le schéma suivant établi par nos soins, plus la mortalité des enfants de moins de 5 ans est faible, plus la défiance vaccinale est forte.

Nous suggérons l’explication suivante : quand la couverture vaccinale est généralisée, l’effet salvateur du vaccin n’est plus perçu, à la différence des pays africains par exemple où il est évident pour les populations que la vaccination sauve des vies.

Dit crûment, les pays riches peuvent jouer aux sceptiques dès lors qu’ils bénéficient assez des vaccins pour ne plus en mesurer les bienfaits.

Rappelons à ce propos que la vaccination a permis d’éradiquer la variole, de faire chuter l’incidence mondiale de la poliomyélite de 99% depuis 1988 et de faire baisser de près de 80% le nombre de décès dus à la rougeole.

Des facteurs spécifiques à la France

Revenons à la France. On l’a compris, elle participe d’un mouvement assez général de défiance des pays riches à l’égard des vaccins. Mais sa spécificité manifeste implique qu’il faille examiner des facteurs proprement nationaux. Avant toute chose, il est important de souligner que notre pays n’a pas toujours été rétif à la vaccination. Au contraire, comme le note l’Inserm, la défiance vaccinale y a émergé tardivement. En 1998, quand une étude britannique frauduleuse a prétendu démontrer un lien entre autisme et vaccin contre la rougeole, la confiance est restée stable en France : moins de 10% de la population exprimait des réticences vis-à-vis des vaccins. En revanche, l’échec de la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 en 2010 a constitué une fracture indéniable ; à l’issue, le nombre de rétifs a grimpé à près de 40%. Les baromètres santé permettent de se faire une idée assez précise de l’évolution de l’adhésion à la vaccination pour les vingt dernières années.

Voilà qui tranche avec l’idée d’une tendance immuable des Français à la résistance vaccinale. En revanche, on voit combien les facteurs contextuels ont pu peser.

Aux facteurs contextuels s’ajoute une particularité française bien connue des sociologues : la défiance à l’égard de l’État qui est la plus élevée d’Europe occidentale. Comme le souligne Laurent-Henri Vignaud, historien spécialiste de la résistance aux vaccins : la défiance à l’égard du politique, défiance à l’égard des grands groupes (« Big pharma »). En ce sens, la défiance vaccinale traduit un manque de confiance dans les institutions chargées de garantir la santé de chacun.

On le voit, le paradoxe de l’époque contemporaine est que des pans entiers de populations des pays développés cessent de croire aux bienfaits de ce qui a rendu leur vie meilleure. Ce fait doit nous rappeler combien le développement n’est jamais un acquis… Si l’on suit la grande spécialiste Maya Goldenberg, surmonter l’hésitation vaccinale nécessite pour les États de développer une véritable culture de la transparence.

Rodolphe DesbordesProfessor of Economics, RISE² Research Centre, SKEMA Business School - University Côte d'Azur, France

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Frédéric MunierProfesseur de Géopolitique, SKEMA Business School

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