Comment identifier la qualité principale du manager d’aujourd’hui ?

Comment identifier la qualité principale du manager d’aujourd’hui ?

Toutes les entreprises se posent la question : quelles compétences nouvelles le manager d’aujourd’hui doit-il maîtriser pour s’adapter à un monde en rapide évolution ? Pour y répondre, avec nos étudiants en 3ème année de licence du Programme Grande Ecole (PGE) de SKEMA, nous avons suivi une méthode innovante dans le cadre du « Défi, décodage du complexe ».

S’il est bien une certitude que l’on peut avoir, c’est que nos sociétés se transforment. Il n’est cependant pas toujours facile d’identifier clairement ces changements au moment où ils commencent à apparaître. C’est le propre d’un signal faible d’être un phénomène émergent, encore mal identifié et, quand il l’est, de ne pas l’être par tous. Il est pourtant essentiel de capter au plus vite les évolutions en cours qui peuvent menacer une organisation, ou au contraire devenir une opportunité pour elle.

Manager, qui es-tu ?

Ces évolutions concernent la perception d’une marque, de produits ou de services nouveaux ou existants. Mais aussi n’importe quel concept, qu’il soit émergent ou évolutif. Et parmi ces concepts, il y a le manager.

Dans un contexte d’incertitude des entreprises et des organisations, qu’en est-il des évolutions de la fonction du manager ? Sont-elles clairement identifiées ? Les acteurs concernés échangent-ils au sujet de ces changements ? Ils ne pourront le faire que s’ils sont clairement identifiés. À SKEMA, nous avons donc entrepris d’apprendre à les repérer.

C’est un levier important pour l’école qui pourra adapter ses programmes en fonction des évolutions en cours. C’est aussi utile à l’étudiant qui saura davantage identifier les compétences qu’il aura à développer pour répondre à la demande des entreprises.

Décoder le complexe

Nous avons donc choisi de mener ce projet avec mes étudiants en 3ème année de licence du Programme Grande Ecole (PGE) de SKEMA, lors du cours “Défi, décodage du complexe”. L’occasion est ici donnée aux étudiants de produire un résultat susceptible de les intéresser directement, mais aussi de découvrir une nouvelle méthode que j’ai mise au point pour appréhender une situation complexe et incertaine, la méthode ISMA concept.


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Pour la mener à bien, nous avons retenu la définition la plus large possible du manager, de façon à ce que tout étudiant d’une business school puisse s’y retrouver. Celle du Larousse nous est apparue comme la plus adaptée car elle définit le manager comme celui qui « organise, gère quelque chose, dirige une affaire, un service, etc. ».

Les partis pris de la méthode

Les partis pris de cette méthode sont les suivants : 

  1. Nous croyons qu’aucune entreprise ne sait affirmer clairement et de façon synthétique ce qui caractérise le nouveau manager.
  1. Cependant, des représentants d’une entreprise savent exprimer les qualités qu’ils attendent d’un manager. Ils en ont besoin pour que l’entreprise puisse opérer.
  1. Une entreprise peut être représentative d’un secteur mais ce n’est pas certain. C’est pour cela qu’il faut enquêter sur plusieurs entreprises et varier si possible les univers de travail. S’il existe des différences entre les univers, c’est l’occasion de les capter et s’il n’en existe pas, il est bon de le savoir. Nous avons ici choisi trois univers : celui des grandes entreprises, d’autres plus petites et moyennes (des PME) et enfin des associations. Ces trois univers correspondent aussi à de réels viviers d’emploi des futurs diplômés. Nous avons choisi trois entreprises au minimum par univers.
  1. Dans notre étude, nous préférons donner une expression libre aux répondants plutôt qu’une liste de qualités à cocher. C’est l’occasion de capter des signaux très divers. Pour augmenter les capacités d’expression sans les contraindre, mieux vaut très peu de questions ouvertes plutôt que de nombreuses questions fermées. Nous ne modifions par ailleurs jamais les données fournies.
  1. Ce n’est pas tant le talent qui nous intéresse mais ce qu’il produit. Il est demandé aux étudiants d’associer exclusivement les qualités selon une logique moyen-effet (logique effectuale). Les étudiants associent les talents par paire sans s’intéresser au tout. Sans qu’ils en aient conscience, ils constituent alors des arbres combinant tous les talents entre eux. Ils les découvrent a posteriori pour ne pas favoriser un talent plutôt qu’un autre.
  1. Les effets convergents (un talent contribue ou permet exclusivement un autre) sont les seuls recherchés. Le but est de capter des phénomènes convergents, s’il en existe. En quelque sorte, il s’agit de rechercher la finalité ultime d’un talent. Par exemple, il sera facile d’admettre que l’intelligence renforce la rationalité d’un individu et ne sert pas à autre chose de plus direct.
  1. Le travail d’analyse est collectif et une association entre deux talents n’est retenue que si elle est validée en équipe. Ceci réduit la subjectivité de l’analyse.

Le manager, par-delà les secteurs

Le résultat obtenu nous a surpris. Nous avons découvert que le talent le plus important (le plus haut sommet d’un arbre convergent de talents) est similaire quel que soit l’univers. Ce dernier n’est donc pas déterminant. Ce talent décrit un manager capable de faire travailler une grande diversité de profils ou de collaborer avec des personnes très différentes. Cette diversité est celle de l’identité, de l’âge et de l’expertise propre à chacun. Elle est un challenge relevé au quotidien par les entreprises mais elle est aussi une chance, celle de surmonter les défis environnementaux, sociétaux et économiques auxquels les entreprises sont confrontées.

Ce qui est surprenant, ce n’est pas tant que le thème de la différence ressorte mais c’est l’importance de cette qualité attendue pour le nouveau manager. Sans l’avoir dit clairement dans les textes bruts originaux, l’analyse révèle une véritable profession de foi, celle qui encourage un processus de résolution des problèmes par le bas de la pyramide. Notons cependant que les contextes d’expression de ce talent sont très différents pour une entreprise établie qui doit se maintenir sur un marché, pour une start-up qui doit y trouver sa place ou encore pour une association qui fait face à des besoins grandissants avec des ressources limitées. Quoi qu’il en soit, au regard des données fournies, le manager autoritaire qui impose ses vues n’a plus sa place. 

Les limites de l’étude

Bien sûr, cette étude aurait pu être étendue à davantage d’entreprises en variant encore plus les secteurs. Par exemple, les grandes entreprises étudiées ici sont essentiellement des entreprises industrielles issues de l’énergie, de l’optique ou de la construction (Framatome, Essilor, et Bouygues International). Nous n’avons pas de représentant du secteur bancaire ni de la grande distribution ou des services. Mais les résultats auraient-ils été différents ? Il est possible d’en douter du fait de l’absence d’écarts significatifs entre les trois univers.


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De plus, les approches qualitatives sont intéressantes pour qualifier les phénomènes émergents comme c’est le cas ici. Sommes-nous cependant dans une analyse qualitative ou dans une approche quantitative ? Nous avons associé au total 420 unités de sens qualifiant une qualité de manager. C’est beaucoup pour une approche qualitative et cela reste insuffisant pour les standards du « big data ».

Des enseignements à tirer

Le fait que plusieurs équipes, qui ont travaillé sur les mêmes données, aient abouti aux mêmes conclusions est cependant un gage de qualité de l’analyse et donc de la pertinence du résultat. 

Nous invitons désormais les entreprises qui ont participé à l’opération à relayer largement cette information à leur direction des ressources humaines. De même, nous espérons que les étudiants sauront s’en saisir pour se préparer à leur futur métier. Nous pensons aussi que les écoles de management pourront mieux renforcer leur formations des étudiants à certains soft skills. Il s’agit de celles qui conduisent au développement de véritables managers coachs ou de managers prêts à travailler avec des personnes très différentes. L’idée est d’en tirer profit sans la combattre. Un penseur comme Teilhard de Chardin avait à cœur de répéter que la différence unifie et que l’union différencie. C’est sans doute une maxime à redécouvrir.

Dominique VianProfessor of Innovation and Entrepreneurship, Strategy Research Centre, SKEMA Business School - University Côte d'Azur, France

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